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L’auteur qui a toujours refusé d’écrire une biographie de son père – l’éditeur Jérôme Lindon, mort en 2001 après un demi-siècle à la tête des Editions de Minuit –, se lance dans un récit qui, piochant dans ses souvenirs intimes et personnels – n’est-il pas une archive à lui tout seul, lui le témoin depuis l’enfance des relations paternelles avec les auteurs, à la maison comme à la Maison ? –, dessine un portrait tendre du grand homme.
« C’est ça, être fils quand ça tourne bien, c’est être le valet de chambre du grand homme avec un amour tel qu’il fait que le grand homme reste grand homme même lesté de vérité. » Cet exercice d’équilibriste, Mathieu Lindon le réussit avec une émotion contenue, nuançant juste ce qu’il faut le portrait de ce père légendaire pour faire revivre l’homme du quotidien jusque dans ses ambiguïtés parfois.
Il faut dire qu’il est impressionnant cet homme de passion et de combat qui influença tant les Lettres françaises. Promoteur du Nouveau Roman, découvreur de plusieurs générations de futures immenses figures de la littérature, dont rien moins que deux prix Nobel, il paya de poursuites judiciaires, de l’incendie de ses bureaux et du plasticage de son appartement, la publication d’ouvrages contre la torture pendant la Guerre d’Algérie et continua sa vie durant à se battre pour la défense du livre et de la librairie indépendante, au travers notamment de la législation sur le livre à prix unique.
On le découvre aussi pas toujours facile à vivre, intransigeant, perfectionniste, pingre parfois, manipulateur souvent, mari pas toujours fidèle, père que ses enfants n’appelèrent jamais Papa, effondré de ne pas connaître son petit-fils, qu’en raison d’une brouille, son autre fils André lui interdit de voir, lui écrivant alors d’inlassables lettres qu’il lirait peut-être un jour : enfin, un homme avec ses vulnérabilités, à rebours de son imposante légende.
Ecrit dans un style déconcertant parfois, certaines phrases à la syntaxe très libre restant incompréhensibles après plusieurs lectures, ce texte ne s’en lit pas moins avec le plus grand intérêt, tant il est peu ordinaire de se retrouver, comme l’auteur, une sorte d’archive vivante, le témoin récipiendaire de l’inestimable mémoire d’un véritable génie littéraire.
Roman autobiographique et biographique chargé de l’archive vivante qu’est Mathieu Lindon avec ses souvenirs qui dès enfant, au contact d’auteurs dont certains devenus mythiques tels Samuel Beckett, Marguerite Duras, Alain Robbe-Grillet, Claude Simon ou Robert Pinget, a trempé jusqu’au cou dans le monde des livres et des Éditions de Minuit dirigées par son père Jérôme Lindon qu’il honore d’un vibrant hommage.
A la mort de leurs parents, Irène et Mathieu réunirent l’ensemble de la bibliothèque familiale avec les livres originaux dédicacés, les courriers (dont les copies de ceux écrits à son petit-fils qu’il a été privé de rencontrer suite à une fâcherie durable entre lui et l’aîné de ses garçons) et tout ce qui put être archivé concernant son activisme syndical ou politique, pour en faire don à la BNF afin que rien du souvenir de ce que fut Les éditions de Minuit ne se perde et reste bien gardé à postérité dans le giron de la propriété intellectuelle. Irène qui avait pris la succession de son père à la tête de l’entreprise, la céda au groupe Gallimard en janvier 2022.
Mathieu devenu journaliste à Libération, a écrit de nombreux livres édités chez P.O.L. afin d’esquiver la main mise d’un patriarcat qui aurait pu lui rogner les ailes, ce malgré l’affection porté à son père. Les lignes en hommage à Paul Otchakovsky-Laurens et sa maison d'édition sont touchantes.
Hormis le texte vif et rythmé pour brosser un portrait sans concession de ce père combatif dont il réalise tant devoir, hormis la curiosité de l’intimité familiale et professionnelle de Jérôme Lindon et fils, je pense avoir beaucoup apprécié ce livre à cause de cette autre intimité, celle qui me relie personnellement comme lectrice à ma bibliothèque, à cette habitude de dire « mes chères éditions de Minuit » parce que j’aime son histoire et surtout son écurie faite d’un choix de nombreux auteurs à mon goût.
Doté d’une écriture sensible qui traduit la fragilité et la fébrilité des sentiments et l’ensemble des souvenirs qui refont surface avec la spontanéité d’une ardeur et d’une tendresse mélangées, c’est un livre passionnant et d’une sincère « intelligentillesse ».
Une édition P.O.L qui va clandestinement rejoindre l’étagère de ma collection Minuit…
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