"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
C’est à travers le « je » que le narrateur raconte sa drôle d’expérience, mais très vite, le lecteur peut lui-même devenir ce « je » !
Un voyage donc fort intéressant, personnel, troublant et peut-être même dérangeant... Car l’auteur nous invite indirectement à nous planter devant notre miroir ! Et là……Place au rendez-vous avec soi-même…
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C’est un sixième roman pour Dominique Lin, un auteur qui se plaît à observer l’effervescence du monde et les résonances chez l’homme. “Un goût de terre dans la bouche“, aux éditions Elan Sud, pose la question existentielle de son propre parcours sur cette terre, avec son lot de rencontres, d’opportunités saisies et manquées, et celles dont il aurait fallu s’écarter. Un matin, vous vous levez et vous ne vous reconnaissez plus dans le miroir. Quelque chose a bougé dans la nuit, l’enfant que vous avez été s’est réveillé, il vous a pris la main et ne vous lâche plus. Cet inconnu que vous êtes devenu, ce robot qui obéit aux défis imposés par le système, vous n’en voulez plus. Ce roman, aux accents fantastiques du conte, est un road trip intrigant qui se focalise sur le discernement d’un homme sur la vacuité de sa vie, cet inconnu pour ses rêves déchus qui ne retrouvera son identité qu’avec le mot fin.
“J’ai rendez-vous avez moi, mais je ne sais pas encore où je vais me trouver.” L’homme a 35 ans. Il découvre soudain dans le miroir qu’il ne connaît pas l’homme qui le regarde. Il gardera cette inconfortable révélation en lui les jours suivants, sans en parler à quiconque. Il se rendra au séminaire prévu par son entreprise, où il est un cadre dynamique qui court après le temps et les contrats. Il court tellement vite qu’il a perdu en chemin un peu de ses rêves, un peu de son âme. Alors qu’une tempête fait rage à l’extérieur et qu’une inondation menace, il quitte le séminaire et prend sa voiture pour rentrer chez lui. Cette inondation est un formidable prétexte pour s’enfuir, il n’imagine pas qu’il va affronter les éléments qui auront raison de lui… enfin, de son ancien “lui”. Car il décide de marcher droit devant lui, sans s’arrêter ni prévenir personne. Au cours de son périple, l’homme qui a choisi de tout abandonner fait des rencontres et retrouve le goût des autres et surtout de lui-même.
À l’heure du tout connecté et de la génération TGV, Dominique Lin fait l’éloge de la lenteur et de la saveur du temps. “Un goût de terre dans la bouche” se lit avec des images dans la tête. Celles des restaurants et des hôtels sans âme de seconde zone, mais aussi du don d’amour fulgurant et de passage. En cheminant au hasard de ses rencontres, le narrateur renoue avec son passé, les bons moments comme les moins bons, ceux où il avait encore des rêves plein la tête. Il s’interroge sur ses choix, ceux faits par obéissance et par défaut, ceux qu’il pensait être siens. L’abandon de sa vie aisée sans amour véritable lui fait lâcher ses peaux successives de déni et de concession qu’il avait accumulées en couches protectrices. Plus il s’enfonce dans la forêt de ses souvenirs, plus il se découvre. Et quand la nudité apparaît au détour d’un sentier, il devient enfin l’homme qu’il aurait dû être. L’auteur en merveilleux conteur voit de la poésie en toutes choses, oriente le regard différemment et montre la voie de la réconciliation avec son propre double grincheux ou mécontent.
Il y a quelques temps, Dominique Lin me contactait pour me demander de lire et chroniquer l'un de ses romans, ce fut pour moi Passerelles pour lequel j'eus un bel accueil, et garde une très belle impression. Alex reçut elle, Renaître de tes cendres et à son initiative, nous avons échangé nos envois ; merci pour cette idée Alex.
Encore une fois, Dominique Lin parle d'un homme normal, lun de ceux que l'on peut rencontrer dans la rue ou au bistrot ou même avoir dans ses connaissances, pas forcément dans tous les traits de caractère, mais dans certains : un homme de 50 ans, au chômage, veuf, qui ne sait plus quoi faire pour se sortir de cette spirale, qui trouvera une ressource dans la lecture de Diderot et l'écriture. Il se prénomme Léon (comme feu mon papa, c'est dire si le prénom me parle).
L'écriture de D. Lin est toujours aussi belle, parfois poétique, même dans le quotidien et non dénuée de sourire : "Au bout d'une heure, le bar se remplissait. Depuis la loi d'interdiction de fumer à l'intérieur, on ne sentait plus le tabac, remplacé par les effluves de pastis et les odeurs de cuisine mêlées, selon la volonté du Pacha, aux parfums d'Orient ou de la Méditerranée. Jeudi, c'était le couscous, seul jour où les histoires de riads bénéficiaient d'un accompagnement olfactif. Le Maghreb sur fond de sardines grillées du vendredi n'avait aucun sens, on lui aurait préféré le port de Marseille ou les côtes bretonnes, mais ils n'appartenaient pas à l'univers du Pacha." (p.13/14) Certes, le sourire ou le rire ne sont pas le propre de ce roman qui se penche plutôt sur les questionnements d'un homme arrivé au mitan de sa vie sans avoir rien construit. Pas gai, évidemment, mais profond. L'auteur réfléchit et fait réfléchir Léon sur le sens de la vie, sur la religion, les sectes, l'embrigadement en général fut-il spirituel ou social ("Adrien, tu connais la différence entre une religion et une multinationale ? - Non ? - La date de réunion. La religion, c'est le dimanche et la multinationale, le lundi matin..." [p.140]) la société de consommation, le prêt-à-penser comtemporain ("Combien de journalistes accolent le terme de philosophe à certains contemporains dont le discours relève parfois de la sottise ou de la ségrégation ! Ce n'est pas parce qu'on pense beaucoup qu'on pense bien et le bien n'a de valeur que s'il s'adresse au plus grand nombre, pas à une poignée de privilégiés ou d'intellectuels perdus dans des sphères hermétiques" [p.97/98]). De très belles pages également sur l'amour qui unissait Léon et Danièle, notamment les deux premières, sorte de prologue du livre et d'autres sur l'absence et sur la manière de penser à ses proches décédés, dont cette réflexion suivante que je fais mienne depuis longtemps déjà, mais quand c'est bien écrit, c'est encore mieux :
"Tu m'avais dit qu'il n'y avait pas besoin de se recueillir à une place précise pour penser à quelqu'un, comme il n'était pas nécessaire d'avoir un toit pour prier. Le souvenir d'un défunt ne se limite pas à des données géographiques, il habite celui qui reste, partout où il va." (p.129)
Vous l'aurez compris sans peine, j'ai aimé ce livre, autant que Passerelles, deux bonnes raisons pour vous initier à l'écriture de Dominique Lin, qui, il m'en excusera je l'espère, commet un anachronisme, pas essentiel à la bonne compréhension du livre et de ses personnages, mais qui fait désordre, en plaçant Denis Diderot (1713/1784), page 99, spectateur des campagnes napoléoniennes, qui n'auront lieu qu'après la mort du philosophe, puisque se déroulant entre 1789 et 1814. (Napoléon Bonaparte 1769/1821).
Sollicité par des auteurs assez régulièrement pour lire leurs oeuvres, je ne donne plus suite à ces demandes. Souvent parce qu'ils sont édités en e-books et que je ne suis ni équipé de liseuse, ni adepte de la lecture sur écran d'ordinateur. N'ayant jamais testé la liseuse, je peux évidemment revenir sur mes propos si un fabricant d'un tel appareil passant par ici me propose un de ses objets à titre gracieux (on ne sait jamais, avec un peu de chance, ça peut marcher). Néanmoins, je lis les mails et parfois même les premières lignes des livres des demandeurs lorsque c'est possible. Et là, après avoir lu le premier chapitre du livre de Dominique Lin, je fus intrigué et agréablement surpris. Je lui ai donc répondu et il m'a fait parvenir très gentiment un exemplaire de son roman dédicacé (merci à lui et à son éditeur, dont j'ai déjà parlé pour La dernière nuit)
Dominique Lin écrit la vie d'un homme tout simplement. Pas celle d'un "grand homme" qui laissera une oeuvre de quelque nature qu'elle soit, non celle de millions de gens : "Certaines personnes s'inscrivent dans la mémoire collective, d'autres se contentent de vivre leur temps discrètement. Pas de fait de guerre, pas de découverte, de théorie mathématique ou de citation philosophique. Il n'en reste pas moins qu'elles ont aimé, espéré, donné du plaisir ou de l'espoir à ceux qu'ils ont connu." (p.29) On est loin du fameux quart d'heure de gloire warholien qu'on met désormais à toutes les sauces, de ces personnes qui pour vivre ont besoin de se raconter entièrement sur les réseaux sociaux, de passer dans des émissions de plus en plus racoleuses et pitoyables (pour ce que je peux en voir sur le Zapping par exemple ou en entendre parler un peu partout, car même en ne s'y intéressant pas, on est quasiment obligé d'en avoir entendu parler ou d'en avoir vu des scènes désespérantes de platitude et de nullité). Non, Léon, est un homme profond qui a besoin de faire le point. Tous les questionnements y passent : pourquoi être né ici et pas là ? Pourquoi dans cette famille pauvre ? Pourquoi vivre seul avec sa mère ? Comment en est-il venu à ne plus apprécier ce travail qui le passionnait au départ ? S'échapper dans la lecture suffit-il à vivre pleinement une vie d'homme ? Etc, etc, ...
Subtilement et assez richement écrit (j'ai par exemple appris l'existence et la signification d'au moins deux mots : "vernal" = relatif au printemps et "allicier" = attirer, séduire) c'est un livre qui se mérite, qui se lit sans aucune longueur ressentie. L'auteur alterne les parties racontant la vie de Léon vue par un narrateur omniscient à la troisième personne du singulier avec des parties en italique, dans lesquelles Léon s'interroge, repense à sa vie d'enfant puis d'adolescent et d'adulte (écrites à la première personne du singulier).
J'ai noté beaucoup de pages qui m'ont plu ou touché, dans certaines desquelles j'ai pu me sentir concerné :
"Léon allumait rarement la télé [...] préférant se plonger dans l'immensité des livres. Il les préférait peu épais, persuadé que quelques pages suffisaient à exprimer l'idée de l'écrivain, le surplus n'étant que verbiage et digressions. [...] Les livres qu'il appréciait relevaient de la concision, de la ciselure." (p.40), je prends pour moi et en même temps, pour ce livre qui en est une illustration. Une autre phrase que j'aime beaucoup, presqu'un aphorisme tiré d'une réflexion plus générale sur la mort : "La mort, cette porte qui ne s'ouvre que dans un sens, est le seul rendez-vous garanti de notre agenda, tous les autres sont aléatoires." (p.41/42)
Pour résumer, vous avez bien fait Dominique de me solliciter, sans cela je serais passé à côté d'un livre très fin et très profond, bien écrit et point trop épais (157 pages).
Un auteur à découvrir forcément
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