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La riposte de Silvia Avallone pour Marina Bellezza aux Explorateurs

« Elle est l’enfant parfait de l’Italie de ces dernières vingt années »

La riposte de Silvia Avallone pour Marina Bellezza aux Explorateurs

Marina Bellezza fait partie des romans préférés des Explorateurs parmi les livres de la rentrée littéraire d’automne 2014. Son auteur, Silvia Avallone, est une poétesse italienne âgée de 30 ans tout rond, qui a publié trois romans. C’est son premier texte traduit en France, une pépite dénichée par la maison d’édition Liana Levi.

Arrivé huitième du palmarès des dix romans de la rentrée de lecteurs.com, il a suscité de nombreuses questions de la part de ses lecteurs. Silvia Avallone répond aux questions de nos explorateurs avec autant de finesse que de générosité, avec l’aide précieuse de l’indispensable Françoise Brun qui est également la traductrice de son livre.
 


 

 


Comment l'idée du personnage de Marina vous est-elle venue ?

Marina couvait en moi depuis longtemps. Je peux dire que je l’ai rêvée, désirée, invoquée pendant des mois, sinon des années. Comme si elle existait déjà quelque part, et que je devais seulement la convaincre de se laisser entrevoir par moi. Ce n’était pas facile ! Parce qu’aujourd’hui encore, à mes yeux, son mystère reste intact et échappe à toute définition. Je voulais avoir moi aussi un personnage féminin rebelle, courageux et fragile, qui contienne en lui-même, dans sa nature, les contradictions de mon époque et de mon pays. Bref, je voulais ma petite Emma Bovary à moi, provinciale et audacieuse ! Qui a grandi à l'ombre du grand rêve selon lequel la télévision peut vous arracher à votre village, et vous faire exister vraiment, vous rendre visible, face à des milliers de téléspectateurs. Je voulais avoir une héroïne blessée, insupportable, déterminée de la rédemption sociale à la seconde décennie du XXIe siècle.

Je peux dire que raconter son histoire a été une expérience très forte, et qui m’a changé. Pendant les 500 pages du roman, c’est elle qui était aux commandes, pas moi. Elle a souvent transformé la trame que j’avais en tête, elle m’a étonnée et surprise à chaque chapitre . Entre nous deux c'était la guerre, et l'amour aussi. Je sais que des lecteurs ont pu carrément la détester : elle est l’enfant parfait de l’Italie de ces dernières vingt années, un miroir dans lequel il n’est agréable pour personne de se reconnaître : elle est vulgaire, inculte, individualiste et arriviste. Elle a une beauté diabolique qu’elle vous jette au visage, elle seule existe, et tous doivent l’applaudir. Mais en réalité elle n’est pas que cela, elle n’est pas seulement une tentative désespérée de se faire aimer du public après avoir été abandonnée par sa famille.

Je voulais qu'elle incarne à la fois la fin d'une époque, et le début d'une nouvelle. Je voulais qu’elle porte les apparences de l'Italie d’avant, avec toutes ses paillettes et ses illusions de quatre sous, mais qu’elle porte aussi en elle la nouvelle Italie. Celle du talent, du courage, de la rébellion. Je ne vais pas vous raconter l’histoire, mais sachez que Marina brûle tout, renverse tout, parce que sa vraie nature est la liberté de changer. Ses racines resteront toujours ces deux malheureux parents que le destin lui a donnés, mais elle va trouver la force de se réconcilier avec son histoire. Et sa vraie beauté, en fait, n’est pas dans la lumière crue des projecteurs, mais dans l'obscurité mystérieuse des lieux où elle est née. Des lieux escarpés, hostiles, enfouis dans les bois et que parcourent, imprévisibles, les cerfs, les écureuils et autres bêtes sauvages. Elle appartient à l'Italie inconnue, sans gloire.
 
Avez-vous eu des "modèles" implicites ou explicites pour construire le couple formé par Marina et Andrea ?
Tout est inventé et tout est vrai. Marina est grande dans sa colère et dans sa petitesse, elle est sans nul doute une créature extraordinaire, et donc aussi littéraire. Mais combien de filles quittent leur province pour un rêve de gloire dans les studios de télévision à Milan et à Rome ? Elle est sur la route de cette conquête, de ce désir, de cette foi : tout s'effondrera, mais pas la télévision , pas le mythe de la visibilité à tout prix. Andrea, lui, est inspiré de personnages réels. Un en particulier, que je remercie à la fin du roman. Pour construire son histoire, je me suis inspirée du choix qu’ont fait beaucoup de jeunes de mon âge de se rebeller contre la crise et contre tout ce qu’on nous a enseigné au cours des dernières décennies (que ce qui compte c’est d’avoir de l’argent, d’avoir du succès, d’être visible, que la société et les autres, on s’en fiche). Ils sont repartis à la conquête des espace vides de leurs provinces d’origine, pour les repeupler, pour restaurer des métiers d’autrefois mais dans un esprit pionnier du futur. J'ai enquêté, interrogé, rencontré personnellement des marcaires qui avaient mon âge.

Avec Marina et Andrea, je voulais décrire les deux chemins diamétralement opposés qu’un jeune homme ou une jeune femme peuvent décider d’emprunter, dans un pays qui a 44,2% de chômage chez les jeunes (ISTAT chiffres d’août 2014), et dans lequel les « emplois normaux » semblent être devenu irréalistes et inaccessibles. Si le mot «travail» n'est plus la source d'aucune certitude ni sécurité, si l’avenir a été dévoré, il faut y aller avec les ongles et avec les dents, coloniser cet abandon du territoire, marcher sur les routes de terre pour se coltiner le réel, oser des choix qui semblent fous. Parce que de toute façon, on n’a plus rien à perdre.

Avez-vous intégré des faits divers romancés dans cette oeuvre ?
Eh bien oui, je m’inspire toujours de ce qui se passe autour de moi. Même si le roman transforme les faits et les soumet à sa domination. Les élections législatives de cette histoire ont effectivement eu lieu à ce moment-là ; la tempête de neige qui, dans mon livre, engloutit le Biellois piémontais, non, mais elle s'est produite en 2012 en Émilie-Romagne, avec des effets dévastateurs très similaires ; le drame de la famille de Marina rappelle les drames qui se lisent chaque jour dans les journaux. Souvent je pille des détails ici et là, pour exprimer l'atmosphère d'une époque. L'enfance de Marina, née en 1990, peut se résumer à travers la publicité pour les meubles Aiazzone, qui exprime à elle seule, à mes yeux, l'esprit d'un miracle économique tant vanté mais jamais advenu, où on faisait passer de l’aggloméré pour du bois massif, où on vendait des rêves vides.
 
Vous considérez-vous comme un auteur réaliste ? régionaliste ?
La réalité est si puissante qu’on ne peut pas la limiter à la simple expression du réel. La réalité contient l’épopée, le mythe, la poésie, la tragédie . En modulant l'écriture sur différents registres, vous arrivez à capter quelque chose de son mystère. La Valle Cervo que je raconte est un endroit abandonné, oublié, désolé, comme une photographie de la crise . Mais c'est aussi une frontière à conquérir, comme dans le mythe du Far West. Et c’est aussi l'île sauvage où réside encore une beauté vierge. La beauté sauvage de l'avenir, qui contraste avec la beauté usée et fausse du passé. Marina , de la même manière, est un instantané vulgaire d'une fille qui cherche la célébrité mais n'a jamais lu un livre, jamais voté aux élections, ne s'est jamais intéressée à ce qui n'était pas sa vie à elle, ses chances de succès. Cela dit, elle est également une Amazone glorieuse, dans son désir de défier l'Italie où elle a grandi. Elle est une créature de la télévision, mais aussi une créature des forêts. Et c'est dans cette complexité qu’elle devient «réelle».
Je suis un écrivain de la province, oui. L'Italie est un pays fait de provinces qui ont faim, et pour moi ce sont les banlieues, les territoires blessés et oubliés qui sont les endroits les plus fascinants à raconter. Parce que j'aime raconter le désir, et le désir se nourrit du fait de vivre au milieu des obstacles, du manque atroce, désespéré qu’on ressent de quelque chose.
 
 
Alors que nous allons bientôt découvrir au cinéma le "Pasolini" d'Abel Ferrara, quelle influence a encore sur le monde culturel italien l' immense poète, cinéaste et écrivain ?
Je ne peux que répondre en vous disant que l'influence que Pasolini a eue sur moi a été immense. Sa première leçon : se servir des mots pour donner une voix à ceux qui n'en ont pas, et dire ainsi la beauté de la misère, combien elle a faim, la mettre dans la lumière pour qu’on sache qu’elle existe. À l’Histoire avec un grand H, opposer l’héroïsme de tous ces inconnus qui passent entre ses mailles. Écrire pour enfoncer le couteau dans la plaie, dans les zones d’ombre, dans la profondeur des failles. Et ne jamais se contenter d'une idée, ne jamais s’y reposer, mais continuer à soumettre au choc de la réalité en mouvement. Continuer à chercher.
 
Questions posées par les Explorateurs de la rentrée 2014
Réponses recueillies par Karine Papillaud, traduites par Françoise Brun.

 

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Commentaires (1)

  • silencieuse le 02/12/2014 à 17h38

    Je peine cette année à trouver un roman dans lequel je me plonge avec plaisir et dont j’attends chaque soir le moment de lecture comme un cadeau. En cette rentrée pourtant riche en ouvrages publiés, je n’ai pas lu grand-chose à mettre dans ma "bibliothèque éternelle". Et voilà que je viens de finir le deuxième roman de Silvia Avallone dont j’avais tant apprécié le superbe « D’acier ». J’ai trouvé dans ce roman, fort bien écrit, des personnages attachants et à la fois cyniques, des jeunes adultes déroutés qui cherchent leur voie et des paysages à vous couper le souffle. De très belles descriptions (notamment la tempête de neige), une réalité dure qui force au courage et surtout, des mots d’amour et de désamour, tout au long de relations difficiles entre parents et enfants, frères ou amants. C’est aussi et avant tout un portrait de l’Italie qui touche au cœur, une approche nouvelle, sans détours, crue, fidèle une réalité de crise. Un très beau roman

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