-Black Messie (Stock) est votre onzième livre et votre premier thriller, pourquoi passez-vous au noir ?
Je trouve la blanche un peu incolore dernièrement (sourires). Dans la noire, j’aime une écriture qui prend des risques.
-C’est à dire ?
Le roman noir obéit à des codes précis, mais paradoxalement j’y ai les coudées franches, la possibilité d’en dire plus. La littérature dite blanche, générale, « sérieuse », littéraire, me semble plus stricte, curieusement. Et plus entravée. En tout cas, le ton et le besoin d’invention que requièrent l’écriture d’un roman noir me donnent très envie de continuer dans cette direction.
-Le noir est-il un genre que vous appréciez en tant que lectrice ?
Je suis une grande consommatrice de thrillers et de polars, j’adore ! C’est assez étrange mais je ne lis pas un roman de littérature blanche comme je lis de la noire. Evidemment, je n’en attends pas les mêmes choses. La blanche me demande une sorte d’asservissement au texte, ce qui est intéressant, mais elle oublie souvent la dramaturgie, trop soucieuse de ressembler à ce que les années 50 et 60 ont fait d’elle dans la mouvance, et la suite, du nouveau roman : une toile blanche dans une cadre blanc ! On est je crois, (Dieu merci !) revenus de tout cela. L’héritage en est certes un style fort, vivifiant, mais qui peut avoir pour corollaire malheureux une certaine asphyxie du texte et un côté « nombrilocentré ». Le polar quant à lui procède par une plus grande évidence : c’est un fleuve qui emporte, de façon plus naturelle, plus fluide. Le principe des personnages récurrents rappelle celui des séries, on a plaisir à les retrouver. Par ailleurs, un bon roman noir vous instruit sur le monde.
-Vous parliez des personnages, leur importance est primordiale dans Black Messie. Je pense notamment au face à face entre Jacopo et Miles…
L’un est le policier italien, l’autre un coupable ou un rival idéal mais ce n’est pas si simple. Ces deux hommes représentent le monde ancien. Ils sont semblables et différents, ils partagent une fierté masculine et en ont les faiblesses. Leur orgueil est mis à mal dans ce roman. J’ai envie de poursuivre leur confrontation dans une nouvelle histoire, en poussant plus loin dans l’horreur des faits divers, et en donnant un rôle plus affirmé à Indiana, la fille de Miles.
-Justement, ces deux hommes ont pour point commun d’avoir tous deux des filles et d’être veufs.
… Car il y a, à l’intérieur de Black Messie, un deuxième roman, un livre secret sur les relations pères-filles. Le dialogue muet entre un père et sa fille me fascine : on y trouve la peur que les filles font à leur père, à la fois à l’homme qu’ils sont et le géniteur responsable qu’ils veulent incarner. Je vois comment les pères peuvent être enchantés, perturbés, en adoration devant leurs filles. C’est un rapport très dangereux, et je ne parle pas de la limite posée par l’inceste, mais de celle qu’implique la protection jusqu’à la possessivité, la jalousie. Il y a une violence engendrée par la projection qu’un homme fait sur une femme. La relation père-fille a pris une tournure particulière aujourd’hui, les filles ne sont plus ce que leurs mères ont été petites. La réalité féminine d’aujourd’hui est totalement troublante.
-A quand, donc, la suite de Black Messie ?
Ce n’est pas encore pour tout de suite, j’ai besoin d’environ 18 mois pour écrire un roman et je travaille actuellement sur le dernier volet du triptyque italien engagé par Dolce Vita.
-Dans Dolce Vita, puis Les Nouveaux Monstres, vous racontez par le roman l’histoire politique de la corruption en Italie. Un thème que l’on retrouve aussi dans Black Messie, non ?
Ce nouveau roman, qui correspond à ce qu’on appelle en Italie le noir social, est moins ancré dans une réalité historique que les deux autres que vous citez, hormis le fait divers qui en est le point de départ. L’ésotérique qui maille le texte me permet de dire plus de choses et d’aborder les rituels sataniques de certaines sphères du pouvoir. Vous savez, je vis un peu dans un monde magique qui me permet d’aller dans ces directions.
-Vous vivez dans un monde magique, c’est à dire ?
J’ai beaucoup étudié les textes de Jung, je suis très attentive aux rencontres, je fais confiance à l’impalpable, aux signes qui se mettent en écho et illuminent une réalité qui semble obscure. Cela n’a rien à voir avec la pensée magique qui est de l’ordre du religieux : le monde magique, lui, appartient à la spiritualité.
-Vos livres vont loin dans la dénonciation de la mafia et de son intrication dans les rouages du pouvoir. On pense au sort de Roberto Saviano, auteur notamment de Gomorra, qui vit sous protection policière depuis des années. On a un peu peur pour vous. Vous êtes-vous donné une limite ?
Aucune, si ce n’est la peur de dire des choses trop dangereuses pour les gens que j’aime. Vous savez, le roman noir permet de dire tellement de choses, et je suis si peu douée pour la frustration ! Ce que je veux dire, je le dis, ou plutôt je l’écris. Je n’ai pas peur pour moi. Si on me trouve un jour tombée du 5e étage, personne ne pourra croire que je me suis suicidée ou que je suis tombée malencontreusement. Je ressens à la fois un profond besoin de justice et une vraie révolte contre les injustices.
-Comment vos livres sont-ils reçus en Italie ?
Pour l’instant ils ne le sont pas, quelle ironie, n’est-ce pas ? Un jour j’y trouverai ma place. Mais nul n’est prophète en son pays. J’écris des choses qui impliquent mon pays et ça le dérange. Le faire depuis la France est plus facile, c’est vrai, et j’évite les nombreux procès que mes derniers romans n’auraient pas manqué de provoquer, alors même que je dis des choses totalement avérées et qu’on peut prouver. J’en parlais récemment avec le juge Roberto Scarpinato, qui après le juge Falcone, avec Nino di Matteo et d’autres, a repris les rênes de la lutte anti-mafia en Italie. J’ai entretenu une correspondance nourrie avec lui pour l’écriture des Nouveaux Monstres. Correspondance qui s’est brutalement interrompue un jour sans explication. J’ai fini par savoir que sa protection judiciaire consistait aussi à le couper régulièrement de ses contacts afin d’éviter qu’on puisse remonter jusqu’à eux. Son regard sur l’Italie est sombre, bien plus sombre que le mien. Je crois beaucoup à la nouvelle génération, à l’émergence des femmes, des jeunes femmes qui peuvent mettre un terme à un système mafieux très masculin soutenu par un matriarcat archaïque. Je vous donne ici encore une clef pour comprendre Black Messie…
-Et vos projets, Simonetta ?
Le cinéma m’intéresse beaucoup. Je commence l’adaptation de mon premier roman, La Douceur des hommes, cet été, le scénario de ma nouvelle Etoiles, par Jean Loup Hubert, est bientôt terminé, et je travaille sur un projet de web série avec Studio Plus. A suivre !
Propos recueillis par Karine Papillaud
Retrouvez la chronique de Karine Papillaud pour "Black messie"