"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Se promenant dans sa ville natale de Gand un jour de 1979, le narrateur tombe en arrêt devant une maison : visiblement à l'abandon derrière une grille ornée de glycines, cette demeure l'appelle. Il l'achète aussitôt et va y vivre près de vingt ans.Ce n'est qu'au moment de la quitter qu'il mesure que ce toit fut également celui d'un SS flamand, profondément impliqué dans la collaboration avec le Troisième Reich. Le lieu intime se pare soudain d'une dimension historique vertigineuse : qui était cet homme incarnant le mal, qui étaient son épouse pacifi ste et leurs enfants ? Comment raconter l'histoire d'un foyer habité par l'abomination, l'adultère et le mensonge ?À l'aide de documents et de témoignages, le grand romancier belge Stefan Hertmans nous entraîne dans une enquête passionnante qui entrelace rigueur des faits et imagination propre à l'écrivain. Examen d'un lieu et d'une époque, portrait d'un intérieur où résonnent les échos de l'Histoire, Une ascension est aussi une saisissante plongée dans l'âme humaine.
J'ai trouvé ce roman traduit du flamand dans une boîte à livres. C’était l’occasion de lire enfin cet auteur très réputé en Belgique et la lecture du sujet m’a intriguée.
L’auteur raconte dans ce roman comment il a découvert, au moment de la vendre, que la maison où il avait vécu vingt ans à Gand était celle d’un SS flamand, qui plus est père d’un de ses professeurs d’université. Cette maison abandonnée qui l’a séduit en 1979 malgré son piètre état, a abrité auparavant Willem Verhulst, son épouse néerlandaise Mientje et leurs trois enfants. À l’aide des entretiens qu’il a menés avec Aletta et Suzy, les deux filles de la famille, devenues octogénaires, et de nombreux textes, dont des journaux intimes et des documents d’archives, il a reconstitué le parcours autant personnel que politique de cet activiste flamand devenu soutien des plus fidèles de l’occupant nazi. Il s’est également penché sur le pacifisme de son épouse et a tenté de comprendre et parfois d’imaginer, avec l’aide des témoignages, comment ils avaient pu vivre cet antagonisme.
« Rien n’est plus funeste pour la joie de vivre que le sentiment secret de devoir toujours se justifier devant un juge intime qu’on ne connaît pas. Il voit tout et condamne tout ; ce n’est jamais assez bien, on est toujours le perdant, quoi qu’on fasse ; il est insaisissable – il ressemble parfois à un ancien amour, puis à l’ami qui vous a trahi ou à la femme aux yeux perçants qui se moque de vous dans la pénombre. »
Quatre cent soixante-dix pages sur un personnage finalement peu intéressant, un pauvre type, lâche et sans qualités, permet de montrer combien le mal est une chose facile à embrasser pour certains esprits faibles, et de ce point de vue, l’exercice est réussi.
Mais, car il y a un « mais », si la construction rend bien compte de l’approche de l’auteur, j’ai trouvé le style un peu inégal, à moins qu’il ne s’agisse de la traduction, je n’ai pas réussi à trancher. De même, la position de Stefan Hertmans m’a parfois déconcertée, faisant dans une même page le grand écart entre des faits avérés directement tirés de documents et des pensées ou réactions des personnages qui ne peuvent être que dictées par son imagination, auxquelles s’ajoutent des remarques à la limite du jugement. Où est-on alors, dans un roman, un essai, un document ?
De plus, tout cela est un peu long. J’ai envie de dire : « N’est pas Daniel Mendelsohn qui veut… », mais si vous êtes tentés, ne vous arrêtez pas à mon avis, d’autres lecteurs sont bien plus enthousiastes...
En 1979, alors qu'il se promène à Gand, en Belgique, l'auteur tombe sous le charme d'une maison qu'il décide d'acheter. Il y passera vingt ans avec sa famille. Alors qu'il l'a déjà revendue il découvre qu'un certain Willem Werhulst l'a également habitée avec toute sa famille, des années auparavant.
Mais ce qui lui donne le vertige, c'est que cet homme à priori ordinaire a intégré la SS et a été très fortement impliqué dans une collaboration intense avec le IIIe Reich. S'ensuit une période d'enquête, de recherches, de rencontres pour comprendre celui qui a habité cette maison. Comment et pourquoi l'auteur n'a t-il lui-même rien senti, imaginé , compris, entre ces murs.
Qui étaient Mientje, l'épouse et Letta, Adri et Suzy les enfants de cet homme ? Des complices aussi pervers que lui, des victimes de sa personnalité à une époque où il était plus sûr de se taire.
Comment ont ils supporté le mal, en adoptant la même attitude, en l'ignorant, les enfants étaient-ils au courant des agissements du père... Leur mère était-elle soumise, consentante, ou forcée à vivre sous le même toit sans accepter ces dérives.
Des questions auxquelles il tente de répondre en nous présentant un homme ordinaire, un mari, un père, mais aussi un SS convaincu et zélé.
Peu à peu, à travers une somme d'actions bénignes à priori, dans le contexte sombre de la seconde guerre mondiale, il nous montre les changements qui s'opèrent en Willems.
Comment ce père de famille est devenu celui qui espionne, fait des listes, note les noms de ceux qui pourront être ensuite arrêtés, avec autant de régularité et d'assiduité. Autant de noirceur n'a t-elle pas laissé de traces dans cette maison? Sont elles porteuses des actes et des mots qui se déroulent entre leurs murs ? A travers les textes, archives, écrits des enfants, témoignages, l'auteur brode un contexte, des mots, attitudes, relations dans le couple, tout l'art de l'écrivain est de faire vivre le passé.
Passionnant, instructif, émouvant, révoltant. Une lecture pour comprendre.
https://domiclire.wordpress.com/2022/01/24/une-ascension-stefan-hertmans/
Décidément, Stefan Hertmans excelle à faire parler les pierres. Il avait déjà puisé dans les pavés moyenâgeux du village de Monieux dans le sud de la France la matière du superbe roman qui m'a fait connaître sa plume, Le cœur converti. Cette fois, c'est une vieille maison d'un quartier de Gand tombé en désuétude qui le met sur les traces d'un odieux personnage qui jeta toutes ses forces dans la collaboration avec les SS lors de l'occupation de la Belgique à partir de 1940. Une maison que l'auteur a habitée pendant vingt ans avant de réaliser qui elle avait abrité et d'entreprendre des recherches minutieuses pour reconstituer les faits et gestes de Willem Verhulst puis nous les restituer avec la sensibilité aigüe du romancier.
Pour celles et ceux qui, comme moi ignorent à peu près tout de l'histoire chahutée de la Belgique, partir dans les traces de cet homme revient à ébaucher le parcours d'un nationaliste flamand marqué dès l'enfance par le très fort antagonisme entre ceux qui parlent le français et ceux qui parlent le flamand, avec même une cour de récréation séparée en deux dans l'école anversoise où il suit sa scolarité. Stefan Hertmans mène son enquête comme un biographe et comme un historien, à travers les nombreuses archives, les écrits laissés par Verhulst et les membres de sa famille (c'est incroyable le nombre d'individus qui tenaient leur Journal à cette époque) mais également les témoignages de ses deux filles devenues des vieilles dames. Et ce qu'il s'attache à mettre en évidence est quelque chose sur quoi le commun des mortels ne prend pas le temps de s'arrêter, ce que représentent vraiment certains actes et pourquoi il est important de le faire savoir. Ce que signifie "être du mauvais côté", au-delà des mots. Il aimerait interroger les murs, il pousse même jusqu'à aller visiter la carrière de Comblanchien, village de Bourgogne dont fut extrait le marbre qui orne la cheminée de la maison et sur laquelle fut posé un buste en plâtre d'Hitler.
"Un buste de... ? Ici, dans cette maison ? Mais c'était quel genre de personnes ? Les avait-il connues, monsieur notre notaire ? Absolument, a-t-il dit en hochant la tête, et très bien même, monsieur. Il a reniflé, songeur. Ce n'étaient pas de mauvaises personnes, vraiment, enfin, à l'exception du père, mais bon, lui non plus n'était pas une mauvaise personne au fond..."
Hum, oui, voilà. L'enquête montre qu'il fut un vrai salaud, collabo enthousiaste et volontaire, il sera emprisonné après la guerre, condamné à perpétuité mais remis en liberté conditionnelle à partir de 1953 grâce à l'influence de son fils aîné dans les milieux maçonniques tellement honnis, ironie du sort. Il touchera même une pension de guerre octroyée par l'Allemagne aux anciens collaborateurs (!!!), principe dont j'ignorais tout. Stefan Hertmans frissonne à l'idée de l'avoir peut-être croisé sans le savoir alors que son enquête met au jour des lieux qu'ils ont fréquentés tous les deux. Il est aussi et beaucoup question d'une famille partagée entre honte, liens filiaux et maritaux, dont l'auteur restitue la dignité avec empathie.
Ce que les lieux portent en eux est un questionnement universel - personnellement je ne peux ôter de mon esprit les images des bâtiments parisiens ornés des drapeaux à croix gammées - le temps a passé mais les empreintes sont toujours là, enfouies dans la mémoire de millions de pierres que Stefan Hertmans et peut-être d'autres n'ont pas fini de fouiller. Ici, le résultat est sidérant et fascinant.
(chronique publiée sur mon blog : motspourmots.fr)
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