Cet étonnant roman noir, très noir, s'ouvre sur une grande maison bourgeoise qui devient mystérieuse par la façon dont la regarde Louise, comptable de l' entreprise d'en face qui observe tout obsessionnellement depuis son bureau. Rien ne lui échappe et son imagination galope pour imaginer des...
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Cet étonnant roman noir, très noir, s'ouvre sur une grande maison bourgeoise qui devient mystérieuse par la façon dont la regarde Louise, comptable de l' entreprise d'en face qui observe tout obsessionnellement depuis son bureau. Rien ne lui échappe et son imagination galope pour imaginer des scénarios mettant en scène les habitants : Tom, un jeune garçon handicapé mental, un homme élégant âgé avec chauffeur, une femme beaucoup plus jeune, une autre, enceintes toutes les deux en même temps ; puis un drame, peut-être plus.
La construction est brillante dans son enchaînement narratif spiralaire. Déroutante aussi. Vingt-sept ans racontés en circuit circulaire autour de la maison, force centripète du récit autour de laquelle évolue des personnages très nombreux, de Louise qui vit sa vie par procuration, à Tom, le seul à savoir tout ce qu'il se passe mais qui ne peut rien dire à cause de son lourd handicap, en passant par une policière, un tueur à gages, une assistance sociale, un détective privé et des employés de l'entreprise de Louise.
Chaque chapitre introduit une nouvelle situation ( ou un nouveau personnage ) que le chapitre suivant va reprendre en l'enrichissant d'indices, décrivant les scènes précédentes sous un autre angle. On passe d'un point de vue à un autre dans une temporalité brouillée ( analepses, anticipations ) faite d'actions inversées. Dès qu'un personnage entre dans le circuit, ses actions gravitent et s'imbriquent dans celles des autres. Rien n'est fait pour tenir la main au lecteur, c'est à lui de se joindre aux convictions, certitudes, supputations des personnages pour bâtir ses propres hypothèses une fois dans le vortex.
Ce qui surprend avec Noëlle Renaude, c'est à quel point l'intrigue est subordonnée à l'écriture et aux mouvements des phrases, parfois très longues, digressives, très souvent peu ponctuées, d'autres très courtes sur un rythme saccadé. Les dialogues sans tiret s'enchâssent naturellement dans le récit. Sur le dernier tiers, je me suis un peu essoufflée à courir derrière cette écriture qui prime avant tout le reste et malmène l'intrigue.
En multipliant les pas de côté pour voir ce qu'on ne verrait pas frontalement, Noëlle Renaude fait montre d'une acuité acerbe pour disséquer les failles et secrets de la petite société qu'elle observe de son oeil aiguisé. L'écriture semble trempée d'un certain cynisme tant aucune tendresse ne transpire pour les personnages, mais elle est surtout là pour mettre à distance tout sentimentalisme, cliniquement, en décelant le truc qui cloche.
Cet art de débusquer les petits travers contemporains est mené avec maestria. Noëlle Renaude travaille les détails, décalés si possibles, dans une large sociologie allant des aristos aux petits employés de bureau, aucun défini selon un appareillage psychologico-social classique mais selon leur corps, leur sens, leur façon de parler et de se mouvoir dans l'intrigue. Un véritable petit théâtre des cruautés porté par des personnages banals et fissurés, assez désespérant au final.
Quand on referme ce livre, on se dit qu'il y a un vrai auteur derrière, avec un univers fort et une écriture affirmée qui ne ressemblent à personne d'autres.