Vous n’avez jamais entendu parler de Maya Ombasic mais après l’avoir lue, vous n’oublierez plus cette Québécoise d’adoption. Elle arrive en France avec un récit singulier, Mostarghia (Flammarion), qui retrace avec beaucoup de hauteur et de tendresse, son parcours de réfugiée bosniaque.
A l’instar de Velibor Colic qui était poète dans son pays avant de se réfugier en France, Maya a choisi le français pour vivre et écrire. Si elle enseigne aujourd’hui la philosophie au Québec, c’est la littérature qui l’a sauvée, comme, du reste, la plupart de ceux qui fréquentent lecteurs.com.
Retour au début des années 1990. La guerre éclate en Yougoslavie, cette petite Suisse de l’Est, comme on disait à l’époque. Un pays magnifique, prospère, peuplé de gens éduqués. Maya est alors âgée de 11 ans, elle va devoir tout quitter et se réfugier en Suisse avec ses parents. L’installation, les humiliations : mais que faire de cette famille d’athées communistes ? Les ranger du côté des catholiques ou des musulmans ? Ce qui affleure déjà à l’époque, c’est la façon dont intuitivement on a remplacé l’identité par la religion. Il n’est plus question de Bosniaques, de Croates, de Serbes, mais de minorités et de majorités ethniques et religieuses. Plus tard, le retour au pays sera une greffe douloureuse et ratée. Mostar n’est plus la ville heureuse et multiethnique qui s’enracinait dans un sentiment de citoyenneté qui débordait tout. Maya s’installe au Québec avec ses parents, dans la langue française, la philosophie et l’écriture.
Mostarghia, c’est la nostalgie d’un pays qui n’existe plus, d’une époque révolue, le chant d’un exil dont les adultes ne se remettront pas. C’est aussi le legs d’un amour à son père, aujourd’hui disparu, que cette poétesse de 37 ans a rendu, dans une langue pure et tendre, d’une force apprivoisée. Elle ne voulait pas écrire ce livre, se sentait illégitime. C’est pourtant l’un des plus beaux témoignages sur une époque qui a arraché à l’identité la question de l’appartenance citoyenne. Les Balkans en expérimentent les conséquences, Maya Ombasic nous les rappelle, avec urgence.
Retrouvez l’entretien avec Maya Ombasic :
- Mostarghia est le récit d’un exil, celui de la ville de Mostar quand survient la guerre qui a déchiré la Yougoslavie. Pourquoi avez-vous donné le nom de la ville au récit de votre exil ?
Mostar est une ville spécifique sur le plan culturel, symbolique et historique. C’était la ville la plus multiethnique, celle où l’identité yougoslave basée sur la citoyenneté a le mieux fonctionné. En France, vous parleriez de « vivre ensemble ». Les gens ne s’y posaient pas la question de l’ethnie ou de la religion. Le pont qui enjambe la ville est très symbolique de la jonction entre Rome et Byzance, entre l’Islam et le christianisme. C’est une ville qui a toujours attiré beaucoup de poètes, d’artistes. Mes parents étaient communistes et athées. Notre athéisme a beaucoup décontenancé les belligérants et les pays d’accueil qui avaient déjà intégré la partition religieuse et ethnique du pays. Ils ne savaient tout simplement pas où nous classer.
- Qu’est-ce que la Mostarghia ?
C’est la nostalgie de Mostar, devenue une maladie chez tous les « vrais » habitants de Mostar, c’est-à-dire ceux qui se définissent par leur appartenance citoyenne et non nationaliste ou religieuse. Une maladie dont beaucoup sont mort aujourd’hui. Mostar a longtemps été le symbole de la citoyenneté communiste. Tout a volé en éclat en 1990. Dans le même temps, l’identité a pris les couleurs de la religion.
Et puis Mostarghia est un hommage à Nostalghia de Tarkovski, qui ressemblait tellement à mon père que cela me bouleverse. Le film est très révélateur de ce que les communistes ont vécu. Grâce à lui, j’ai compris ce que signifie appartenir, être transplanté, l’essence de la nostalgie.
- Votre père parlait d’une malédiction bosniaque remontant au Moyen-Âge. Que voulait-il dire par là ?
Il parlait du temps où les Bosniaques étaient une secte hérétique orientale, qui a essaimé au XIIe siècle depuis la Bulgarie, pour éviter les persécutions. Quand l’Islam s’est implanté dans la région, ils se sont convertis parce qu’ils avaient plus d’affinités culturelles avec cette religion, tout en gardant un syncrétisme religieux. Il y a, dans certaines mosquées bosniaques, des représentations religieuses, que l’Islam proscrit néanmoins formellement. J’ai dû faire de nombreuses recherches historiques pour écrire ce livre et qui m’ont permis d’approfondir ce que mon père m’avait déjà transmis.
- Vous racontez votre fuite qui vous a conduits en Suisse, avant de rejoindre le Québec plus tard, les humiliations que vous y avez subies.
Je ne voulais pas faire le procès de la Suisse, j’ai donc enlevé pas mal de passages qui auraient pu heurter les gens que j’aime là-bas. Nous avons été accueillis comme on accueille les migrants aujourd’hui, avec une vraie condescendance, en nous rappelant la chance que nous avions d’être dans ce pays si convoité qu’est la Suisse. C’était ignorer que la Yougoslavie était considérée comme la Suisse du bloc de l’Est, qu’on ne venait pas d’un pays arriéré et qu’il était donc inutile de nous expliquer comment fonctionne un fer à repasser, par exemple… Les réfugiés de guerre ne sont jamais des migrants volontaires.
- Où avez vous refait vos racines ?
Essentiellement dans la langue française. Je ne saurais pas être au monde sans écrire.
C’est ma langue d’adoption, dans laquelle j’écris et je vis désormais. Ce n’est pas ma langue maternelle, la seule langue que j’ai n’est pas la mienne.
- Pourquoi n’écrivez-vous pas dans votre langue maternelle ?
Ce n’est pas possible pour moi d’écrire en serbo-croate. C’est trop douloureux, contradictoire même. D’abord parce que le « serbo-croate » n’existe plus. A Mostar où je reviens parfois, il y a un lycée auquel on accède par deux portes. L’une destinée aux Bosniaques, l’autre aux Croates. Les élèves ne suivent pas les mêmes cours, qui ne sont pas dispensés dans la même langue. Personne ne se mélange dans la cour de récréation.
- Vous décrivez une forme d’Apartheid, mais qui tient le rapport de force ?
En ce moment, les Croates sont en position de supériorité. Des distinctions de race se font jour : l’adage circule selon lequel les Bosniaques sont plus basanés. Ce qui est parfaitement faux ! Ce genre de distinction raciale commence à être introduit et c’est effrayant.
- Est-ce une conséquence directe de la guerre ?
C’est à mon sens plus ancien. Se prolongent aujourd’hui les règlements de compte de la deuxième guerre mondiale, notamment l’alliance des Croates avec les nazis. A Split, il y a désormais un monument qui rend hommage aux soldats croates morts pendant la guerre. On n’imaginerait pas, en France, donner les noms de Laval ou Pétain à des rues. Mais cela se pratique en Bosnie-Herzégovine, plus précisément dans la partie croate de Mostar.
- Vous semblez pessimiste…
Je le suis. La génération qui suit la guerre est dans la haine de l’autre à un point effrayant. Ils n’ont pas connu la guerre, ne comprennent pas non plus quand on leur parle de l’exubérance de la vie dans le Mostar d’avant-guerre, et se définissent par un ultranationalisme sourd. Cela vient probablement de ce que leurs aînés ont transmis, mais à mon sens la responsabilité en incombe plutôt à l’Europe et à sa manière d’avoir appréhendé le conflit. Aujourd’hui, à Sarajevo, le soufisme a été remplacé par le wahhabisme et les femmes voilées. Le conflit n’est pas résolu, loin de là. Sur place, les gens se préparent à la prochaine guerre qu’ils voient comme inéluctable. Regardez aussi ce qui se passe avec les réfugiés, leur bouc émissarisation au profit d’une montée des droites et des fascismes en Europe. N’y a-t-il pas de quoi être pessimiste ?
Propos recueillis par Karine Papillaud
Vous pouvez également retrouver l’émission de Patrick Poivre d’Arvor Vive les Livres, dans laquelle Karine Papillaud parle de ce roman.
En partenariat avec Flammarion nous vous proposons de gagner l’un des 5 exemplaires de Mostarghia de Maya Ombasic mis en jeu.
Dites-nous en quelques mots (dans la partie commentaires, ci-dessous) ce qui vous attire dans ce livre, cet auteur et cet univers si particulier ? N'oubliez pas que pour participer vous devez être connecté avec votre profil, et que vous devez avoir complété votre profil avec vos 10 livres préférés et au moins 3 ou 4 avis. Vous avez jusqu’au 9 mai.
Merci à tous pour votre participation pour tenter de gagner le roman de de Maya Ombasic « Mostarghia ».
Bravo aux gagnants : Laurette Bob ; Eglantine Roger ; Elvia Montanini ; eva muñoz , danielle cubertafon
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Maya a été la lauréate du prix Des Racines et des mots; j'ai lu son livre à la parution et j'ai beaucoup aimé. Je l'ai rencontrée deux fois: lors de la remise du prix et à la soirée qui a suivi puis lors d'un repas en plein air où elle nous a fait l'amitié de nous rejoindre; elle est très sympathique; elle enseigne la philo au Canada. Elle est assez pessimiste.
Merci beaucoup à lecteurs.com et aux éditions Flammarion.
Je suis très contente de pouvoir lire ce livre parmi vous et de le partager.
Bonne lecture à tous !
Bonsoir, je participe car je ne connais pas bien ces événements tragiques.
Je ne connais pas du tout cette auteure, mais le sujet de son livre semble profond et tristement toujours d'actualité. Je suis curieuse de découvrir sa plume et son histoire, ou plutot l'histoire de beaucoup d'autres - je participe :)
La guerre dans l'ex Yougoslavie m'avait beaucoup marquée à l'époque parce que je ne comprenais pas l'origine du conflit et je ne comprenais pas l'inertie des autres pays européens. J'ai encore dans la tête les images violentes de cette guerre fratricide et la destruction du pont de Mostar, symbole de la destruction entre 2 peuples.
Ce livre témoignage va sûrement me permettre de trouver des clés d'autant qu'il semble être aussi le lien qui unissait une fille a son père et une femme à son pays qui n'existe plus.
Je l'ai inscrit sur ma liste de mes lectures et j'aimerais vraiment le lire et le partager sur lecteurs.com.
Merci, et bonne chance à toutes et tous !
J'ai lu que Maya 0mbasic serait présente au salon du livre des Balkans à Paris le 20 mai prochain.
Un belle rencontre en perspective !
J'ai vraiment très envie de découvrir ce livre, d'ailleurs j'ai eu la chance d'aller à Mostar et j'ai été très marquée par cette ville, une émotion réelle à en franchir le pont, détruit durant la guerre et reconstruit à l'identique. Tellement de vies bousculées durant cette guerre aux portes de notre pays ....
Ce livre parle d'un sujet qui est toujours d'actualite et apparemment aussi de l'amour d'une jeune fille-femme envers ses racines que sont son pere et sa terre natale, il semble tres interessant a lire,.... bonne chance a tous...
Le titre et cette photo en noir et blanc ont quelque chose d'envoutant et de nostalgique, avant même de connaître l'histoire et d'ouvrir le livre...
Immigration et le déchirement de ses familles sa doit être dur à vivre un sujet très intéressant et reell et triste en même temps de vivre ailleurs en perdant tout même ses repaires ...
Ce parcours autobiographique a l'air très touchant je tente donc ma chance :)
Je participe car ce roman m'a l'air très touchant...
je suis très intéressée par la lecture de ce livre qui traite d'un sujet d'actualité et qui me permettrait de découvrir une facette de l'Histoire que je ne connais pas. Et cette lecture me permettrait d'en parler autour de moi car ce n'est pas un sujet qu'on entends souvent sur les médias...
Ce livre qui traite d'un sujet qui est toujours d'actualité m'intéresse aussi car j'ai connu la Yougoslavie lorsqu'elle n'était qu'un seul pays.Mostar est une ville que j'ai visité.Ce témoignage a l'air bouleversant . L'interview de l'auteure donne justement envie de lire cette histoire.
J'aimerais vraiment lire le livre de Maya Ombasic car j'ai rencontré, apprécié et participé à l'installation de réfugiés et réfugiées de l'ex yougoslavie en France...J'ai été très émue déjà de lire son interview .On y sent du courage et de la lucidité.
Un te me d actualité et tragique sur les réfugiés et ceux qui n on pas d autres choix que de fuir et de tout recommencer à zéro , un super livre a decouvrir ....