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Fort, audacieux, voici le nouveau roman d'Adeline Fleury - Rentrée littéraire 2020

"Ida n’existe pas" est un tabou giflé en pleine face

Fort, audacieux, voici le nouveau roman d'Adeline Fleury - Rentrée littéraire 2020

Un tabou giflé en pleine face, voilà Ida n’existe pas (Editions François Bourin), le nouveau roman fort et audacieux d’Adeline Fleury. Isabelle-Anne, membre des Explorateurs de la rentrée littéraire 2020, en donne ici son analyse.

Le livre s'ouvre et se ferme sur le même constat : « Ida n'existe pas. Ida n'a jamais existé ». Dans une style élégant et sobre, Adeline Fleury donne la parole à la mère d'Ida.

Ce récit à la première personne du singulier, aux allures de confession ou de thérapie, explore sans jugement l'âme d'une mère pour tenter de mettre à jour ses motivations. Si Ida n'est pas le fruit d'une névrose, si elle est bel est bien faite de chair et de sang, qu'est ce qui peut bien pousser une femme à commettre un infanticide ? L'acte semble d'autant plus incompréhensible qu'il émane d'une jeune femme « éduquée » ; fille de diplomate, elle a suivi un cursus universitaire et travaille comme relectrice dans une maison d'édition. Elle n'a pas le « profil » attendu.

 

Ce très court roman est librement inspiré d'un fait réel : en 2013 Adélaïde (dite « Ada »), âgée de 15 mois est retrouvée morte par un pêcheur de crevettes sur une plage de Berck-sur-Mer.  « Ida » est la jumelle littéraire de « Ada ». Elles ont le même âge. Ida sera elle aussi retrouvée par un pêcheur de crevettes sur le sable mouillé mais sa plage à elle, par un trait d'humour noir, se nomme « Ecoeurville-Plage ».

« Ida n'existe pas » est l'histoire d'une femme en crise, de sa longue descente aux enfers et de sa tentative désespérer pour se libérer de ses démons, de ses hallucinations visuelles et sonores, de ses blessures d'enfance même si le prix à payer est une plongée dans la démence. C'est l'histoire d'une femme tourmentée, en manque de repères, en quête d'identité à la maternité possessive et sauvage.

 

La construction du récit m'a fait penser à celle de la Chanson douce. Tout comme Leïla Slimani, Adeline Fleury prend le parti de commencer l'histoire par son dénouement. Tout le récit va constituer à remonter le temps, à détricoter les motifs, à décortiquer les événements qui ont précédé la découverte macabre du « visage ensablé d'un bébé ».

L'une des crises traversées par la narratrice est une crise identitaire. Sa mère est gabonaise, issue de la tribu Myènè et son père est un diplomate blanc en poste à Libreville. De lui elle a hérité son teint clair et ses cheveux blonds qui lui valent le surnom de « Bouton d'or ». Mais pour elle cette double culture n'est pas une richesse. Elle se sent incomplète « je n'ai même pas été fichue d'être noire en Afrique, ni blanche en Europe. Je suis à demi-blanche, je suis à demi-noire ».

Incomprise, voire rejetée par les femmes de sa famille elle n'arrive pas à se construire en tant que femme « Une noire blanche, ce n'est pas normal répétaient mes tantes. Mes sœurs, elles, elles étaient bien comme il faut. Noires, cheveux crépus, elles avaient tout pris de notre mère ». Stigmatisée comme étant le vilain petit canard, d'autant qu'elle est surdouée, qualifiée d' « enfant-zèbre » cela ne l'aide pas dans sa construction mentale ni dans l'acceptation de son corps. « Les adultes ont tué l'enfant sachant et inventif en moi, l'enfant originel ». « Les femmes de ma famille m'ont peu à peu anéantie ».

 

Il en résultera un rapport compliqué à la maternité. Après une fausse-couche et un avortement médicamenteux naît Ida, fruit des amours de la narratrice avec Alfonse, sculpteur de trente ans son aîné. Se pose alors la question de savoir ce qui fait d'une femme une mère : l'accouchement ou aussi l'amour qu'elle a reçu enfant de sa propre mère et qu'elle transpose.  La narratrice fait un douloureux constat « je ne me suis jamais sentie la fille de quelqu'un, comment puis-je être mère ? »

Elle qui n'aime déjà plus Alfonse, comment pourrait-elle aimer Ida ? « Ida pue Alfonse ».

Pétrie de sentiments paradoxaux elle aime sa fille autant qu'elle la déteste. La maternité est vécue par la narratrice comme une entrave à sa propre liberté « Une femme émancipée ça ne passe pas son temps à changer des couches, allaiter, bercer, mixer des purée ». « Une femme émancipée ça prend le risque de ternir l'image de la bonne mère universelle ». Ida est une enfant-objet. Objet d'amour, de répulsion, qui réveille des sentiments de haine, de fureur, des instincts animaux. Amour et mort, possession et rejet se partagent le cœur de la narratrice. « Je l'aime si fort que je pourrais la broyer, tordre son petit cou, l'envoyer bouler contre un mur ». « J'ai ce pouvoir de vie et de mort sur elle. C'est ma fille, elle est à moi ». « Depuis qu'elle est entrée dans ma vie je l'adore autant que je la déteste ». La violence la plus extrême transpire sous les mots, la folie qui s'observe elle-même.

La narratrice entretient un rapport tellement excessif, exclusif avec Ida (son tout, son doudou, sa chose, son bébé d'amour) qu'elle fera de sa fille un « enfant-fantôme », sans existence aux yeux de la loi : elle ne se fera pas suivre durant sa grossesse, accouchera seule chez elle et ne déclarera pas l'enfant aux services de l'Etat Civil. Aux yeux de la loi « Ida n'existe pas. Ida n'a jamais existé ».

 

Tout n'est pas noir chez Adeline Fleury qui se fait peintre d'atmosphère dans la description pittoresque et réaliste des quartiers de Libreville. Nous sommes loin d'un paysage de carte postale. Adeline Fleury, par la voix de sa narratrice s'attache à l'âme, à l'authenticité des quartiers fréquentés dont la misère quotidienne est mise en lumière et en mots. Il y est question de « la rouille des entrepôts des mécanos ». C'est visuel, olfactif, sonore : « le sang de la chèvre égorgée au milieu de la ruelle », « l'odeur poisseuse et lancinante de la mort », « les pneus que les gamins des rues faisaient cramer », « le son assourdissant des klaxons des bagnoles en furie ».

Adeline Fleury par ce roman sans fard, sans filtre, réussit le tour de force non pas de me faire aimer mais de me faire comprendre, d'éprouver de l'empathie (à défaut de sympathie) pour cette mère devenue infanticide « par amour ».

J'ai été happée, voire harponnée, par la force d'une écriture singulière, à fleur de peau, sensible, brute et sensuelle. L'auteur semble gratter ses plaies avec la plume d'un stylo pour en faire jaillir les mots, comme certains s'auto-mutilent pour que la douleur physique apaise la douleur psychique.

 

Isabelle-Anne

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