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Camille Magnin se réveille, la tête toute brouillée et ne sait pas où elle peut se trouver. Assise sur le lit, elle tente de se réapproprier sa vie. Elle ne porte plus les mêmes vêtements, ceux-ci sont sans étiquettes qui pourraient lui être d’une aide quelquonque, plus de montre, rien à quoi se raccrocher. Que fait-elle ici dans cette chambre monacale, depuis quand ? sans indice spatiotemporel, elle essaie de ne pas paniquer, surtout lorsque l’on diffuse une chansons très fort ou presque en murmure. Une chanson qui lui rappelle que…. Son mari, qui connait son goût pour ce groupe, les Tiger Lilies, lui a donné l’enregistrement d’un de leurs concerts juste avant de partir. .
Paul Magnin, commandant de police à Quimper, son époux, lui a offert un voyage à Londres pour visiter l’exposition de Turner à la Tate Britain. Est-ce lui qui a manigancé tout cela avec l’aide de sa meilleure amie ? Aurait-il été capable de toute cette manigance, dans quel but, pourquoi ?
Pendant ce temps, dans le chapitre suivant, on découvre Paul affolé de ne pouvoir joindre sa femme, qui craint le pire et téléphone à un collègue ami de Scotland Yard, le superintendant John Adams pour signaler la disparition de Camille et lui demande d’enquêter. Si Paul est coupable est-il si retors pour être capable de venir à Londres et participer à l’enquête ? De demander à une très bonne relation d’enquêter ?
Des policiers londoniens, devant la Tate Gallery, voit la Tamise se colorer en rouge, un filet qui sort de dessous la Tate. Un crime ou une tuerie ? en ces périodes d’attentats, tout peut arriver. Plus tard, ils se trouvent face à des mises en scène douteuses, le vol d’un tableau…
Les deux affaires sont-elles liées ? Quels rapports existent-ils entre ces différentes affaires ? Que fait Camille au milieu de tout cela ?
Un polar finement mené. Oui, dans ce chapitre Paul, le mari semble vraiment à la base de la disparition de sa femme. Non, ce ne peut être lui, parce que ceci, parce que cela, mais…
Tout en étant prise par le suspens, je découvre Turner dont on admire souvent les ciels. J’ai ainsi pu découvrir d’autres œuvres de ce grand peintre en allant sur Internet comme « La dixième plaie d’Egypte » dont il est question dans le livre.
Un livre lu d’une traite, une très belle couverture, une présentation très soignée, un bel objet et une lecture attractive.
Mes deux derniers coups de cœur sont deux polars : Choucroute maudite et Indian Psycho et ce Turner et ses ombres fera désormais partie de cette catégorie, tant je me suis régalé, je n'ai pas pu lâcher ce roman, lisant même au-delà du raisonnable, jusqu'à presque m'endormir dessus. En ce printemps 2017, c'est donc le polar qui sort du lot de mes lectures. Tant mieux, car cela prouve -à ceux qui en doutent encore- que ce genre fourmille de talents et de petites merveilles. Marie Devois, je la connais par deux de ses précédents opus : Gauguin mort ou vif (dans lequel Paul Magnin était déjà présent) et Van Gogh et ses juges, tous deux déjà édités dans cette excellente collection qu'est Art noir chez Cohen&Cohen. Excellente, parce qu'elle allie art et polar et que ça me plaît. Marie Devois, par exemple écrit pas mal de lignes sur Turner dont celles-ci : "Rain, Steam and Speed. En français cela donne Pluie, Vapeur et Vitesse. Le peintre du ciel l'entraîne sur les rails pour une course folle comme il l'a propulsée dans la mer en furie qui cogne contre la jetée de Calais. De quoi était donc façonné cet homme qui possédait la grâce de se jouer en quelques coups de brosse de tout ce qu'il regardait ainsi pour le mettre au monde ? [...] William Turner était le créateur. Le créateur d'un univers caché dans des couleurs qu'il malaxait, mélangeait, jetait sur la toile jusqu'à ce qu'elles y fixent ce que lui seul avait vu." (p.126). Toute cette intrigue tourne autour de la Tate Britain et des toiles de Turner et c'est un pur plaisir que de s'y promener.
Le roman est diablement maîtrisé et finement écrit, car dès le début, Marie Devois installe un soupçon sur la culpabilité de Paul Magnin dans l'enlèvement de Camille. Mais pourquoi l'aurait-il fait ? Et s'il l'a fait pourquoi vient-il à Londres pour la rechercher ? Des petites phrases a priori anodines sèment le doute en permanence, chacune pouvant être interprétée comme un aveu de la culpabilité de Paul ou comme l'inverse. L'alternance des chapitres "Paul" et des chapitres "Camille" avant que la police londonienne n'entre dans la danse amplifie cet état d'esprit. L'enquête est alors dirigée par John Adams le superintendant de Scotland Yard avec qui Paul avait sympathisé lors d'une semaine de coopération entre les polices française et anglaise. Efficace et pragmatique, il avance, doit aussi enquêter sur les événements mystérieux qui ont lieu dans la Tate Britain, jusqu'à ce qu'un détail lie les deux affaires. Entre alors en jeu une inspectrice, Victoria, électron libre, au langage et à la personnalité hors norme, j'ai tout de suite visualisé Corine Masiero lorsqu'elle endosse l'habit de Capitaine Marleau. Présente en fin d'ouvrage, elle le marque nettement de son empreinte.
Vous l'aurez compris, j'ai beaucoup aimé et franchement, je conseille vivement la lecture de ce Turner et ses ombres qui allie avec talent et finesse art et polar ainsi que les autres titres de Marie Devois et soyons fous, les titres de la collection Art Noir.
Je remonte dans la production de Marie Devois. après l'excellent Gauguin mort ou vif, publié dans la même très belle collection (Art noir) en 2016, nous voici deux ans plus tôt avec un roman qui tourne autour de la peinture de Vincent Van Gogh. Pas une œuvre en particulier, mais plutôt toutes ses toiles et leurs parcours depuis la mort du peintre, les spéculations, les faux, les escroqueries, ... Il n'y a pas vraiment de héros dans ce roman -même si Fred Andersen et Maëlle Aubier commissaire à l'Office Central de lutte contre le trafic de Biens Culturels sont un peu plus présents-, plutôt des hommes et des femmes qui travaillent dur, qui épluchent les pédigrées des gens qu'ils rencontrent même lorsqu'ils ne sont que simples et vagues témoins, chaque petite avancée est bonne à prendre lorsqu'il n'y a rien à se mettre sous la dent : "Le groupe d'Andersen avait punaisé sur toutes les surfaces disponibles les tirages obtenus et leur avait attribué un numéro. Des dizaines de clichés. Des centaines de visages, de silhouettes, que les hommes comparaient. S'ils repéraient le même visage, la même silhouette sur des photos de séries différentes, ils auraient enfin l'impression de faire un pas. Un grand pas." (p.59). On se demande pendant très longtemps quel indice, quel événement, quelle erreur du tueur, quelle illumination ou intuition d'un flic viendra tout déclencher, mais rien... Rien ne vient et même si nous, lecteur au bout d'un moment en savons plus que les flics, car le tueur de juges vient nous faire des confidences, eh bien on souffre pour eux et on se demande bien comment ils vont se dépatouiller de cette histoire.
Pas mal d'intervenants, d'entrées dans ce polar sans que jamais l'on ne soit perdu. L'intrigue est suffisamment tordue pour qu'on y croie, des circonvolutions autour des œuvres de Van Gogh, une incursion dans les méandres de la vente et de l'exposition des tableaux de maîtres que Marie Devois parvient sans peine à nous expliquer et à nous faire comprendre, et la tâche n'est pas aisée, car ce monde n'est pas toujours reluisant, certains aimeraient bien qu'il reste totalement abscons, ce qui leur permettrait de pérenniser leurs louches affaires. L'auteure maîtrise totalement son sujet et comme dans l'autre roman policer que j'ai lu d'elle, elle le construit de manière à nous apporter des informations en sus de son intrigue et à nous perdre pour mieux nous embobiner et nous suprprendre. Vraiment très bien fait.
Nouveau titre de la collection Art noir chez Cohen&Cohen. Nouvelle belle lecture, cette fois-ci comme son titre l'indique, autour de Paul Gauguin. Alambiqué, très habile et original dans sa construction, ce polar ne se lâche pas une fois ouvert. De nombreux intervenants dont on se demande ce qu'ils font là avant que l'auteure ne vienne nous l'expliquer. Elle procède de la même manière en nous énonçant des faits qu'on ne comprend pas trop avant de tout éclaircir avec les pages suivantes : le premier chapitre peut décontenancer un brin, mais très vite, on retombe sur ses pieds. En fait, on avance au rythme des enquêteurs au début du roman et puis on entre petit à petit dans la tête du manipulateur sans tout comprendre au départ, ce procédé, largement utilisé par d'autres auteurs de polars rajoute du suspense car on est à la fois dans la tête des enquêteurs qui ne comprennent pas tout et dans celle de celui qu'ils recherchent qui sait tout mais n'en dit que peu. Le suspense ne tombe qu'à la toute fin, l'originalité de l'intrigue est alors dévoilée et ne déçoit pas malgré toutes les attentes qu'elle a suscitées.
En prime à cette intrigue bien menée et magistralement maîtrisée, Marie Devois nous dévoile Paul Gauguin sous un jour nouveau. Le peintre est bien sûr décrit dans son travail, mais aussi dans sa vie privée, ses bassesses par jalousie, son goût des très jeunes filles-modèles aux Marquises : "Il écrit qu'il est venu aux îles Marquises car on peut y trouver des modèles pour une poignée de bonbons. Des gamines sans défense, des filles toujours plus jeunes qu'il entraîne à l'étage de sa case entièrement tapissée de photos porno pour leur faire l'amour. Quel porc ! Quant tu sais qu'en plus il était syphilitique et qu'il avait le corps couvert de plaies..." (p.163) Son œuvre reste, bien sûr, mais l'homme descend de son piédestal, il fut, d'après ce qu'on lit dans ce roman, un type détestable.
Cette collection Art noir est vraiment très réussie, Marie Devois y collabore pour la troisième fois -je n'ai pas lu les deux précédents. Un roman noir dans le monde de l'art c'est toujours du plaisir de lecture et du suspense associés à de la culture. Et malgré le thème central commun à toute la collection, les divers romans que j'ai eus entre les mains, outre le fait qu'ils m'ont tous plu, sont très différents dans l'écriture, l'artiste concerné, les intrigues, et les styles littéraires. ... Preuve qu'Art noir mérite toute notre attention.
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