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Alors qu’il prépare un déménagement et s‘affaire au délicat déplacement des dix mille volumes de sa bibliothèque, l’auteur retrouve son vieil ours en peluche, oublié depuis quarante ans dans un tiroir. Une marée de souvenirs remonte alors à la surface.
Pour Allen S. Weiss, sa « bibliothèque musée », si soigneusement constituée et rangée, est toute sa vie et plus encore : « préférant me définir par mon écriture plutôt que par ma nationalité, mon genre, ma race, ma sexualité ou toute autre forme d’auto-identification, il est évident que ma bibliothèque est la matrice de mon identité, qu’elle exprime les linéaments de mon âme ». Il va même plus loin : « une bibliothèque est une forme d’inconscient de la personne », une source dont ses propres œuvres sont « une sorte de distillation ou de sublimation ». Quand il écrit, c’est le fantôme de sa bibliothèque qu’il a en tête et qui l’inspire.
Aussi, lorsqu’il se lance dans l’inventaire de ses livres lors de leur mise en cartons, l’écrivain s’apprête à en tirer une sorte d’autobiographie, dessinée au fil de ses acquisitions et du progrès de ses croyances et de ses connaissances. De fait, même s’il ne cite que peu de titres, il est clair que ce texte nourri de tant de lectures préalables est celui d’un érudit, qui a par ailleurs déjà signé une palette d'ouvrages tous surprenants et atypiques, sur des sujets aussi variés que l’art brut, le théâtre d’avant-garde, la radio expérimentale, le paysagisme et la gastronomie.
Mais voilà qu’entre poussière et cartons resurgit à l’improviste ce vieux Teddy, symbole oublié d’un inconscient encore plus puissant, car plus fondamental et plus enfoui : celui de la petite enfance et de ses terreurs, des monstres à la cave et des fantômes au grenier, dont pas plus que du détail de sa bibliographie, l’on ne percevra rien de précis, si ce n’est l’ombre de parents réchappés de la Shoah et le spectre de la paranoïa maccarthyste dans l’Amérique des années cinquante. Dès lors, c’est une toute autre histoire personnelle qui s’impose à la mémoire d’Allen S. Weiss, dictée par un vieil ours mité qui se révèle étrangement parent de ces poupées et marionnettes qu’il a mises en scène au théâtre, ou qu’il a filmées dans un documentaire consacré aux inquiétantes Poupées des Ténèbres de Michel Nedjar.
Le résultat est un court ouvrage déconcertant, labyrinthique jusqu’à en paraître presque abscons, clairement métaphysique et érudit dans son tissage de références et de réflexions littéraires, artistiques et philosophiques, et finalement attachant dans sa lutte contre ses fantômes et dans sa passion absolue pour les livres et ce qu’ils représentent. Un Objet Littéraire Non Identifié pas si facile d’accès, mais néanmoins troublant.
L’ignorance de la poésie est un remords qu’entretiennent des lectures périphériques. Baudelaire ! « Le charivari », le dandy, dernier romantique et primitif d'un art nouveau (comme le disait Cézanne de sa peinture). A son enterrement : « - Qui était ce jeune homme ? On dirait un poète. - Oui, c’est un poète, un vrai parnassien, qui a récemment publié son premier livre, Poèmes saturniens. Il a bien choisi son dieu. Il s’appelle Verlaine. Paul Verlaine. On dit déjà que c’est lui qui fera de « baudelaire » un adjectif. »
« Et sur la bière où gît mon rêve pourri
Beugle un De Profundis sur l’air du Tradéri. »
Mais revenons aux Immortels. Sur un conseil de Sainte-Beuve, Baudelaire se présente à l’Académie, au fauteuil de Scribe « le plus grand négrier de la littérature française » , non, à la réflexion à celui de Lacordaire « le prédicateur romantique ». Il faut rendre des visites protocolaires, Baudelaire dispose d’un cahier de cuir noir où figure le panégyrique des 40, complété d’un commentaire manuscrit : « Broglie, à éviter père et fils », « Guizot, à éviter comme la peste », « Hugo, impossible [en exil] », « Mérimée, une porte hermétique ». La visite au vieux Vigny est chaleureuse, Lamartine est plus distant. « Victor Cousin, horreur », « Villemain [secrétaire perpétuel], merde », etc. Il n’aura pas une seule voix mais aura pris des notes pour ne pas écrire « Le livre bouffon » ; 150 ans après Allen S. Weiss - essayiste franco-nippo-américain en fait son premier roman. C’est léger, instructif, parisien, brillant. Le prochain « Livre du bouffon » pourrait être celui du fraîchement élu François Weyergans mais aucun académicien n’a encore osé l’exercice de son vivant.
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