"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Classique de la littérature américaine, « La route au tabac » publié en 1932 nous raconte encore une fois la Grande Dépression. J’imaginais un roman à la Steinbeck mais j’ai vite vu que l’on avait affaire à autre chose. Le ton n’a rien à voir… Chez Caldwell les hommes et les femmes sont amoraux, menteurs, mesquins, racistes, obsédés par le sexe et parfois affublés de malformations physiques. Il raconte la tragédie de la misère par le burlesque et on ne sait plus s’il faut rire ou s’il faut pleurer.
Voici l'histoire des Lesters, la famille la plus pauvre, la plus blanche, la plus trash et la plus libidineuse de la Géorgie. Jeeter, le patriarche, est métayer mais il ne peut plus cultiver ses terres puisque personne ne lui fait crédit pour acheter les graines ou le guano nécessaires. Sa famille survit dans une baraque en ruine. Rien à manger, rien à faire. Ada, sa femme, dépérit à cause de la pellagre ; Ellie May, leur fille de 18 ans, est nympho et a un bec de lièvre ; Dude, leur fils de 16 ans, est simplet et Pearl, la petite sœur âgée de douze ans, est déjà mariée au voisin. Les autres enfants (parce que en tout il y en 12) ce sont fait la malle les uns après les autres et ont coupé les ponts.
Les aventures de ces moins-que-rien du trou du cul de l’Amérique font grincer des dents. Les Lester s'engagent dans des actions toujours plus absurdes. Ils ne sont préoccupés que par la faim, par leurs désirs sexuels et par la peur de descendre un jour à un échelon inférieur de la société (celle des noirs). On rit de leurs pulsions, de leur rapport à la religion mais c’est bien l’indigence qui les a ramené à un état presque primaire baigné d’ignorance et d’égoïsme.
C'est une histoire désagréable, pour sûr. Caldwell se livre à un examen brutal de la déshumanisation par la pauvreté. Il le fait par l’humour, le cocasse, le loufoque, le scandaleux. Ce sont ses armes pour souligner la cruauté de la société. C’est dérangeant et malsain mais ça imprime sa marque et on imagine sans difficulté le tapage provoqué par la sortie de ce roman.
Traduit par Maurice-Edgar Coindreau
Au début des années trente, au fin fond du Sud des Etats-Unis, en Géorgie, le vieux Ty Ty et ses fils, pris par la fièvre de l’or, passent leur temps à creuser leur terre au lieu de la cultiver. Pendant ce temps, la beauté et la sensualité des filles et des brus du patriarche enflamment désirs et jalousies…
Immersion chez les blancs pauvres du Sud américain, ceux que l’on a nommé « White trash » tant leur niveau de vie et d’éducation les renvoie à un état intermédiaire entre « la bête et l’esclave, mais sans leurs avantages respectifs » pour reprendre les termes du journaliste et producteur radio François Angelier, ce roman s’ouvre sur une note burlesque – Ty Ty n’a pas compris que l’or qu’est supposée contenir sa terre mentionne le fruit de son travail de cultivateur, et non la présence de pépites -, s’installe dans la concupiscence charnelle qui obsède ses personnages, et finit dans la cruauté de destins voués à la catastrophe par la bêtise et l’ignorance.
Avec un cynisme noir et une crudité sans fard, Erskine Caldwell nous emmène au plus crasse de la misère sociale et intellectuelle de son époque, sur un fond de crise économique qui conduit les plus démunis à la détresse absolue et au drame, en tous les cas qui semble les réduire à une quasi animalité. Aussi crétins qu’obsédés, les personnages évoquent une bande de lapins occupés à copuler tout en creusant inutilement d’innombrables terriers qui détruisent leur habitat. Si confondante est leur pauvreté, de corps comme d’esprit, que, sur le fond plus bêtes que méchants, ils finissent par en devenir somme toute attendrissants.
Rien n’est ici édulcoré et, entre son humour aussi grotesque que pathétique, sa noirceur autant violente que désespérée, et son érotisme sordide quasi animal, il n’est guère étonnant que Caldwell vienne en tête des auteurs les plus censurés de l’histoire de la littérature américaine. Ce livre reste encore aujourd’hui profondément dérangeant.
« Les voies du Seigneurs » sont impénétrables, surtout lorsque vous comptez sur le prédicateur (laïc) Semon Dye pour vous y conduire ! Dans le très chrétien et conservateur Etat de Géorgie, à une époque où la ségrégation raciale bat encore son plein, Semon Dye arrive en voiture chez un fermier pauvre de la petite bourgade de Rocky Comfort. Fort de son statut autoproclamé de Prédicateur, il s’installe chez Clay Horey et prends ses aises, siphonne ses bouteilles, trousse sa jeune bonne noire, séduit l’ex-femme de Clay pour la prostituer, puis sa nouvelle (à peine 15 ans !), lui ravit sa voiture lors d’une partie de dés pipés, tout cela en a peine quelques jours. Clay est tiraillé entre la colère et la peur du Seigneur qu’incarne ce fumeux prédicateur. Le dimanche de prédication arrive enfin, et la séance va tourner à l’hystérie collective. A une exception près, tout le monde expie bruyamment ses péchés, mais cette exception plonge Semon Dye dans le désarroi, on pourrait presque croire qu’il était sincère ! Lecourt roman d’Erskine Caldwell n’est pas forcément très facile à lire et il faut un certain temps pour s’habituer à « l’exotisme » des personnages, au coté très « Clétus » des dialogues. Mais au bout de quelques chapitres, on est partagé entre incompréhension et fascination. L’autorité naturelle du prédicateur n’est finalement fondée que sur une seule chose : la religiosité quasi fanatique des « poor whites » de la « Bible Belt », il peut commettre successivement tous les péchés capitaux (à part le meurtre), tant qu’il a le mot « Seigneur » à la bouche, tout passe au culot. « Les voies du Seigneurs » est un roman qui dépeint à la fois une époque, ségrégationniste, et une géographie, celle du Sud profond où on est pauvre, mais où on trouve toujours à exploiter plus pauvre que soi, surtout s’il est noir ! La scène finale de prédication, qui fait un peu penser à la scène finale d’hystérie collective du « Parfum » de Süskind, suggère que Semon Dye était finalement presque sincère dans sa Foi, ce qui ne manque pas de laisser songeur… Pas de doute, « Les Voies du Seigneurs », est une sorte d’expérience de l’extrême !
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