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Devant le sol carrelé de noir et blanc du hall d’entrée de son ancienne école, l’auteur s’aperçoit qu’il avait des « allures d’échiquier » Et cet échiquier devient le fil rouge du récit autobiographique
« J’étais là, immobile, devant l’échiquier de ma mémoire – et j’y resterai tout au long de ces pages, c’est le présent de ce livre, c’est son présent infini. »
Tout part du confinement avec l’idée de traduire « Le joueur d’échecs », une nouvelle de Stephan Zweig, où l’on voit le héros faire « semaine après semaine, l’expérience du confinement le plus absolu. »
Ce récit, construit comme un échiquier, a 64 cases ou courts chapitres, chacune évoquant un souvenir ou un proche de l’auteur. Jean-Philippe Toussaint sent la vieillesse l’habiter peu à peu, peut-être le moment de noter ses souvenirs, revenir sur une enfance heureuse et sur sa découverte de l’écriture.
Difficile d’entrer en littérature lorsqu’on est le fils d’Yvon Toussaint, écrivain, journaliste et rédacteur en chef du Soir.
L’écriture de ce livre très personnel, c’est aussi l’occasion de se pencher sur le travail d’écriture et la création. Ecrire, c’est prendre ses distances par rapport au monde extérieur
« Aujourd’hui, plus que jamais, dans un monde que la crise sanitaire a rendu hostile, je me sens en sécurité quand j’écris. »
L’auteur fait des aller retours dans ses souvenirs, des pas de côté lorsqu’il parle de tel ou tel ami. La présence discrète de son épouse Madeleine se découvre au fil des page, comme la mère et le père de l’auteur, mais, ne l’oublions pas, le principal personnage, c’est lui !
Tout cela ressemble à une partie d’échecs, au risque de paraitre, parfois, un brin décousu au lecteur.
Il y a de nombreuses pages consacrées aux échecs, autre passion de l’auteur, mais j’avoue m’y être ennuyée, n’étant pas adepte de ce jeu complexe.
Pour un lecteur comme moi qui a lu les romans de Jean-Philippe Toussaint, cette biographie peut être une prolongation intéressante à son œuvre. Pour les autres, je ne suis pas sûre que ce récit les passionne.
« Je veux saisir Monet là à cet instant précis où il pousse la porte de l’atelier,… où il entre dans l’atelier… »
C’est une lecture par le trou de la serrure de l’atelier de Monet à Giverny à travers les années de création des Nymphéas.
C’est un court texte, d’une pure beauté !
Merci @guillaume_broggio de me l’avoir fait découvrir.
« Pendant la guerre, plus que jamais, c’est dans l’art que Monet va se réfugier pour se tenir à l’écart du boucan du monde. L’atelier des Nymphéas sera le havre de paix qu’il élira pour ne plus penser aux tristesses de l’heure. » page 11
« Ce que Proust avait fait avec les mots… Monet le fera avec des couleurs et des pinceaux. » page 17
C’est à l’occasion de mon post sur le dernier roman de Jean-Philippe Toussaint qu’une personne m‘a laissé le commentaire suivant : « avez-vous lu « La Vérité sur Marie » ? Elle semblait insister. Immédiatement, je notai le titre, difficile à trouver dans les librairies de mon coin qui, étant donné l’immense quantité de livres publiés, n’ont plus de fonds, comme avant. J’ai fini par le dénicher dans une petite bibliothèque. Il est sorti en novembre 2009. Je le lis seulement maintenant. Il m’a fallu 15 ans pour découvrir cet incroyable texte. Mille mercis à celle qui me l’a conseillé, elle se reconnaîtra.
« La Vérité sur Marie » est un texte de haute volée, immense, envoûtant, avec une scène centrale d’une rare intensité. Toussaint écrit superbement, il nous entraîne, nous capte, nous impressionne. Il est magicien. On en ressort subjugué. Il faut lire « La Vérité sur Marie », pas pour Marie, personnage que je trouve sans intérêt, énervant, un peu daté pour le coup. On frôle un peu le cliché avec Marie. Non, en fait, le personnage central est un cheval, un pur-sang, qui se déploie dans une scène folle, au rythme insensé, une scène d’anthologie, inoubliable. Il y a beaucoup d’érotisme, de sensualité, de violence dans la prose de Toussaint. On marche en équilibre entre l’amour et la mort sans jamais savoir lequel des deux l’emportera.
Mais au fond, peu importe le sujet, c’est l’écriture qui prime, le style : Toussaint est comme Flaubert capable d’écrire un livre sur rien. Il ne se passe pas grand-chose dans les livres de Toussaint et c’est très bien comme ça. On n’en apprécie que davantage l’exceptionnelle beauté du style, les sonorités des mots, dont on se régale, et le rythme puissant des phrases.
Allez, je vous aurai prévenus, jetez-y un coup d’oeil, on en reparlera !
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Il est des livres rares où un écrivain donne à la fois de la flamboyance, de l’intime, de la compréhension, de la proximité. Jean-Philippe Toussaint avec « L’Echiquier » précise
« Je voulais que ce livre soit bien autre chose, je voulais qu'il soit une ouverture, une disponibilité, une liberté, une audace mais aussi un rempart contre le monde extérieur, un talisman, une égide. Je voulais que ce livre soit une réflexion plus ample sur la littérature. Je voulais que ce livre dise l'origine de ce livre, qu'il en dise la genèse, qu'il en dise la maturation et le cours, et qu'il le dise en temps réel. Je voulais que ce livre soit sensible, concret, malicieux, humain, ombrageux, imprévu, généreux. Je voulais que ce livre soit tout à la fois un journal intime et la chronique d'une pandémie, je voulais que ce livre ouvre la voie à la tentation autobiographique, qu'il soit une conjonction de hasards et de destinée, de contingence et de nécessité. … » p 188 – 189
Et c’est réussi. Il nous offre un livre multifacette en s’affichant :
- confronté au confinement (lié au Covid-19), avec les réflexions et pensées qui découlent, notamment sur le temps, la mort, le concept de crise, …
- en train de traduire une nouvelle de Stephan Zweig sur les échecs (très bien au demeurant et lu avec grand plaisir) ; avec des réflexions sur la particularité de sa traduction (étant bien meilleur aux échecs qu’en allemand) et traduisant naturellement « Eröffnung » par « défense » et non par « ouverture » » … et « eine neue Dame zu gewinnen (littéralement gagner une nouvelle dame ») par le précis : « faire Dame ». « La langue source, ce n’est pas l’allemand, ce sont les échecs » p 133
- tout en écrivant une sorte de biographie de moment clefs de sa vie en général et particulièrement de sa vie d’écrivain ; et comment le rapport au père (et aux échecs) a été déterminant. ;
- et en faisant de ce livre aussi « une sorte de journal de bord » (p 42)
Le tout en 64 pages … le nombre de case sur un jeu d’échecs.
On se laisse prendre au jeu et à l’intime de JP Toussaint dans cette échange à la fois structuré et libre.
« Quelques » citations :
A propos de sa traduction de Zweig : « Ce qu'il fallait viser dans cette traduction, c'étaient ces deux fidélités contradictoires, la fidélité à Zweig et la fidélité à moi-même. Sinon, à quoi bon me lancer dans une telle entreprise ? » p 33
« Par ailleurs, je voudrais dissiper deux malentendus.
1) La littérature n'a pas pour vocation de raconter des histoires.
2) L'écrivain n'a pas à délivrer de message.
La littérature est un art. Dans le meilleur des cas, il peut se dégager d'un livre une vision du monde, un rythme, une énergie, et un échange d'intelligence et de sensibilité peut s'opérer entre l'auteur et le lecteur. » p 38
« Ce peut-il que la crise du COVID-19 soit l'élément fortuit venu en quelque sorte fécondé la nécessité plus vaste qu'il y a toujours pour un écrivain d'aborder un jour l'autobiographie ? L'heure de l'autobiographie, pour moi, aurait-elle sonné ? » p 54
« Peut-être ça dit-il là d'un tropisme purement personnel, mais je me rends compte que, depuis le début du confinement, je suis sans cesse renvoyé en arrière dans le temps, comme sollicité par le passé dont il me semble entendre en permanence de faibles appels venus du lointain. Alors où on nous incite de toutes parts à réfléchir au futur, c'est vers le passé que je me tourne irrésistiblement. Je sens en permanence, dans mes rêveries ou dans ce que j'écris, le passé qui affleure.
…
Car, aux confins de ces grands fonds, à travers les eaux troubles et indécises du souvenir, c'est le terme du voyage qui se profile et c'est le visage de ma propre mort que je risque d'apercevoir dessiner dans le sable. » p 83 - 84
« Il y a, je crois, une géographie de la mémoire.
Ce sont les lieux, beaucoup mieux que les dates, qui laissent le passé faire soudain irruption dans le présent pour nous permettre de retrouver un instant intact et inchangée, l'essence même de ce qui est à jamais disparu. » p 103
Cf. aussi le « rapport symbolique très étroit que le jeu d'échecs entretient avec la mort. Les échecs, c'est, bien sûr, par l'intermédiaire du mat (al-shah mât, « le roi est mort »), la mise à mort symbolique du Roi adverse, du père, de l'adversaire, mais aussi l'expérience, concrète, de sa propre mort, et la peur qu'elle peut susciter déjà bien en amont de l'issue fatale, lorsque nous sommes en manque de temps et que, dans l'agitation et l'inquiétude, le regard errant sur l'échiquier et jetant un coup d'œil anxieux sur la pendule, on se rend compte que le temps qui nous est imparti se réduit comme peau de chagrin et que le drapeau de notre pendule ne va pas tarder à tomber. » p 109
« Pour Nabokov, un grand problémiste d'échecs développe les mêmes qualités qu'un grand écrivain : l'originalité, l'inventivité, la la concision, l'harmonie et la complexité. ..." p 140
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