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Connaissez-vous l’écrivain contemporain dont les œuvres ont été adaptées neuf fois au cinéma et quatre fois à la télévision ?

Connaissez-vous l’écrivain contemporain dont les œuvres ont été adaptées neuf fois au cinéma et quatre fois à la télévision ?

Si vous répondez Arturo Pérez-Reverte, c’est sans doute que vous partagiez l’impatience de Dominique Lemasson  à découvrir son dernier roman Deux hommes de bien.

 

L'avis de Dominique : Souffrez donc (comme on disait au XVIIIème siècle) qu’on vous en dise un mot.

« Charles III a été un bon roi dans la limite de ce que l’on pouvait en attendre » et, en dépit de l’opposition de l’Inquisition et de la papauté, il a autorisé l’Académie royale espagnole à se procurer les vingt-huit volumes de la fameuse Encyclopédie publiés entre 1751 et 1772 sous la direction de Diderot et D’Alembert. Plus facile à dire qu’à faire ! En 1780, se procurer un des 4400 exemplaires de la collection est une aventure des plus risquées. Deux académiciens parlant le français sont chargés de se rendre à Paris pour tenter de trouver et rapporter ce que l’Europe entière considère comme le phare de l’ère des Lumières.

Point de navires ni de cartes marines, on ira par voies terrestres de Madrid à Paris en passant par Bayonne. Il est rare que les académiciens soient de première ou même de seconde jeunesse, les nôtres n’échappent pas à la règle : Don Pedro Zarate est un marin à la retraite qu’on appelle à l’Académie l’Amiral, Hermogenes Molina est un bibliothécaire qui n’a jamais quitté l’Espagne et « n’a plus l’âge ni la force d’encaisser de telles fatigues ». Le premier est agnostique et le second catholique pratiquant.

Il y a aussi, comme dans toute bonne chasse au trésor, des opposants. Ceux-là sont également académiciens et assez sournois pour commanditer un spadassin chargé de faire échouer la mission. La route passe par Meung sur Loire (clin d’œil à D’Artagnan au tout début des Trois Mousquetaires), on fait le coup de feu pour échapper à des bandits de grand chemin, un policier véreux tend une embuscade, l’ambassadeur d’Espagne se désintéresse de la mission mais présente l’abbé Bringas, un compatriote exilé qui, moyennant finances, doit les aider à trouver ce qu’ils cherchent tout en leur faisant découvrir le Paris pré-révolutionnaire.

Tous les personnages sont authentiques, le spadassin pourrait être le capitaine Alatriste  ou l’un de ses frères d’armes. Il a perdu son honneur un jour au Portugal et parfois, le vieux lieutenant courageux qu’il a laissé partir seul au combat et à la mort vient le hanter. On découvre que Bringas fut plus tard un des plus sanguinaires membres de la Convention et qu’il eut le privilège de monter à l’échafaud le même jour que Robespierre, juste après Saint Just. Il faisait partie du petit nombre de détenus libérés de la Bastille le 14 juillet 1789 où il séjournait selon lui pour ses écrits séditieux mais plus vraisemblablement selon les historiens pour commerce de pornographie ! On croise un charlatan qui se dit médecin, entend soigner un rhume par une saignée et se nomme Marat. On mesure l’abîme séparant les élégants du faubourg Saint Honoré des spectres survivant rue des Rats ou rue du Pet-au-Diable. Nos académiciens courent les libraires et rencontrent, au café Procope, Condorcet, D’Alembert, Bertenval et Franklin sans oublier (ah les échecs tellement présents dans l’œuvre de Pérez-Reverte) Philidor qui « joue mentalement…(sans) échiquier ou adversaire…seul contre le monde ». On comprend, à travers Bringas, ce que la Révolution et ses bains de sang doivent aux écrivains, poètes, philosophes, avocats médiocres et jaloux du talent et du succès de leurs confrères.  

On philosophe avec D’Alembert « nous n’avons pas fait l’Encyclopédie pour ça (la révolution sanglante) », « pour notre révolution nous n’avons pas besoin d’autres armes que celles des livres et des paroles » mais Bringas a le dernier mot « forger l’homme nouveau va nécessiter une étape intermédiaire…il n’y aura d’école possible que là où l’on aura dressé un bon échafaud…il faut éliminer les ennemis du progrès…en séduisant les membres de la classe dirigeante…que leurs cœurs, leurs intérêts ou l’air du temps conduisent vers les Lumières puis…se substituer à eux…c’est bien simple : on les extermine sans pitié»

L’Amiral se voit provoqué en duel par l’amant d’une belle qui a jeté les yeux sur lui. Vingt ans sans avoir tiré l’épée, vingt ans de plus que son adversaire, Don Pedro saura-t-il se tirer d’affaire ? Saura-t-il aussi se tirer d’affaire avec la coquette qui reçoit chez elle, dans sa chambre, pour le petit-déjeuner.

C’est une très belle et très riche aventure remarquablement contée (si vous ne vous sentez pas trempés jusqu’à l’os comme le cavalier de la page 146, c’est à désespérer) avec le sens extraordinaire du détail qui caractérise tous les romans de Pérez-Reverte. Ici, il nous offre le plaisir rare, en préambule puis à l’intérieur de son récit, de nous dévoiler son travail de documentaliste sur les traces de ses deux héros. C’est aussi passionnant que l’histoire de cette chasse au trésor dont voici les premières lignes:

 « Imaginer un duel à l’aube, dans le Paris de la fin du XVIIIème siècle, n’est pas difficile. Le raconter par écrit est plus compliqué. Le tout est d’obtenir du lecteur qu’il voie ce que l’auteur voit ou imagine. De devenir le regard de l’autre, celui qui lit, et de s’effacer discrètement afin que ce soit lui qui fasse corps avec l’histoire qu’on lui raconte. Celle de ces pages demande un pré couvert de givre au petit matin, et une lumière diffuse, grisaillante, pour laquelle il serait utile de recourir à la douce brume, pas trop épaisse, qui s’élevait le plus souvent des bois aux alentours de la capitale française dès les premières lueurs du jour…Ce qui doit attirer notre attention, ce sont les deux hommes immobiles qui se font face…du groupe assemblé sous le couvert des arbres vient une voix et les deux hommes lèvent lentement leur épée »… maintenant poursuivez la lecture !

Finiront-ils par dénicher leur Graal ? Seront-ils capables de le défendre ? Sont-ils prêts à mourir pour lui ? Assurément car ce sont « Deux hommes de bien » tandis qu’Arturo Pérez-Reverte est un Grand d’Espagne.

© Dominique Lemasson

 

 

Merci Dominique pour cette chronique très complète.

Retrouvez notre lecteur du mois d'octobre et ses réponses à nos questions ICI.

 

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