"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Écrivaine, journaliste, auteure de nombreux essais, et ancienne rédactrice en chef de L’Obs, Marie-France Etchegoin s’est essayée au métier… de « professeur » pour des réfugiés venus d’Afghanistan, du Soudan, d’Erythrée, du Tchad, d’Ethiopie ou de Guinée. Dans " J'apprends le français " paru aux éditions JC Lattès en 2018, elle témoigne de ces rencontres, émouvantes et enrichissantes, dans un apprentissage réciproque.
Ils sont Aldon, Abdou, Sharokan, Ibrahim, Suleyman, Salomon et bien d'autres encore. Ils sont migrants.
Elle est Marie-France, journaliste et bénévole dans un centre d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile à Paris.
p. 98 : " J'y vais parce que je reçois plus que je donne. "
En immersion dans ce huit-clos, l'auteure nous raconte ces rencontres autour des mots. Des hommes qui ont tout quitté pour fuir l'indicible. Ils sont très jeunes pour la plupart et doivent tout ré-apprendre. Une nouvelle langue, une nouvelle culture, un nouveau système. Alors c'est un challenge quotidien pour Marie-France de leur enseigner les subtilités de la langue française. Si elle met un point d'honneur à leur inculquer le vouvoiement par exemple, elle l'explique par sa volonté de marquer le respect. Il faut tout recommencer à zéro. Comme avec des enfants. Mais ce ne sont pas des enfants. Ce sont des hommes qui portent en eux de profondes blessures. Des histoires de vie particulièrement douloureuses qui s'immiscent au compte goutte dans des moments de confidences. Autour d'anecdotes aussi drôles que tragiques, l'auteure évolue au grès des situations administratives et légales de chacun. Parce qu'ils ne sont pas que des migrants. Ils sont des hommes, des maris, des pères, des fils, des frères. Chaque semaine apporte son flot de nouveaux arrivants ; son flot d'histoires.
L'écriture journalistique appuyée par sa forme, est le témoignage bouleversant d'une réalité factuelle. Cette lecture est une bouffée d'humanité et d'espoir, qui fait tant de bien par ces temps gangrenés par le sentiment d'insécurité.
p. 285 : " L'accueil de l'étranger n'est pas une charité mais un échange. Il nous ouvre un monde dont nous n'avons pas idée. Il démultiplie nos points de vue, enrichit nos perceptions. Nous en tirons bénéfices. L'accueil, l'hospitalité, l'entraide, la solidarité, la fraternité, l'humanisme, peu importe comment on appelle ce geste ou ce mouvement de l'âme, peu importe qu'il procède d'une éthique, d'une croyance ou d'un heureux caractère, peu importe qu'il soit un engagement ou un passe-temps, plus nous serons nombreux à l'expérimenter, plus les barrières tomberont, plus les politiques s'infléchiront. "
« J’apprends le français » ou comment apprendre à connaitre l’autre, les autres, apprendre à partager, apprendre à comprendre, apprendre à s’engager. Ils viennent de partout et ont la sensation d’être nulle part. Ils ont une langue vernaculaire, la plupart ont de bonnes notions en anglais, certains sont même polyglottes, mais maitrisent peu ou pas du tout le français. Ils s’appellent Abdullah, Aldon, Ibrahim, Mohamed, Salomon, Mounir, Suleyman, ensemble et pourtant tous sont isolés dans ce centre d’hébergement d’urgence pour les réfugiés masculins dans le XIX° arrondissement de Paris.
La journaliste Marie-France Etchegoin raconte leurs histoires. Elle les côtoie parce qu’elle est bénévole dans ce centre pour apprendre aux migrants la langue de Molière, de Proust, de Baudelaire, de Sand ; étape indispensable pour permettre à ces errants de la vie de pouvoir tenter leur chance d’un avenir meilleur. Par la connaissance de la langue et ses subtilités, ils pourront mieux expliquer leur exil forcé, ils pourront espérer un travail, seule la communication entre les peuples permet l’intégration et l’entente les uns envers les autres.
Malgré le terrible thème, je dirai que ce livre est beau. Un témoignage salutaire où Marie-France Etchegoin explique simplement, sans fioritures, sans angélisme, son travail de bénévole, comment elle donne ses cours entre quelques hésitations d’ordre culturel (car elle a le souci permanent de prendre soin de ne blesser personne) et beaucoup d’espoir, de convictions. Offrir un peu de son temps, palier au manque des autorités pour redonner le goût de vivre et d’entreprendre à des êtres humains qui ont tout, mais absolument tout perdu. Au fur et à mesure, ils dévoilent à leur professeure leurs parcours, ce qu’ils ont abandonné, ce qu’ils ont subi, de l’humiliation à la torture. Certains se confient plus rapidement, d’autres avec difficulté, mais toujours avec pudeur.
Lire cet ouvrage vous permettra en quelques centaines de pages de vous rendre compte concrètement de la situation au Soudan, au Darfour, en Afghanistan (à l’heure où j’écris ces lignes, un attentat dans un centre électoral Kaboul fait plus de 30 morts et 50 blessés), en Erythrée. J’ajoute même, ce qui est rare, une mention spéciale. Pour saluer le courage de l’auteure en dénonçant l’hypocrisie des dirigeants, des hauts dirigeants, qui promettent mais ne font rien ou le contraire de leurs promesses et, qui s’associent avec des dictateurs pour soi-disant une bonne cause…
Par le ton direct employé, on perçoit très clairement la stricte réalité de la condition des migrants, ce parcours du combattant nécessaire pour obtenir un statut, les 1001 obstacles administratifs pour limiter l’accueil et donc l’insertion, par exemple, celui de cette interdiction de travailler tant qu’il n’y a pas de régularisation de papiers (alors que d’autres pays européens n’ont pas voté une telle loi absurde), le labyrinthe des acronymes...
On découvre également certains mots, oui, des mots créés spécifiquement pour les migrants, celui de « dubliné » néologisme suite aux accords de Dublin et toutes les aberrations pour empêcher ces humains de retrouver le sourire (qu’ils gardent d’ailleurs malgré tout).
Des chapitres courts, de l’humour, car c’est la politesse du désespoir mais peut-être aussi de l’espoir, des portraits touchants, c’est un document que je recommande aussi bien à ceux qui ne doutent pas de l’humanité à apporter aux naufragés de la vie, mais aussi à ceux qui doutent ou refusent de tendre la main. Marie-France Etchegoin, tel un funambule des mots livre un témoignage exemplaire sur ces équilibristes de la vie, de la survie et, qui, hélas, risquent de devenir de plus en plus nombreux. La solidarité ne sera jamais un vain vocable…
http://squirelito.blogspot.fr/2018/04/une-noisette-un-livre-japprends-le.html
« Je. Personne ne m’a jamais interdit de dire Je. Personne ne m’a jamais empêchée d’être, ou si peu…Vous, vous êtes nés dans un monde où dire je est un risque, voire une folie Souvent la question ne se pose même pas car votre possibilité d’être a été niée et brisée par des dictatures de fer ou des régimes fondés sur la ségrégation raciale… »
Certaines causes me sont chères, très chères même. Celle de ces gens que l’on nomme « migrants » ou « réfugiés » en fait partie. Parce que l’Humanité est Une, parce que je ne comprends pas, résolument pas, l’ostracisme dont ces déracinés sont victimes. Comme si la fuite, l’exil, la peur, la mort , la guerre, la misère, n’étaient pas suffisants !
Le livre de Marie-France Etchegoin, "J'apprends le français", paru aux Editions JC Lattès et dédié aux « êtres de voyage » est un hymne à la Tolérance, un document nécessaire, effroyable et passionnant.
L’autrice n’est pas professeur. Elle est journaliste. Et par-dessus tout, elle est extraordinairement humaine. C’est dans un centre d’hébergement, situé dans un ancien lycée hôtelier parisien, qu’elle apprend, jour après jour, le français à Abdullah, Sharokan, Suleyman, Salomon, Aldon, Ibrahim et aux autres. Qu’elle construit, ou reconstruit avec eux, des identités pillées, perdues, découpées, oubliées. Elle les écoute, même dans leurs silences, jusque dans leurs regards. Ces regards brisés par tout ce que nous ne pouvons imaginer, confinés dans nos confortables cocons.
Marie-France Etchegoin décrit à merveille ce rapport qui s’instaure et qui fait que l’on s’enrichit au contact de la misère. Peut-être parce que la prolificité est ailleurs. Dans la générosité. Dans l’échange. Dans l’absence de jugement. Elle dit. Dénonce, notamment la trahison des politiques. Sans hargne ni haine. Avec des mots. Ces mots qu’elle transmet, ces identités qu’elle aide à rebâtir grâce à la langue française.
J’ai été touchée, en profondeur. Je sors de cette lecture révoltée et admirative. Révoltée car j’ignorais tant et tant d’éléments que j’ai appris au fil des pages (ah, le silence des médias !). Je ne savais rien, ou si peu, de la situation en Erythrée, ou dans les inhumains camps du Darfour. Je ne connaissais rien de ces longues marches vers la survie. Bien sûr, je sais ce cimetière gigantesque qu’est devenu la Méditerranée, mais il est bon de raconter l’après de ceux qui lui ont survécu. Cet « après » que l’autrice a su rendre vivant en dépit de la mort que tous portent sur leurs épaules.
Je referme ce livre, et j’ai une pensée pour eux tous, pour le courage qui est le leur, pour l’humour dont ils savent faire preuve, pour l’espoir qui les anime.
« Nous sommes tous des êtres en général et aussi des êtres en voyage, mobiles ou immobiles, mais mouvants toujours et « apprenants ». Aldon, Abdou, Shakoran, Ibrahim, Suleyman , Salomon et tous les autres nous amènent dans leur sillage autant que nous les amenons dans le nôtre. Je les ai rencontrés par les mots, à travers les mots. … L’accueil de l’étranger n’est pas une charité mais un échange. Il nous ouvre un monde dont nous n’avons pas idée. Il démultiplie nos points de vue, enrichit nos perceptions…. Nous avons tous intérêt à devenir des êtres en voyage. Et à faire de notre langue un repère et un repos »
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