"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Après Attaquer la terre et le soleil, la plume ensorcelante de Mathieu Belezi me ramène en Algérie avec Moi, le Glorieux.
Dans ce roman fort dérangeant, écrit sans points ni majuscules au début des phrases, un peu sa marque de fabrique, Mathieu Belezi m’a emporté dans la folie coloniale sur les pas d’Albert Vandel. Cet homme, à lui seul, représente toute une époque puisqu’il a… 145 ans, est d’une obésité incroyable et que cela fait cent ans qu’il dirige tout, symbole vivant d’une colonisation réalisée pour le plus grand bien des… Algériens !
Alors, l’auteur donne la parole à cet homme : Bobby caïd, Bobby baroud, Bobby la baraka, comme il aime être désigné. Au travers de son histoire qui débute dans sa villa de cinquante-quatre pièces, il va résister aux indépendantistes et raconter toutes ces années qui lui ont permis de faire fortune.
Autour d’Albert Vandel qui pèse 150 kg, on retrouve tous les Français qui se sont gavés sur un pays qu’ils ont développé, assaini, exploité pour leur plus grand profit. Malgré tout, apparaissent, de temps à autre, les Européens qui n’ont pas fait fortune mais tentent de vivre sur une terre qu’ils ont appris à aimer tout en utilisant au maximum la force de travail des autochtones.
L’histoire racontée par Albert Vandel à Ouhria qui s’en fiche et ne pense qu’à dormir, est violente, truculente, terriblement réaliste et peut être mise en écho avec ce qui s’est passé ensuite : l’indépendance, les luttes intestines, les islamistes, la guerre civile, la censure de Kamel Daoud et la « disparition » de Boualem Sansal depuis son arrivée à l’aéroport d’Alger.
Albert Vandel, lui, regrette le bon temps de Pétain, hait les communistes, les juifs et rappelle avec délectation la visite du président de la République, Gaston Doumergue. Les extraits des discours prononcés en 1930, lors de cette visite sont authentiques.
Sa vie sexuelle débridée refait surface régulièrement avec les six femmes qu’il a comblées… d’après lui… et qui vivent dans sa villa des Eucalyptus. Son récit alterne entre la guerre d’indépendance qui l’oblige à se réfugier sur les hauteurs d’Alger, au bordj Saint-Léon, et ses souvenirs racontés en plein délire. Il est sadique, insultant. C’est un personnage ignoble, persuadé d’avoir fait le bien pour un pays qu’il a exploité au maximum, une sorte de synthèse du parfait colon.
Mathieu Belezi prouve une fois de plus l’excellence de son écriture qui lui avait valu le Prix du Livre Inter. Le Bobby caïd peut régaler avec une nuit d’amour dans son domaine de La Chartreuse, au milieu des orangers, des citronniers, des mandariniers, des oliviers, du blé, de la vigne… Mais il peut aussi tutoyer l’horreur lorsqu’il s’en prend aux fellaghas, à la moindre contestation de son autorité.
Si la répétition de quelques formules ajoute une note d’humour, ce sont surtout les massacres, les horreurs, les souffrances infligées au peuple algérien qui ressortent car ces colons tout puissants se conduisent de façon ignoble, ne pensant qu’à leur profit.
Lorsque Bobby la baraka revient encore plus loin dans le temps, à l’époque où il n’était encore que capitaine dans l’armée française et que les premières familles de colons commençaient à vivre décemment, Mathieu Belezi offre alors un formidable chapitre, plein d’action et de suspense. Une fois l’épisode du lion passée, c’est quand Bobby baroud organise la défense d’une ferme attaquée par les Beni-Thour, que ma lecture est la plus palpitante, angoissante, terrible.
Ainsi, Moi, le Glorieux est une allégorie réussie montrant tous les travers de la colonisation qui se donne, au début, les meilleurs arguments mais qui dévie bien vite, devient perverse afin de profiter au maximum à quelques-uns, prêts à tout pour conserver les avantages acquis.
Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2024/11/mathieur-belezi-moi-le-glorieux.html
Chaque lecture d’un livre de Mathieu Belezi me fait le même effet. C’est un véritable coup de poing littéraire ! Impossible d’oublier la voix d’Emma Picard.
Nous sommes en 1860, la France envoie des colons en Algérie pour travailler les terres. Emma Picard, veuve, décide de s’y rendre en espérant offrir une vie meilleure à ses 4 fils dans cette ferme avec 20 hectares à cultiver.
Dans un monologue, sans points, et en italique lorsqu’elle s’adresse à son plus jeune fils Léon, elle raconte son histoire dans une sorte d’urgence. Elle dit cette terre d’Algérie qui ne veut pas d’elle. Elle retrace leur descente aux enfers : la sécheresse, la famine, les sauterelles, les maladies, le labeur, la pauvreté. Est-ce de l’aveuglement ou de l’espoir ? Malgré son obstination, elle ne peut rien contre la nature.
S’il s’agit bien d’un drame, tout n’est pas sombre. Il y aussi les joies simples, la vie en famille, l’amour d’une mère pour ses enfants, son désir pour Jules son amant. Et puis il y a Mékika, « leur Arabe », qui travaille avec eux en échange d’un toit et d’un repas.
Dans l’avant-propos, Mathieu Belezi évoque le point de départ de son roman. Dans un récit de voyage de Maupassant en Algérie, « Au soleil », il y a un passage sur une femme, « une Alsacienne qu’on avait envoyée en ces pays désolés, avec ses quatre fils, après la guerre ». Il donne une voix à cette femme, il en a fait son Emma Picard.
L’auteur ménage un certain suspense jusqu’à la fin. On tourne les pages en sachant qu’un grand malheur s’abattra sur cette femme touchante. Dans ce roman sensoriel, on sent la chaleur nous écraser, on entend la terre craqueler, on tremble avec Emma.
Mathieu Belezi a été mis en lumière en 2023, récompensé par deux prix littéraires (le Prix Inter et Prix littéraire Le Monde) pour son roman « Attaquer la terre », où il écrivait déjà sur la colonisation algérienne, mais à ses débuts. « Emma Picard » est une réédition, déjà parue en 2015 aux éditions Flammarion, mais dont nous n’avions pas perçu l’importance. Frédéric Martin a entrepris de rééditer toute l’œuvre de Mathieu Belezi aux éditions du Tripode. Pour ma part, je m’en réjouis et je serai au rendez-vous pour chaque parution. L’écriture est absolument magnifique.
Merci aux éditions du Tripode pour l’envoi de ce livre et à VLEEL pour la lecture commune.
A noter, comme toujours, la magnifique couverture. Ce livre sera en librairie dès demain et vous l’avez compris, c’est un coup de cœur que je vous recommande, si vous avez le cœur bien accroché !
En littérature, comme dans la vie, il est des rencontres inattendues, absolument magnifiques et inoubliables. C’est le cas avec les Editions Le Tripode, l’un de leurs auteurs : Mathieu Belezi, et son roman : "Emma Picard", une découverte puisque j’étais passée à côté de sa première publication en 2015 sous un titre quelque peu différent.
Très sensible à la couverture d’un livre pour le choix de mes lectures, celle-ci, d’une beauté sans nom, ne pouvait que m’inciter à l’ouvrir. Et l’ouvrir, c’est ne le refermer qu’après le dernier mot. J’ai, en effet, lu ce roman d’une traite, presqu’en apnée et le cœur souvent serré, entraînée par un texte exempt de points, une litanie, un souffle, une suite de mots, une histoire hors du commun… Nous sommes dans les années 1860 et Mathieu Belezi donne la parole à Emma Picard, une femme veuve et maman de quatre fils à laquelle la France offre une ferme et vingt hectares de terre en Algérie. Elle accepte, pensant ainsi pouvoir échapper à la pauvreté et donner un avenir à ses enfants.
Et là, dans le roman, elle raconte, se raconte le temps d’une nuit. Elle parle sans même respirer à son unique fils survivant. Elle s’adresse à lui, par bribes régulièrement intercalées dans sa logorrhée. L’écriture de Mathieu Belezi est une merveille, un chant funèbre et poignant ponctué de rares moments joyeux. L’auteur décrit une Emma volontaire et courageuse qui remet régulièrement l’ouvrage sur le métier. Une Emma qui s’acharne malgré les difficultés. " [elle] qui ai[t] eu le malheur d’écouter ce qu’un homme à cravate assis derrière son bureau de fonctionnaire [lui] conseillait de faire pour sortir du trou dans lequel je me débattais depuis la mort de Gustave…" Les cultures sont brûlées par le soleil d’été, qu’à cela ne tienne, elle arrache, elle replante et la vie repart. Il n’y a plus d’eau dans le puits, qu’à cela ne tienne, Mékika, son "fidèle arabe", attelle l’âne et va à la source lointaine remplir des seaux. Les mots dessinent une Emma têtue, qui s’obstine, jour après jour, à défier les éléments qui persistent à lui mener la vie dure. Elle enjolive une vie d’esclave qui, par moments, réussit à trouver des fleurs au milieu des orties, un peu d’amour au milieu de l’horreur, un peu de vie au sein de la mort. "Emma Picard" est un roman à nul autre pareil, une voix venue de l’enfer, un roman inoubliable.
Ce fut un coup de foudre plus, plus, plus.
Un énorme merci à VLEEL et aux Editions du Tripode pour cette lecture.
https://memo-emoi.fr
En avant propos, l’auteur nous confie avoir été inspiré par un percutant récit de voyage de Maupassant (en Algérie) Et qu’il a fait, de la vieille femme – dont parlait le grand écrivain – une Emma Picard, un peu plus jeune … À cette époque, 17% de la population (colons et algériens confondus) avait été décimée, après une suite inimaginable de catastrophes. La réalité dépassant la fiction …
Emma Picard, veuve et mère de quatre garçons (Charles et Joseph adolescents, Eugène et Léon, les plus petits) bernée par l’État français qui lui a offert – en Algérie – vingt hectares d’une terre (aride et pratiquement incultivable) débarque à Mascara puis à Mercier-le-Duc (près de Siddi Bel Abbès) vers 1860. Dès leur arrivée, « leur Arabe Mékika » (qui restera loyal à la famille du début jusqu’à la fin …) les a pris en charge et leur a offert une disponibilité totale et gratuite, en échange du gîte et du couvert. Alors que le pays est censé être pacifié et les colons en sécurité, la violence et le danger sont latents … L’horreur des étés brûlants et des hivers rigoureux sont également autant d’épreuves douloureuses … Et ce choix têtu, malgré l’amour sincère – et pourtant partagé – que lui porte ce révolutionnaire-intellectuel (parisien exilé) Jules Letourneur la culpabilisera définitivement …
C’est auprès de Léon, son petit dernier et unique (survivant ? …) que la pauvre femme va s’épancher sans répit. Se remémorant – encore et encore – de bien pénibles souvenirs. Le prenant « compulsivement » à témoin, au bord de la folie …
Tout est magnifique dans ce formidable roman : aussi bien le phrasé que l’intrigue ou encore la puissance des sentiments exprimés. On lit les premières pages et on ne le lâche plus. C’est beau, c’est fort, c’est poétique. Une de mes plus belles découvertes de l’année. Immense coup de coeur pour cette sublime narration !
À noter qu’il s’agit d’une ré-édition (et un titre raccourci) d’une oeuvre sortie en 2015 (dont je n’avais jamais entendu parler …)
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