Ma meilleure amie s’est fait embrigader (éditions La Martinière) : un titre long mais qui a le mérite de la clarté et raconte de façon précise et très renseignée la manière dont le djihadisme s’immisce dans la jeunesse française et comment on peut résolument le contrer.
La fiction à la rescousse du réel
C’est Dounia Bouzar, docteur en anthropologie du fait religieux et de la laïcité, qui a écrit ce roman, dérogeant à son habitude de l’écriture d’essais pour prendre finalement un vrai plaisir à la fiction. Comment faire de la pédagogie, de la prévention sur un sujet aussi chatouilleux, et ce, dans une fiction alerte qui ne donnerait pas de leçons et qui, en plus, serait une jolie histoire ? Le pari était difficile, Dounia Bouzar l’a relevé sans se poser beaucoup de questions et elle a bien fait. La vie de Camille et de son amie Sarah ressemble à celles de toutes les adolescentes sans problèmes : une amitié forte qui les unie, une vie sans histoire, et pourtant. Sarah va basculer dans la radicalité.
Une lutte de tous les jours
C’est l‘histoire de deux amies que rien ne pourra séparer, même pas Daesh. "Ce livre est une façon de donner ce que les jeunes m’ont donné". Dounia Bouzar est une anthropologue qui a fondé le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’Islam (CPDSI), une association loi 1901 créée en 2014. Le CPDSI a ainsi sauvé plus de 2000 jeunes depuis deux ans. Dounia Bouzar et son équipe ont collecté de nombreux témoignages d’adolescents ou de parents, au travers plus de 9000 appels de proches inquiets*. "Je ne pouvais pas garder cela pour moi, il fallait que j’en fasse une histoire et que je leur redonne ce que eux m’avaient donné". Son roman est donc largement inspiré de faits réels, elle s’est appuyée sur son expérience pour raconter l’histoire de Camille et Sarah.
Tous concernés
D’après Dounia Bouzar, rien ni personne ne serait réellement à l’abri. Tout va très vite avec internet : d’une vidéo dénonçant le Nutella, aux OGM, il suffit de quelques clics pour se retrouver dans la propagande djihadiste sans même s’en apercevoir. « Les rabatteurs se servent de Facebook et ciblent leurs cibles selon leurs vulnérabilités ». La méthode n’a rien à voir avec la religion et épouse davantage les stratégies de la publicité ciblée et de l’endoctrinement sectaire. A partir des théories du complot, on isole facilement un jeune de son environnement, puisque les adultes mentent tous…
La solution ne passe pas forcément par les parents et c’est l’originalité de Ma meilleure amie s’est fait embrigader. Dans ce roman, ce sont les amis de Sarah qui parviennent à la sauver, on ne vous dira pas comment. Facile et agréable à lire, ce livre court mais sans temps mort s’adresse à la fois aux adolescents et aux adultes, aux parents et aux nullipares qui souhaiteraient comprendre comment, concrètement, simplement, l’islamisme procède pour avancer, loin de l’archaïsme qu’on lui prête, mais avec toutes les ressources de l’époque et dans une parfaite compréhension du fonctionnement de la génération Y. Il explique aussi comment on peut agir quand le contact semble pourtant irrémédiablement perdu avec le jeune. Un roman juste, brûlant d’actualité mais plein d’espoir et d’énergie.
L’auteur, Dounia Bouzar, a choisi de ne pas être consensuelle, mais active. Menacée par une fatwa, elle risque sa vie, ne peut disposer de locaux fixes car trop dangereux. Une vie écrasante de contraintes mais qui montre une chose : ce qu’elle fait dérange, et on la lira aussi pour ça.
Karine Papillaud
*le numéro vert 0 800 00 56 96
Pour aller plus loin :
http://www.stop-djihadisme.gouv.fr/