« Nous sommes sous un arbre peuplé d’oiseaux invisibles ».
L’incipit est une fenêtre sur le monde de Liliana. Cristina Rivera Garza, mexicaine, écrit pour sa sœur Liliana. Un hommage d’une sœur pour celle disparue, et un plaidoyer pour la réhabilitation de la justice.
Trente ans après le...
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« Nous sommes sous un arbre peuplé d’oiseaux invisibles ».
L’incipit est une fenêtre sur le monde de Liliana. Cristina Rivera Garza, mexicaine, écrit pour sa sœur Liliana. Un hommage d’une sœur pour celle disparue, et un plaidoyer pour la réhabilitation de la justice.
Trente ans après le meurtre, le mot féminicide n’existait alors pas.
Elle quête une réponse, somme le pourquoi. La grande vague de ce qui n’est pas le deuil. La littérature seule, jugera. Ce livre est d’ombre et de lumière, sans pathos, avec un arc-en-ciel pour seuil.
Le meurtrier n’a jamais été condamné. Il a disparu. Les années ont passé. Mais pas la douleur, ni les articulations de l’incompréhension. Elle peint le passage de son enquête. Elle met du bois dans la cheminée. Attise les flammes jusqu’à se brûler. Comprendre.
Cristina va remonter la source. Franchir les diktats ubuesques de la justice mexicaine. Pousser les portes, vaincre les courants d’air et les réponses trop éloignées d’elle.
« Mais la juge Martha Patricia Zaragoza Villaruel n’est pas là. Nous sommes sur le point de pleurer ».
Sa requête est une noria d’espérance. Elle veut la vérité. Que l’assassin soit enfin jugé. Elle va rassembler l’épars, jour après jour, rencontre après rencontre. L’éphéméride de la courte vie de Liliana, sa petite sœur. Celle qui écrivait des carnets entiers. Semait des couleurs, des points et des virgules, du baume à lèvres, et des petits cœurs d’Hello Kitty. Les échanges épistolaires comme une galette des rois en partage.
Le 14 juin 2012, enfin , le féminicide est inscrit dans la loi comme un crime au Mexique. « Article 325 : Commet le crime de féminicide toute personne qui ôte la vie à une femme en raison de son sexe ». « Et le coupable ce n’est pas moi, ni mes fringues, ni l’endroit ». Le violeur, c’est toi ».
Le récit est un tourbillon de tendresse pour Liliana. Elle, si vive, enjouée, magnanime, liante, et vénérable. Liliana, qui taisait à ses camarades et à son cercle d’amis (es), sa relation toxique avec Àngel Gonzalez Ramos. Jaloux, intrusif, possessif, il était pour elle le danger suprême. Le loup prêt à attaquer. Insultes, coups et brimades, elle taisait ses bleus et inventait des chutes. Liliana a rompu. Mais la bête traquait la biche, à l’angle du mur violence, jusqu’au jour fatal, où Liliana n’est pas allée en cours. Où Liliana a été tuée à la veille de prendre son envol en tant qu’architecte. Cristina recueille les témoignages. Cherche le moindre indice. Tous répondent à sa quête. Le livre devient Liliana. « Une jeune fille désorientée, soumise aux maltraitances quotidiennes. Une enfant gentille et douce. Une étudiante exemplaire. Une innocente. Une imprudente. Avec un passé. Une femme pleine d’amour ».
Violence domestique, l’homicide sur conjoint. Scènes de jalousie. Liliana est prise au piège et va mourir. Elle, qui adorait écrire, plier le papier avec noblesse. Choisir la couleur selon la confidente (ou le). Le 15 juillet 1990, Liliana est décédée. Ce récit-enquête, ce livre des filiations, cet hymne pour elle, Liliana, est une barque qui glisse sur les eaux sombres. Écrire l’exutoire, le combat pour la justice, enfin.
La trame est un soupir infini. Une ode pour une sœur aimée. « Liliana est le nom que j’ai donné à ma liberté. Elle avait un langage unique. Et moi je rêvais sans arrêt de cet endroit ».
« Au milieu de l’hiver, j’apprendrais enfin qu’il y avait en moi un été invincible ». Albert Camus.
« Il y avait aussi la Liliana qui fouillait en vain le monde pour nommer la violence à ses trousses ».
Le deuil comme une écharpe autour du cou. Trente ans de patience avant d’affronter le rocher de Sisyphe. Cristina Rivera Garza est notre force. On arpente son témoignage avec une douleur infinie, et une furieuse envie de lui tenir la main. Ce livre à une capacité d’amour géante. Un élan de lumière invincible comme le titre si beau. Dédié à elles, et eux, mais pas lui, Liliana comme point fixe.
Le féminisme est une lutte de chaque instant. L’inexorabilité.
Traduit de l’espagnol (Mexique) par Lise Belperron. Publié par les majeures Éditions Globe. À noter : L’invincible été de liliana a reçu cinq prix prestigieux, dont le prix Rodolfo Walsh et le prix Xavier Villaurrutia.