Si certaines sont impressionnantes et effrayantes, d'autres sont drôles et rassurantes !
La guerre d'Indochine est l'une des plus longues guerres modernes. Pourtant, dans nos manuels scolaires, elle existe à peine. Avec un sens redoutable de la narration, "Une sortie honorable" raconte comment, par un prodigieux renversement de l histoire, deux des premières puissances du monde ont perdu contre un tout petit peuple, les Vietnamiens, et nous plonge au coeur de l'enchevêtrement d'intérêts qui conduira à la débâcle.
Petit devoir de mémoire sur la guerre française d'Indochine et portrait sanglant des administrateurs de la Banque du même nom.
Ce n'est pas tout à fait la rentrée littéraire hivernale, mais plutôt depuis janvier, une nouvelle vie en poche pour ce roman paru en 2022.
Eric Vuillard s'est fait une spécialité du récit historique de non-fiction mais avec un ton qui n'appartient qu'à lui : mordant, ironique, féroce, très marqué à gauche.
Des sujets historiques et intellectuels, le tout servi avec une bonne dose de cynisme, voilà souvent la recette gagnante pour les prix littéraires. Il a d'ailleurs obtenu le Goncourt en 2017 avec L'ordre du jour.
Mais tout l'intérêt d'Une sortie honorable est d'aborder des événements mal connus : la débâcle française en Indochine et à Diên Biên Phu, qui sera vite éclipsée par la Guerre d'Algérie et les déboires étasuniens au Viêtnam. Voilà qui promet d'être intéressant.
➔ Eric Vuillard nous ramène d'abord en Indochine jusqu'en 1928 "au temps béni des colonies". Nous y accompagnons des inspecteurs du travail venus vérifier les conditions d'exploitation des "paysans annamites" dans une plantation Michelin d'hévéa. Après une "épidémie de suicides par pendaison", des "suspicions de mauvais traitements sur une plantation Michelin ayant fait grand bruit, suite à une émeute des travailleurs, on leur avait donné pour tâche de contrôler le respect des minces ordonnances faisant office de Code du travail, censées protéger le coolie vietnamien".
Ce prologue, c'est juste histoire de bien planter le décor des futurs guerres d'indépendance.
Quelques années plus tard, le 19 octobre 1950, à l'Assemblée Nationale, Pierre Mendès-France énonce tout haut ce que tout le monde sait tout bas mais que chacun fait semblant de ne pas voir : "nous n’avons pas les moyens matériels d’imposer en Indochine la solution militaire que nous y avons poursuivie si longtemps". Alors oui, "la guerre coûtait décidément trop cher".
➔ Fidèle à lui-même, Eric Vuillard s'en prend férocement au grand capital qui oeuvre dans les coulisses de l'Histoire à faire de ce monde, sinon un monde meilleur, du moins un monde où les nantis seront encore plus riches. Aujourd'hui il prend pour cible les administrateurs de la fameuse Banque d'Indochine, celle qui se prenait pour la Compagnie des Indes et qui "a battu sa propre monnaie, comme la Banque de France, et celle-ci a eu cours légal en Indochine, dans les Établissements français de l’Océanie, en Nouvelle-Calédonie".
Les banquiers seront plus avisés que les politiques et les militaires et ils reprendront leurs billes avant la débâcle. "Ils avaient discrètement liquidé, et les combats avaient lieu, malgré tout, pour une colonie déjà vidée de sa substance".
En bons gestionnaires, ces hommes d'affaires trouveront même à profiter de la guerre et "au moment où la banque quittait l’Indochine, la guerre devint pour elle sa première source de revenus".
➔ C'est aussi en 1950 que s'est produit le tragique et méconnu massacre de Cao Bang, à l'extrême nord du Viêtnam, non loin de la Chine. Des milliers de soldats, dont de nombreux Français d'Afrique, y ont perdu la vie. Mais les militaires et les politiques n'ouvrent pas encore les yeux et refusent d'admettre que "la guerre est pour ainsi dire perdue. Tout au plus peut-on espérer lui trouver une sortie honorable".
➔ Il faudra attendre la fameuse bataille de Diên Biên Phu en 1954 pour que la France reconnaisse enfin sa défaite et laisse la place aux américains qui avaient hâte de se jeter à leur tour dans cette jungle inextricable.
Le Viêtnam connaîtra ainsi trente ans de guerre.
[...] Trente ans. Ça fait une génération entière ayant vieilli dans la guerre, et une autre ayant passé son âge mûr dans la guerre, tout son âge mûr, et une autre encore née dans la guerre, ayant vécu dans la guerre toute son enfance et sa jeunesse. Ça en fait du monde.
[...] Le Viêtnam reçut en trente ans quatre millions de tonnes de bombes, davantage que toutes celles larguées pendant la Seconde Guerre mondiale par toutes les puissances alliées, et sur tous les fronts.
➔ On peut très bien ne pas apprécier le ton polémique d'Eric Vuillard, sa prose à l'ironie féroce. Ses bouquins sont secs, directs, sans qu'il prenne la peine de nous enjoliver l'histoire avec des personnages inventés ou une intrigue romanesque qui viendraient nous faire passer la pilule.
Mais on est bien obligé de reconnaître que ce court pamphlet a le mérite de nous rappeler à l'ordre, de nous rappeler des événements qu'il ne faut pas oublier et de nous forcer à ouvrir les yeux sur les rouages de nos sociétés et la consanguinité de nos hommes de pouvoir.
Cette sortie en poche est donc à saluer.
1848 Abolition de l'esclavage
Et pourtant au début du XIXème siècle, plusieurs entreprises françaises dont Michelin, implantées en Indochine ont recours à l'exploitation de la main d'oeuvre locale très bon marché. Main d'oeuvre qui n'est pas à l'abri de sévices, voire tortures pour les plus récalcitrants.
Les entreprises implantées profitent donc de cette aubaine, malgré des inspections du travail qui n'aboutissent pas au moindre changement, pour la plus grande satisfaction des banquiers du XIIIème arrondissement.
Et cela va durer jusqu'au 2 septembre 1945, date à laquelle Hô Chi Minh proclame l'indépendance du Vietnam. Le général de Gaulle s'y oppose et soucieux d'éviter un conflit, il propose la participation du Vietnam à l'Union Française, nouveau nom de l'Empire colonial français. C'est ainsi qu'un accord est signé le 6 mars 1946 entre la France et Hô Chi Minh, reconnaissant la République Démocratique du Vietnam (RDV).
Durant son séjour en France de mai à octobre 1946, Hô Chi Minh va essayer de rallier les vietnamiens exiler à son projet de transition pacifique vers l'indépendance. Mais les exilés ne l'écoutent pas et l'existence de la RDV n'est pas reconnue par les instances internationales.
A son retour à Hanoï il met en place une mobilisation générale pour combattre le colonialisme.
C'est alors le point de départ du récit d'Eric Vuillard qui explique que les entreprises, soucieuses de poursuivre leur enrichissement par le pillage des ressources, par l'entremise des banques vont faire pression sur le gouvernement.
C'est donc le début du guerre d'enlisement qui se soldera par un échec cuisant pour la France avec la défaite de Dien Bien Phu qui mettra fin à la présence française en Indochine et conduire à la véritable indépendance du Vietnam. Cette guerre, pour le confort d'un petit nombre, aura provoqué la mort de 400 milles soldats côté pour 900 milles côté Vietnam.
Ce récit vient bousculer ce que j'ai appris en classe d'histoire où les méchants étaient les communistes Vietcong. Mais à la lecture de ce document, je n'en suis plus si sûre ...
Comment un gouvernement a t'il pu se laisser manipuler et ne pas réagir au cynisme des notables qui ne pensaient qu'à épaissir chaque jour un peu plus leur portefeuille et tant pis pour ces milliers de soldats morts. Et pourquoi cette volonté de vouloir sortir la tête haute d'un conflit sachant que c'est perdu d'avance ? Ce baroud d'honneur n'avait il pas seulement pour objectif d'empêcher d'autres colonies d'avoir des velléités d'indépendance ?
Ce récit nous montre que cette bourgeoisie méprisante n'oeuvre jamais pour la nation mais pour elle même et ce qui est le plus triste c'est que cela perdure encore.
Je souhaite un jour lire un récit de cet auteur, aussi bien documenté , sur des décisions gouvernementales plus contemporaines mais pourra t'il l'écrire avec le risque de censure ?
J'ai pris autant de plaisir à sa lecture que j'en avais eu pour "l'ordre du jour".
Merci M. Vuillard
https://quandsylit.over-blog.com/2025/01/sortie-honorable-eric-vuillard.html
Des noms évocateurs de pays lointains : Tonkin, Cochinchine, Annam et Siam, bref l’Indochine. Mais un épisode peu reluisant pour la France, qui des dizaines d’années va pouvoir s’enrichir des ressources de ces pays ; notamment en faveur de la Banque d’Indochine, de ces aristocrates de la finance qui en laissent de pauvres bougres militaires mourir pour les enrichir. Car tous ces pays d’alors, regorgent de charbon, de mines d’étain, de gisements aurifères, de latex qui feront le bonheur de ces porteurs d’actions via les dividendes versés. Une guerre interviendra de 1946 à 1954, et se terminera pour la France avec la défaite de Diên Biên Phu consacrant la victoire du Viêt-Minh. Bref répit cependant puisque les Américains, après avoir aidés les Français pendant la première guerre d’Indochine devront eux-aussi quitter le Vietnam en avril 1975.
Le pillage des ressources et le traitement inhumains subis par les Indochinois vont générer la guerre ; que les banques françaises ont déceler très tôt la fin du colonialisme français dans l’Indochine, et retirer rapidement et secrètement leurs avoirs. Ainsi pendant de nombreuses années, la France a pillé ce pays, et a décidé de sortir de cet enfer vert, en essayant d’obtenir une sortie honorable ! Cependant de mauvais choix stratégiques, ont amené la défaite et la perte de milliers de soldats venant de France et d’Afrique. Portant des hommes politiques français tenaces ont toujours dénoncé cette guerre, tel que : François Mauriac et surtout Pierre Mendès France.
L’insolence de financiers fomenteurs de cette partition guerrière, qui vénèrent le Dieu Argent et le Dieu Pouvoir, n’ont aucun mérite et se targuent d’envoyer en son nom des hommes se faire tuer, quelles morale et ignominie peuvent-ils avoir ? Éric Vuillard avec une verve incisive, un soupçon d’humour nerveux, de vérités intangibles, décortique les fondamentaux de cette guerre, dont les principes régissent de nos jours encore tous les pays, tous les hommes dans leur folie de contrôler le monde et les individus ; avec pour sempiternelle dualité : celle du pouvoir et de l’argent. Un devoir de mémoire sur des faits, que simple citoyen, nous tentons d’effacer, en recommençant ailleurs des colonisations larvées sans en avoir retenu les leçons du passé, et que des sociétés financières importantes font perdurer. Un grand merci pour l’auteur de ce rappel historique (dérangeant) de l’histoire.
Accommodements, arrangements commerciaux, entre-soi permanent, hypocrisie idéologique....tout y passe dans ce roman court et tendu sur un épisode méconnu de la guerre indochinoise. Des militaires incompétents, des politiques corrompus et une bombe atomique américaine.
Livre merveilleusement bien écrit.
C'est toujours un plaisir de lire un roman de Vuillard même si le lecteur n'est pas dupe de l'angle choisi par l'auteur.Ici, il revisite l'histoire de la guerre d'Indochine, une guerre de 30 ans commencée par les Français, poursuivie par les Américains jusqu'à la chute de Saigon en 1975. Vuillard est partial , assurément, à charge contre les Occidentaux .Mais le lecteur ne résiste pas à cette belle plume incisive, à cette savoureuse galerie de portraits.
Ce très long conflit fait 400 000 morts du côté des Occidentaux, 3600000 morts du côté vietnamien.Au moment de la débâcle les Occidentaux sont évacués en urgence par des moyens sûrs tandis que des milliers de Vietnamiens vont périr noyés.
En fait, Vuillard joue à décortiquer les ressorts de cette guerre.Par le biais du Parlement, une bourgeoisie financière française des beaux quartiers, tire les ficelles.Et l'auteur nous amuse avec la généalogie de Christian Marié Ferdinand de la Croix de Castries nommé à la tête du commandement du camp-bourbier de Dien Bien Phu.Dans un récit très vivant, visuel, l'on voit à l'oeuvre Herriot, le Général de Lattre, Navarre, c'est très cocasse…
Pas le meilleur d'Eric Vuillard, mais très intéressant tout de même. Toujours cette verve féroce pour décrire les travers peu glorieux des puissants de ce monde, enfin ceux du siècle dernier. Quoique ... il y a quelque chose de tristement universel dans ces trajectoires personnels et leurs impacts parfois terriblement destructeurs sur des multitudes qui n'auront jamais la moindre idée d'où, comment et par qui leur sort a été scellé.
Une sortie honorable est un livre passionnant sur la guerre d'Indochine, bien loin des livres d'histoire.
L'écriture est belle et chaque chapitre montre des personnages différents.
L'auteur a choisi de mettre en avant la responsabilité dans les choix opérés des politiques, des hauts gradés militaires et des banquiers, et leur indifférence au drame qui se déroule très loin d'eux. Édifiant !
On peut se demander si cela fonctionne encore aujourd'hui pareil...
A lire absolument si l'on veut comprendre l'histoire avec un grand H.
En 1946, au lendemain de la seconde guerre mondiale, la France s’enlise dans le conflit colonial indochinois duquel elle sortira vaincue. Eric Vuillard ne prend pas le costume de l’historien, mais revêt celui du critique. En couverture, la photo du Général Christian Marie Ferdinand de La Croix de Castries, commandant les troupes françaises à Dien Bien Phu, est-elle la première marque d’ironie choisie par l’auteur ? Toujours est-il que le récit est orienté vers la critique des personnes physiques et morales qui ont tenu un rôle prédominant. Il s’agit des politiques sous la 4ème République, de la bourgeoisie dominante, de la Banque d’Indochine, de l’empire Michelin exploitant les plantations d’Hévéa …et les hommes qui y travaillaient.
Sans complaisance, avec sarcasme et une fine ironie, Eric Vuillard fait de cette terrible période une approche décalée de l’histoire, mettant en exergue les stratégies obscures de certains groupes ou individus qui ont pesé dans l’évolution du conflit.
Après « l’ordre du jour », Eric Vuillard s’attache aux graves moments de l’histoire, sans en entraver la vérité, mais en pointant des éléments qui ont ou auraient pu en modifier le courant. Un court opus d’une grande intensité !
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