Avec notre lecteur du mois d'octobre, découvrez Arturo Pérez-Reverte et son dernier roman "Deux hommes de bien"
Avec notre lecteur du mois d'octobre, découvrez Arturo Pérez-Reverte et son dernier roman "Deux hommes de bien"
Dominique Lemasson, lecteur du mois d'octobre, parlez nous de vous !
Baie d'Algésiras 1942. Elena Arbues, 27 ans, est libraire à la Linea, ville frontalière avec Gibraltar, territoire britannique en guerre aux côtés des Alliés, enclavé dans une Espagne franquiste officiellement neutre mais aux penchants germanophiles. Elle a perdu son mari deux ans auparavant, marin dont le navire marchand a été détruit par les Britanniques, un coup de canon mal ajusté alors que c'était un navire français qui était visé.
Un jour, elle découvre sur la plage un soldat blessé, « étrange Ulysse sorti de la mer, vêtu de caoutchouc noir, saignant du nez et des oreilles : corps dur et musclé, cheveux mouillés, profil de statue grecque, bien ciselé, sur lequel le bronze d'un casque antique s'adapterait naturellement. » Elle fait le choix de le sauver au lieu d'appeler la Guardia civil. C'est un Italien.
Arturo Perez-Reverte s'est emparé d'un fait historique totalement méconnu pour ma part. Durant la Deuxième guerre mondiale, quatorze navires britanniques stationnés à Gibraltar ont été torpillés par des soldats-plongeurs italiens. Les scènes d'attaque sont absolument remarquables tant la maitrise de l'auteur est évidente pour traquer les détails tout en proposant d'amples plans séquences qui immergent le lecteur avec force . On découvre ainsi un mode opératoire offensif réellement inouïes puisque les Italiens en binôme chevauchaient des torpilles appelées maiales avant d'en détacher l'ogive pour la placer sous la coque d'un cuirassé ou d'un porte-avion.
C'est dans ce cadre épique que nait et se développe l'histoire d'amour entre Elena et Teseo, le plongeur italien rescapé. Pour la raconter, Arturo Perez-Reverte choisit d'alterner un récit classique à la troisième personne et enquêtes d'un journaliste ( un double, à moins que ce ne soit l'auteur lui-même ) qui cherche à retrouver les protagonistes de cette histoire en 1982, Elena comprise. Je ne suis pas sûre que ce procédé soit pertinent car je n'y ai pas trouvé de plus value, trouvant même que cela pouvait avoir tendance à freiner l'élan narratif des parties 1942.
Ce dispositif a tout de même l'intérêt de faire entendre la voix d'Elena, personnage très intéressant mais très hermétique car loin de la flamboyance de certaines grandes héroïnes amoureuses. L'histoire d'amour en elle-même est très pudique, presque trop, j'aurai voulu plus m'enflammer pour comprendre les ressorts de cette passion dont les émotions exprimées sont excessivement retenues. Mais Elena est une héroïne intrigante justement parce que sortant des standards habituels.
« Nous tombons amoureux, en réalité, de l'image de l'amour que vous avons dans la tête, nous y projetons les livres que nous avons lus, les films que nous avons vus. Nos rêves, nos désirs, nos tristesses et nos joies. » dit Elena qui refuse de dire au narrateur pourquoi elle a pris des risques pour aider les Italiens après avoir retrouvé Teseo.
Elena est une lettrée et voit ce qu'elle vit, la guerre aussi, à travers le prisme de L'Iliade de Homère, elle dont le chien se prénomme Argos comme le chien d'Ulysse, et tient une librairie nommée Circé. Elle, la nouvelle Nausicaa voit en Teseo un nouvel Ulysse qui acquiert une dimension héroïque par le regard d'Elena projetant sur lui ses lectures. Ce prisme littéraire en fait imprègne tout le récit. Les plongeurs italiens sont des héros car leurs actes sont des exploités. Ils n'agissent pas par idéologie fasciste mais en tant que soldat qui font leur devoir, juste des héros antiques acceptant le tragique de la condition humaine. Elena y compris.
« Je voulais voir leur sang couler, ne serait-ce qu'un peu, a-t-elle poursuivi. Contribuer à le faire couler. Démentir le rôle passif de la femme qui attend au foyer tandis que les hommes règlent leurs comptes avec l'Histoire... Je me refusais de regarder la plaine de loin, du haut des remparts de Troie : moi aussi j'étais capable de mettre le feu aux noirs vaisseaux échoués sur le rivage. »
Et c'est assez troublant voire déstabilisant de lire un roman de guerre qui a pour cadre la Deuxième guerre mondiale, une guerre marquée par une polarisation idéologique implacable, sans lecture idéologisante, sans chercher à établir une frontière nette entre le Bien et le Mal, ne serait-ce que pour la flouter à sa guise au grès de l'évolution des personnages. Arturo Perez-Reverte se fout complètement du politiquement correct et ne fait pas de son roman une dénonciation tonitruante de la guerre et du camp de l'Axe. Il nourrit plutôt une réflexion très intéressante sur le patriotisme, coquille vide qui résume ou simplifie des choses beaucoup plus complexes alors que « chaque être humain est une boîte à surprises ».
J'ai un peu de mal à situer mon ressenti par rapport à ce roman, mais ce qui est sûr, c'est qu'il m'a moins plu que d'autres romans de l'auteur qui m'avaient plus emportée ( Le Tableau du maître flamand ou Le Maître d'escrime ).
Un magnifique roman d'amour, d'aventure et d'histoire ... la grande Histoire, celle des années 42-43, avec un épisode assez peu connu, les plongeurs italiens qui sabotaient les bateaux britanniques entre Gibraltar et Algésiras, les "maiale", les torpilles humaines à ogive explosive, les attaques sous-marines, une guerre occulte et silencieuse. Elena rencontre Teseo sur une plage, il est blessé, sans savoir qui il est, elle le sauve, son destin va basculer. Le roman va tourner autour du courage des hommes et des femmes, de cet amour et de l'amour des livres qui nous mènera jusqu'à Venise, dans une petite librairie Via Corfù. C'est bien écrit, soutenu, documenté, c'est Arturo Pérez-Reverte, écrivain immense dont le talent n'est plus à prouver.
Comme le laisse supposer le titre : Le tango de la Vieille Garde, c’est cette danse qui tient la vedette pour une bonne partie du roman qui devient de plus en plus addictif avec un suspense réussi.
En fait, c’est Max Costa le héros du livre. Cet Argentin qui a grandi dans les faubourgs de Buenos Aires, est un danseur mondain, un fameux danseur de tango qui séduit toutes les femmes, ou presque.
Arturo Pérez-Reverte, dans ce roman, me fait découvrir une société qui m’est complètement étrangère. Ces gens baignent dans le luxe, vivent dans les meilleurs hôtels et méprisent le personnel, celui qui est aux petits soins et consacre toute son énergie pour leur faciliter la vie. Il y a bien quelques pourboires mais…
En 1928, Armando de Troye (43 ans) se rend à Buenos-Aires, avec son épouse, la belle Mecha Inzunza, pour y composer un tango qui lui permettrait d’éclipser le fameux Boléro de Ravel.
Nous sommes donc sur le Cap Polonio, un transatlantique. C’est là que se produit la rencontre électrique entre Mecha et Max qui lui fait danser le tango, danse qui devient vite sensuelle et érotique.
En parallèle, l’auteur me fait retrouver le fameux Max, à 64 ans. Il est chauffeur du docteur Hugentobler qui a fait fortune en soignant les riches juifs traumatisés par les camps. Nous sommes à Sorrente, Italie, de l’autre côté de la baie de Naples, avec le Vésuve en toile de fond. Max profite du départ de son patron pour aller vivre dans le grand luxe des hôtels de Sorrente. Là, il reconnaît une femme…
Amour, tango, échecs, services secrets, ce roman est dense, surtout dans sa seconde partie qui permet de connaître davantage le fameux Max. Celui-ci, à Buenos Aires, avait accepté de piloter de Troye et son épouse dans les quartiers populaires où il a grandi. Là, le musicien s’était encanaillé et surtout, avait découvert les origines du tango dont l’auteur détaille l’évolution. C’est le fameux Tango de la Vieille Garde.
Comme je l’ai signalé, l’autre pôle d’attraction du roman s’attache aux échecs puisque, à Sorrente, le jeune Jorge Keller affronte le champion russe, Sokolov. Arturo Pérez-Reverte, comme pour le tango, s’est minutieusement documenté et en fait profiter ses lecteurs sans toutefois les noyer dans trop de technique.
Entre Buenos Aires et Sorrente, prend place l’épisode niçois, en 1937. Max a 29 ans. Il est marqué par son passé de soldat, passé qu’il a tenté d’oublier en tant que danseur mondain. À ce moment-là, le monde est en ébullition. Les nazis prospèrent en Allemagne. Mussolini a mis l’Italie à sa botte… et Franco met l’Espagne à feu et à sang pour renverser le gouvernement républicain démocratiquement élu.
Voilà un minimum pour situer ce roman et cadrer ses principaux personnages. Arturo Pérez-Reverte utilise souvent des mots en français que François Maspero, le traducteur, fait ressortir en italiques. Les descriptions très sensuelles peuvent aller jusqu’à un érotisme torride, fort compréhensible, vu les relations entre les deux principaux personnages. Caractères et tenues sont parfaitement décrits. Cela donne une excellente étude psychologique de chacun et de très pertinentes réflexions sur la vie même ; le luxe dans lequel évoluent les protagonistes est souvent indécent.
Je note aussi un grand talent d’écriture pour mener dialogues et sous-entendus, laisser planer des menaces sourdes, des implications politiques révélatrices pour chaque époque. Le passage habile du dialogue direct au style indirect rend les discussions très vivantes.
Enfin, je suis ému au final par cette tendresse énorme ressentie au moment où Mecha et Max tentent de faire le bilan de leur amour ; lui le voleur, elle la grande dame à qui rien ne manque, ont réussi à m’emmener au bout d’une histoire folle, une histoire qui m’a tenu en haleine jusqu’au bout.
Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2024/03/arturo-perez-reverte-le-tango-de-la-vieille-garde.html
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