"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Jean-Pierre Esquenazi est sociologue et a publié depuis les 1990's un nombre important d'ouvrages ayant trait au cinéma, à la télévision ainsi qu'aux séries-télévisées. Après "Mythologie des séries" en 2009, l'auteur a publié chez Armand Colin l'année suivante "Les séries télévisées – L'avenir du cinéma ?", le livre qui nous intéresse aujourd'hui.
Avec son sous-titre en forme de question – L'avenir du cinéma ?- Jean-Pierre Esquenazi ne laisse pas de place au doute sur le format de son livre. Cet ouvrage a en effet toutes les caractéristiques d'un essai et s'évertue à décrypter ce qu'est une série-télévisée avec une approche sociologique et historique. Avec à l'appui les nombreux travaux de ses confrères et des exemples concrets qui illustrent les éléments de sa démonstration, Esquenazi propose aux amateurs de série-tv une approche originale d'un sujet peu habitué à tant d'éruditions et de mots savants.
Dans l'introduction de "Les séries-télévisées – L'avenir du cinéma ?", l'auteur pose les bases de son projet d'écriture, explique les termes spécifiques qu'il utilisera de manière récurrente – téléspectature, litteracy, mediacy entre autres – et met de cette manière le lecteur dans de bonnes conditions pour appréhender la lecture. Celle-ci se révélera passionnante, surprenante par son érudition mais néanmoins exigeante. Je ne saurais trop conseiller d'ailleurs à ceux qui veulent tenter l'expérience de s'attarder sur cette introduction afin de jauger le propos de l'auteur.
"Les séries-télévisées – L'avenir du cinéma ?" propose un découpage en quatre parties thématiques qui se complètent sans jamais se contredire. Dans la première d'entre elles, Jean-Pierre Esquenazi s'interroge plus globalement sur la télévision, sur la manière dont il a redéfini le foyer et sur la façon dont les chaînes de télévision s'adaptent à la "téléspectature". La mise en place des grilles de programme et la façon dont sont choisis les séries télévisées répondent à une volonté de toucher un public large, de se montrer suffisamment innovante pour garder une avance sur la concurrence sans toutefois s'éloigner des attentes du public. Dans la seconde moitié de ce segment, Jean-Pierre Esquenazi s'intéresse au rapport qu'entretiennent les téléspectateurs avec les séries-télévisés et s'appuient pour étayer ses propos sur des études réalisées notamment par Ien Ang ou Dominique Pasquier sur "Dallas" ou "Hélène et les garçons". Ces travaux ne datent pas d'hier mais aident à mieux comprendre comment les séries télévisées sont reçues, comment elles influencent ou s'intègrent dans la vie de ceux qui les visionnent. Au travers des communautés d'interprétation sérielle qui naissent de ces objets culturels, l'auteur fait le constat que malgré l'engouement de ces dernières années, les analyses et, par extension, les ouvrages traitant des séries télévisées sont encore relativement rares de ce côté-ci de l'Atlantique.
Dans le deuxième chapitre, le sociologue s'intéresse plus particulièrement à la production des séries télévisées, nous expliquent le fonctionnement du modèle américain et chemin faisant remontent le cour du temps pour s'attarder sur leur histoire qui démarre avec "I love Lucy". Cette analyse des modes de production lui permet de revenir sur les différences entre Etats-Unis et Europe notamment sur les modes d'écriture des épisodes. Afin d'illustrer sa démonstration, Jean-Pierre Esquenazi prend l'exemple de Steven Bochco, inventeur des mythiques "Hill Street Blues" et "New-York Police Blues", sans doute le passage le plus passionnant, l'auteur ne se donnant pas la peine de dissimuler son admiration à cet inventeur.
La troisième partie tourne plus spécifiquement autour de la narration, sur la filiation littéraire de la fiction télévisuelle, sur le mélodrame et ses "métamorphoses contemporaines" ainsi que sur les différences entre ce qu'il nomme "séries évolutives" et "séries immobiles". Cette partie est particulièrement technique et a surtout pour but d'aider les amateurs à mieux classer les séries télévisées, à appréhender avec plus de discernement les enjeux et ressorts narratifs de ces différentes fictions.
La dernière partie voit l'auteur renouer avec ses réflexes sociologiques et s'interroge plus en détails sur la relation intime du téléspectateur avec les personnages, sur la mise en scène stylistique au travers de scènes extraites de séries dont la technique est décryptée mais également sur l'impact que ces oeuvres culturelles ont sur la société et sur le temps. Si en Europe, la série télévisée commence seulement à être reconnue comme un objet culturel respectable, aux États-Unis, elle a accompagné les grands changements sociétaux, n'hésitant pas à se faire politique, féministe ou simplement témoin de son époque. Un chapitre complet est à ce titre consacré à la figure féminine dans la série télévisée.
Une bibliographie abondante et généreuse vient clore cet ouvrage passionnant mais qui n'est toutefois pas exempt de quelques défauts. Outre les longueurs qui entachent la lecture épisodiquement – l'auteur se montre parfois trop technique dans ses explications pour le profane -, les séries télévisées choisies par Jean-Pierre Esquenazi pour soutenir son argumentation appartiennent la plupart du temps au genre policier ou judiciaire même si "Six feet under" est abondamment évoqué. Cette impression ressentie dès les premières pages s'accentuent au fil de la lecture, les références récurrentes à "Hill Street Blues" ou à "New York Police Blues" finissant par être pesantes, d'autant plus quand d'autres séries télévisées sont survolées. Dans l'introduction, Jean-Pierre Esquenazi explique que ce livre n'est en aucun cas une anthologie et qu'il a par conséquent du faire un choix sans toutefois préciser sa prédilection pour les deux genres cités plus haut. Il en ressort donc une gène qui laisse à penser que cet ouvrage, malgré son titre générique, ne rend pas compte de l'exhaustivité du genre, même s'il faut reconnaître la qualité du travail fourni et la documentation impressionnante qui sert de base aux propos de l'auteur.
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