Inspirée d’une histoire vraie, cette BD apporte des conseils et des solutions pour sortir de l'isolement
C'est le dernier soir à L'Helvezia, le bistrot du village racheté par des investisseurs. Tous les habitués sont là : la Tante, hôtesse de tout son monde, la Silvia, l'Otto, le Luis, l'Alexi, et les autres aussi, encore vivants ou déjà morts. L'alcool coule à flots et ça fume à tout-va. On est en janvier et il ne neige pas. Il pleut comme vache qui pisse. C'est quoi cette bizarrerie climatique ? Le déluge ? On cause de ça, de tout, sans discontinuer.
Ressurgissent alors les histoires enfouies de ce village qui pourrait bien être le centre du monde. La fin est proche, mais tant qu'il y a quelqu'un pour raconter, on reprend un verre. Ce Prix suisse de littérature 2012 s'avale cul sec !
Cet hiver-là, le temps est vraiment bizarre, pas de neige, trop de pluie, il n’y a plus de saison. Tour à tour les villageois entrent à L’Helvezia trempés et bien décidés à se réchauffer. Ça tombe bien, elle n’attend que ça la Tante, avec ses Mary Long qu’elle allume l’une après l’autre. Et ce soir, personne ne boira d’eau, c’est dit.
Alors ça parle, ça raconte, ça fume, beaucoup, et ça boit plus encore pendant toute la soirée ; les gens rentrent et ressortent, s’invectivent, se remémorent les souvenirs anciens, les anecdotes de leur jeunesse commune, mais aussi les disparus, les mariages. Chaque foyer a une histoire et tous semblent la connaitre, comme on connait bien les voisins avec qui on a passé tant d’années dans ce petit village perdu dans ce creux de montagne.
Lire ma chronique complète sur le blog Domi C Lire https://domiclire.wordpress.com/2020/04/10/derriere-la-gare-ustrinkata-arno-camenisch/
Puissant, émouvant, « Ustrinkata » de Arno Camenisch est un grand livre. Les dés sont lancés. Annonciateurs d’une finitude. Grave, intense, le temps passé dans l’Helvezia est un feu de cheminée. Néanmoins, les cendres encore chaudes résistent à ce qui fût. Il faut lire cette sombre et sublime histoire doucement en invité des grandes heures dans ce café mythique « l’Elvezia ». Ecouter, puis s’imprégner des paroles de chacun. Garder pour soi ces leçons de vie et de courage, de loyauté pour en faire son propre levier. Ce récit est donc une double chance. « Ustrinka » se déguste doucement avec respect. La nuit est tombée en Helvezie. C’est la dernière heure du jour. Dans cet entre monde où les habitants sont des résistants qui veulent défier les aléas de cette contemporanéité qui joue des coudes et qui se fraie un passage dans leur vie et bouscule tout frénétiquement. L’incipit ouvre ses bras en grandeur. « Comment ça de l’eau, dit la tante à la grande table des habitués dans l’Helvezia, elle fixe l’Alexi, mais t’es marteau. » Le ton est donné. Il ne faut pas que le geste s’apaise. Les lèvres doivent rester messagères d’une parole régénérante. Chacun des verres proposés est la somme de guerre. Dans cet espace où les habitués de ce lieu apportent la pierre du dire en oraison. L’écriture est si noble qu’on a la gorge nouée. Chacun conte. Les anecdotes, les coups bas, les souvenirs, les habitants qui ont marqué de leur sceau la citadelle de l’Helvezia. Les portraits des uns et des autres encensent le filigrane. On pressent l’urgence du dire. Les confidences sont des échappées, saveurs salvatrices et consolantes. La gravité est une fleur qui perce sur le goudron de l’inaltérable. Il pleut, il fait sombre. La lumière dans l’Helvezia est un antidote. Une bataille entre l’adversité et la fraternité dans cet antre emblématique. Avant que les volets ne se referment à jamais. Boire à n’en plus finir. Affronter les démons d’un climat qui signe son heure de fin. Parler, graver les sons et les alphabets d’honneur dans chaque verre. La tendresse est un garde à vous. L’exutoire d’un langage qui résiste aux tempêtes intérieures. Tout est beau ici, intègre et authentique. La sincérité est un breuvage et bien plus qu’un récit « Ustrinkata » est un cri d’alarme. Que va-t-il se passer ? Ne rien dire de ce bateau de Géricault. Rester dans cette matrice de l’Helvezia battue par le froid. S’imprégner de ces délivrances verbales. La teneur est vive. Les minutes urgentes. L’hédonisme grandiose car il ne se sait pas. « Ouais de temps en temps tu rapportes un cerf à la maison et tu le déposes sur la table de la cuisine, y a pas besoin de mots, dit le Luis, c’est bien assez d’amour. » L’ampleur de « Ustrinkata » est dans la simplicité et dans le juste. Dans cette nuit qui emporte avec elle toutes ces vies qui se noient, gorgées après gorgées. Métaphores fabuleuses d’un refus de fermeture de ce lieu vivifiant et qui ne sera plus. Et d’une littérature de renom qui a tout compris. Beau à pleurer. Traduit de l’allemand (Suisse) par Camille Luscher. Publié par les majeures éditions Quidam éditeur.
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