"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Voilà un livre étrange et intrigant. Caroline Solé, dans D'après mon adolescence, revient sur ses jeunes années marquées par un mal-être extrême, qui la pousse jusqu'à une fugue en Angleterre, dans les bas-fonds de Londres. Rien de bien original, me diriez-vous... Détrompez-vous !
Si le thème est commun, son traitement sort de l’ordinaire. L'auteure, en effet, s'est plongée dans ses journaux intimes de l'époque - dont certains extraits sont reproduits à l'identique - pour entamer un dialogue à travers les années avec la Caroline d'alors, celle qu'elle était il y a une trentaine d'années. Comme dans une histoire de science-fiction se rencontrent deux personnes, non, une même personne, venant d'époques différentes. Les temps se mêlent, le futur envahit le passé quand la narratrice annonce à son interlocutrice d'hier ce qui va lui arriver ("Tu perdras ta virginité dans trois ans et deux mois") ; impression de vertige, d'entrer dans une spirale envoûtante, dans un cerveau en phase de dédoublement...
Cette discussion, qui s’apparente souvent à un monologue de l'adulte, est centrée sur le sexe, premier mot du livre - "le sexe, la grande affaire. La principale préoccupation de tous les élèves sans qu'aucun adulte ne vous en parle jamais" - sur la première fois qui hante l'adolescente. Impatience et inquiétude, trouble et envie se mêlent dans l'attente de cet instant si désiré, si craint. Enfermée dans sa vie, entre les murs étroits du collège puis prisonnière de ceux guère moins épais du lycée, et dans son corps, la jeune fille rêve de liberté puis, peu à peu, d'écriture. Se développent ainsi ces trois aspirations - aimer, respirer, créer - qui traverseront les années pour aboutir à la Caroline Solé actuelle.
Aussi impudique qu'élégant, aussi cru que traversé d'élans poétiques, ce texte transforme le réel en un roman qui fait de son sous-titre - Journal intime - un mensonge, voire une trahison. La Caroline Solé jeune aurait-elle voulu que ses émois couchés sur papier soient publiés ("Pourquoi tu racontes tous ces détails intimes ? Tais-toi ! on va se moquer de moi") ? Peut-on croire à l'honnêteté des mots qui jaillissent derrière la très juste couverture, où une simple silhouette rose, butée ou boudeuse, semble tout dire de l'adolescence ? Ne sont-ils pas, comme dans toute autobiographie, une vision a posteriori, bien sûr, mais masquée par ces fragments de journaux intimes égrainés çà et là, comme un leurre d'authenticité ? Se pose aussi la question du destinataire : à qui s'adresse D'après mon adolescence ? L'écrivaine écrit-elle pour elle, comme pour se purger de ce passé, lui régler son compte et l'intégrer définitivement à sa personne ("J'ai tenté d'assembler des bribes de mon passé pour recoudre le fil de mon histoire") ? Parfois, elle se semble parler à ses parents, parfois à tous les adolescents qui trouveront en ses pages le miroir des tourments de leur âge... A moins que ce ne soit à la fille qu'elle n'a pas ?
Comme beaucoup de grands lecteurs, pendant bien des années, je n’ai juré que par les gros pavés, ces énormes briques de plus de cinq-cents pages qui constituaient, à mes yeux, les seuls livres suffisamment denses pour être véritablement intéressants … Mais progressivement, mon avis sur la question change radicalement, et je me tourne de plus en plus volontiers vers ces tous petits livres qui n’ont l’air de rien mais qui ont énormément à nous apporter. Il est vrai que je suis souvent très frustrée de tourner déjà la dernière page alors que je viens seulement de me poser confortablement dans mon canapé pour lire, mais cela ne m’empêche nullement d’énormément apprécier ces petites lectures express ! Car certains messages n’ont pas besoin de longs discours pour être délivrer, et c’est parfois les romans les plus courts qui sont aussi les plus percutants. Vous vous en doutez surement déjà, mais La pyramide des besoins humains, ce minuscule petit livre au titre particulièrement intriguant, se situe dans cette catégorie : bref, certes, mais essentiel.
Christopher, quinze ans, a fugué de chez lui pour échapper aux coups de son père. Depuis plusieurs mois maintenant, son seul domicile, c’est le petit mètre-carré de trottoir qu’il partage avec son ami Jimmy, ses seules possessions, ce sont les vêtements qu’il a le sur le dos et le sac de couchage « généreusement offert » par une œuvre caritative, et ses seuls repas, ce sont ces quelques misérables hot-dogs trop épicés qui coutent une pièce. Sa vie toute entière bascule le jour où, sur un coup de tête, il pénètre dans un cybercafé pour s’inscrire au nouveau jeu de téléréalité « La pyramide des besoins humains », basé sur la théorie de Maslow qui classe les besoins humains selon cinq catégories – physiologiques, de sécurité, d’amour, de reconnaissance et de réaliser, chaque palier inférieur devant être satisfait pour pouvoir passer au niveau supérieur. Quelles chances a-t-il, lui le jeune SDF anonyme, de progresser dans ce jeu alors qu’il ne possède rien d’autre que sa misère ? Aucunes. Du moins, c’est ce qu’il imaginait …
Cent-vingt-cinq pages, cela peut sembler bien peu … mais croyez-moi, c’est amplement suffisant. Car l’autrice nous entraine dans un monde qui coexiste avec le nôtre, mais que nous évitons soigneusement de regarder : celui des sans-abris, des mendiants, des éclopés de la vie. Celui de la misère dans toute sa « splendeur » : Christopher ne possède littéralement rien d’autre que les vêtements qu’il porte et le duvet qu’il transporte. Quelques pièces, durement acquises ou glanées au sol, sont son seul salaire. Et sa seule demeure, c’est ce misérable renfoncement au fond d’une rue un peu plus tranquille que les autres. Son seul réconfort, c’est le lampion rose que Suzie, qui se prostitue dans l’immeuble d’en face, allume chaque soir sur le rebord de la fenêtre. Christopher n’a que quinze ans, et chaque jour, dans les yeux des passants, c’est le dégout qu’il voit alors qu’on change précipitamment de trottoir pour ne pas s’approcher de lui. Caroline Solé nous plonge sans concession dans cet univers sordide de la rue, elle ne nous laisse pas la possibilité de nous dérober. Mais sans jamais éveiller en nous une pitié mal placée, juste une révolte sourde face à ces injustices et ces inégalités.
Mais ce livre ne s’arrête pas à nous décrire le dur quotidien de ces habitants de la rue : il pointe surtout du doigt l’hypocrisie de notre monde. Les yeux rivés sur l’écran de leurs téléphones, animés d’une fascination morbide pour la vie privée des autres, des centaines de milliers d’individus votent pour ce mystérieux candidat dont parlent tous les journaux du pays … mais continuent de lui cracher dessus « dans la vraie vie », comme s’il était un sale cafard qu’il faudrait écraser d’un coup de savate et non un adolescent dans le besoin. Tandis que les uns surconsomment, changent de téléphone portable trois fois par ans, mangent au restaurant plusieurs fois par mois tout en jetant à la poubelle des quantités astronomiques de nourriture, d’autres meurent de faim et de froid dans les rues. Et le plus effarant, finalement, c’est que les producteurs de ce jeu malsain vont se faire de l’argent sur ce pauvre gosse sans songer une seule seconde à lui venir en aide : tant qu’eux font de l’audience et du chiffre, tout va bien, ce gamin peut crever dans son coin sans que cela n’émeuve personne. Je sais, dit comme ça, c’est cruel, mais ne nous voilons pas la face, c’est ainsi que fonctionne notre monde, notre présent.
C’est donc un roman incroyablement poignant et révoltant que nous offre l’autrice, un roman qui vous broie le cœur et vous prend aux tripes. Aussi étonnant que cela puisse paraitre, on s’attache facilement à Christopher, ce jeune homme bien trop désabusé et cynique pour son âge, cet adolescent qui a tiré tous les mauvais numéros de la vie mais qui trouve encore le moyen de se satisfaire ironiquement de sa situation. Ses mots nous malmènent, nous interpellent. Ils mettent le doigt là où ça fait mal pour mieux mettre en évidence les contradictions de notre monde, la superficialité de notre société où le paraitre est plus important que l’être. « Ces jeunes qui se filment avec leur portable : celui qui vit, c'est celui qui a sa tête sur l'écran et que tout le monde regarde ou celui qui prend la photo ? » nous demande Christopher, interpellé par cette dualité entre la réalité et le mirage que l’on veut montrer aux autres, comme si c’était honteux d’être soi … A sa manière, Christopher est bien plus lucide que nous : lui le « marginal » a un regard bien plus objectif que ceux qui rentrent aveuglément dans le moule de la normalité. C’est aussi douloureux que libérateur de voir notre mode de vie ainsi décortiqué, dépouillé de sa quasi-sacralité, cela donne envie de créer un nouveau monde plus beau, plus juste …
En bref, vous l’aurez bien compris, malgré sa brièveté, ce roman a bien des choses à nous apprendre, bien des messages à nous transmettre. On se laisse happer par le témoignage de cet adolescent qui, en quelques instants, a basculé du « côté obscur » de la vie. On se rend ainsi compte qu’une vie, finalement, tient à très peu de choses, et qu’on devrait être reconnaissant pour ce qu’on a plutôt que de se plaindre sur ce qu’on n’a pas. Ça peut sembler surprenant, mais j’ai énormément apprécié la rudesse de ce récit : contrairement à certains auteurs qui tiennent à tout prix à « rendre plus supportable » la réalité, Caroline Solé nous l’offre sans filtre, sans enrobage artificiel. Mais sans jamais tomber dans le pathétique non plus : elle ne veut pas que nous plaignions Christopher, de cette pitié condescendante et bien-pensante. Tout est très bien dosé, et la narration elle-même oscille entre des passages très durs et des moments plus doux, de la même manière que le quotidien de Christopher est tantôt terrible, tantôt supportable. Bien que court, c’est donc un livre à ne pas mettre en toutes les mains et à réserver aux lecteurs les plus matures qui seront plus à même d’appréhender les messages qui se cachent entre les lignes de ce récit.
https://lesmotsetaientlivres.blogspot.com/2020/11/la-pyramide-des-besoins-humains.html
J'ai eu un peu peur au début avec le premier personnage (une ado de 14 ans suicidaire) mais la suite a été une bonne surprise. De l'humoir noir et de la réflexion sur la célébrité, le bonheur, le rapport entre les gens. A lire !
C'est l'histoire d'un adolescent de 15 ans qui a fugué. Il s'est retrouvé à dormir dans la rue à Londres. Comme il n'avait plus rien à perdre, il a commencé au jeux de la pyramide des besoins humains . C'est une télé-réalité où tu dois prouvé que tu combles tout tes besoins. Cependant il vit dans la rue, comment a il pu alors devenir célèbre grâce à ce jeux ?
L'idée de ce roman est intéressant et plutôt originale. L'opposition de la pyramide des besoins humains à un jeune sans abris rend l'oeuvre philosophique. De plus l'écriture est simple et accessible à tous, ce qui est bien en soit.
Cependant l'écriture est peut être un peu trop simple. Ce roman a beaucoup potentielle, et sa simplicité et sa courte histoire arrête nette son élan. Il aurait manqué de quelques pages, quelques pensées plus profondes, plus d'émotions pour que cette histoire est vraiment un impacte sur le lecteur.
Malgré tout j'ai apprécié ma lecture et je la recommande à tous.
Sur ce je vous souhaite à tous de très bonnes lectures .
"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
L'auteur se glisse en reporter discret au sein de sa propre famille pour en dresser un portrait d'une humanité forte et fragile
Au Rwanda, l'itinéraire d'une femme entre rêve d'idéal et souvenirs destructeurs
Participez et tentez votre chance pour gagner des livres !