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1934. Yash (surnom de l'auteur) embarque à New York sur un bateau pour retourner vers sa ville natale, Lublin, en Pologne. Le voyage le mène au Havre, où il descend du bateau, prend le train, passe par Paris.
Là, il retrouve des amis artistes ou écrivains yiddish au Dôme, à Montparnasse. Toujours en train, il traverse l'Allemagne - devenue nazie l'année précédente - avant d'arriver en Pologne.
Tout se passe en 1934, entre mer et terre.
Essentialiste, phénoménal, c’est une voix douce qui délivre ce savoureux récit de vie et du monde.
« Et sur les grands formats on voyait même la Bystrzyca, une rivière qui se jette dans la Vistule près de Varsovie, ma fière capitale, où résident des proches. » « Petit à petit il finit par avouer le fond du fond. Les Juifs hollandais détestent les Juifs polonais autant ou encore plus que ne le font les chrétiens. » « Quand vous entendez qu’en Chine on extermine des chinois et en Allemagne des juifs, qu’est-ce qui vous touche le plus ? ». « Vous vous rendez compte, bénéficier de la Hollande et rêver de la Palestine ! ». « Dès que le bateau s’est arraché du nombril du quoi, je me suis senti porté par les règles maritimes. »
La trame lève le voile, premier mouvement dans un récit de renom, historique, intime et géopolitique. La sève d’une appartenance, la magnificence allouée à son éthique, ce pour quoi Jacob Glatstein est au monde. Cercle où déambulent des personnages, tous, avec leurs convictions, les gestuelles complices et la foi en eux, en ce qui les maintient dans une direction et pas dans une autre.
« Voyage à rebours » est à l’instar d’un journal secret qui s’entrouvre page après page. Le voyage de Jacob Glatstein dans cette ère tourmentée, latente de l’entre deux guerres.
Ce dernier embarque à New-York, périple où il rassemble l’épars, observe, et se risque aux autres passagers. Dialogues, puis conversations, confrontations. La houle de la mer attise les nostalgies, les souvenirs aussi.
« Dans le paradis international du navire, la nouvelle concernant Hitler fut la première gifle reçue à ma judéité. Je me suis senti solitaire, humilié, dans ma paradisiaque première classe, par la réception froide et indifférente de cette nouvelle ».
« Je cherchais « un cœur juif chaleureux » qui m’aiderait à pleurer, à rire avec une émotion juive ».
Du havre puis la Palestine, son pays natal, le récit est un cheminement, une alliance avec les rappels pavloviens, les interpellations avec les êtres de hasard. On ressent toute l’idiosyncrasie des religions. La judéité expressive, souvent source d’intimité, dans le cercle des voyageurs, tous de connivences ou de disparités.
Intrinsèque, entre les houles, les ressacs, et la plénitude, le récit est d’entrelacs, éminent, et sans aucune crainte. Ce qui est confié ici, est de source et de complétude. Une affirmation venue d’une existence nourrie d’éthique et de croyance. Une appartenance au moi profond.
« Un tour : être ; un autre tour : ne pas être ».
« Tout me fait monter les larmes aux yeux ».
« Le petit châle de prière est la seule consolation ».
Cette œuvre est à l’instar de l’absolu du monde. Un voyage quête, un sacre de délivrances. Grandiose, car ici, est la roue de la vie même. L’enjeu immense, historique, voire politique, lucide et convaincu. La puissance évocatrice d’un voyage mémoriel. Un récit d’altitude, une déambulation dans le rythme même précis, rigoureux d’un voyage exceptionnel. Mais ici, l’envergure du méconnu encore est une écluse et la plus noble des traductions en devenir. Ce livre est l’Alcazar, l’épopée même d’une pérégrination unique, l’ivresse de l’esprit.
«-Non, je ne suis pas étranger, mais éloigné ».
« Les enfants sont les êtres les plus exposés dans les petits villages polonais. »
« Écoute Israël, Dieu est un ».
« Jusqu’au silence complet dans le berceau ».
« Voyage à rebours » est intemporel. Stimulant, sensible et tenace. Ce grand livre excelle d’intelligence et de clairvoyance et d’éclatante vérité. Il s’entrouvre pour le lecteur attentif à l’écho. Brillant. Un livre qui percera dans la nuit noire, tel un halo, dans mille ans encore. Traduit du yiddish par Rachel Ertel, publié par les majeures Éditions L’Antilope.
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