Il n'est pas trop tard pour les découvrir... ou les offrir !
Le légendaire et dérangeant inspecteur Chen est sur la touche. Le Bureau de la réforme du système judiciaire, une voie de garage destinée à l'éloigner des enquêtes trop indiscrètes, pourrait le satisfaire en lui laissant le temps d'écrire un roman inspiré par le célèbre juge Ti. Mais on ne se refait pas, et la tentation d'aller fourrer son nez dans une affaire qui bruisse dans Shanghai-celle mettant en cause une belle courtisane qui ouvre sa table privée aux éminences et aux Gros-Sous de la ville-est plus forte que la sagesse. Tout en s'abritant derrière sa très efficace secrétaire, la jolie Jin, l'inspecteur finit par découvrir que le commerce des antiquités chinoises peut s'avérer extrêmement rentable mais parfois dangereux. Et qu'il vaut mieux ne pas se mettre à dos la Sécurité intérieure et les puissants princes rouges...
La table de Min, c’est l’endroit où il faut être vu à Shangai. Gros sous et huiles du Parti y ripaillent ou aimeraient le faire, car la dame est sélective et choisit avec soin ses clients. Les élus ne sont qu’éloges à son égard, les recalés répandent les pires rumeurs à son sujet.
Quand son aide-cuisinière est assassinée, Min est immédiatement arrêtée et, si certains s’en réjouissent, d’autres sont très inquiets. Leur hôtesse pourrait divulguer certains secrets sous la pression de la Sécurité intérieure.
Chargé de disculper la cuisinière par riche homme d’affaires, Vieux Chasseur demande à Chen Cao de lui prêter main forte. Mais l’ex-inspecteur principal a les mains liées. Mis sur la touche par le Parti, il est désormais directeur du Bureau de la réforme judiciaire en convalescence forcée et doit faire profil bas pour ne pas envenimer sa situation déjà précaire. Pour s’occuper, il se plonge dans une enquête du juge Ti du hollandais Robert van Gulik. Toujours prompt aux comparaisons poétiques, il établit un parallèle entre l’héroïne du roman et la malheureuse Min. Aussi, sans avoir l’air d’y toucher, et épaulé par sa nouvelle assistante, la dynamique, jeune et jolie Jin, le directeur Chen se mêle dans l’enquête.
C’est toujours un plaisir de marcher dans les pas de Chen Cao dans les rues de Shangai. Mis au placard, l’ex-policier se languit, dans l’attente d’une décision du Parti. Son éviction est-elle définitive ou peut-il encore espérer une réhabilitation ? Désormais célèbre et reconnu comme le meilleur enquêteur de la ville, voire du pays, Chen jouit d’une notoriété sans précédent parmi la population et sur les réseaux sociaux. Le Parti marche donc sur des œufs, encombré de ce policier opiniâtre qui a souvent froissé la susceptibilité de messieurs haut placés. Et il en va de même pour Chen qui essaie de se faire discret même quand l’envie d’enquêter le titille. Par bonheur, sa nouvelle assistante est douée pour lire entre les lignes et se substitue à lui sur le terrain sans qu’il n’ait à le lui demander explicitement. Ensemble, ils partagent petits plats, phrases à double sens et révélations cryptées jusqu’à la résolution de l’enquête.
Promenade gastronomique et poétique pour ce dernier opus un peu longuet. Si Jin apporte une touche de modernité, adepte qu’elle est d’internet et des macha latte de chez Starbucks, Chen Cao semble épuisé comme si le Parti avait réussi à le persuader que son repos forcé n’était pas le fruit de manigances politiques mais véritablement nécessaire à sa santé. Il traîne un peu la patte mais reste le policier perspicace qu’il demeurera toujours. De plus la comparaison filée tout au long du récit entre l’affaire Min et les enquêtes du juge Ti paraît artificielle. On sent bien que c’est un prétexte pour l’auteur qui cherche déjà à vendre son prochain livre.
On aime parce qu’on est attaché à Chen mais il faudra se reprendre et lui proposer des aventures plus palpitantes à l’avenir.
L'inspecteur Chen Cao est mis sur la touche. Au cours de ses dernières enquêtes, il avait contrarié un certain nombre d'huiles du Parti par son entêtement à révéler de graves affaires de corruption. Mais au vu de sa réputation auprès du peuple d'être un des rares flics honnêtes et efficaces du pays, il avait été décidé en haut lieu de le nommer au Bureau de la réforme du système judiciaire. Une voie de garage, certes, mais tapissée de rouge qui lui permettait de conserver ses avantages et de disposer de temps pour écrire un roman inspiré du fameux juge Ti.
C'est alors que son ami Vieux Renard, qui officie en tant que détective privé, sollicite son aide. Min Lihua, une courtisane qui organise des repas aussi fins que privés destinés aux Gros-sous de la ville, a été arrêtée suite au meurtre de sa jeune cuisinière survenu après l'un de ses fameux dîners. Elle a été retrouvée le lendemain le crâne fracassé. La police n'a trouvé aucun signe d'effraction et des témoins ont affirmé que les deux femmes s'étaient disputées, circonstances qui incrimineraient Min.
Sinia, un homme riche et influent, veut que l'agence de Vieux Renard prouve son innocence et la fasse libérer.
Pourquoi Min, qui ne s'est jamais mêlée de politique, fait-elle l'objet d'un "shuanggui", "comme les cadres corrompus envoyés en détention dans des endroits secrets"? Pourquoi l'enquête a-t-elle été confiée à l'inspecteur Xiong, de la brigade criminelle, plutôt que d'être confiée à la brigade des affaires spéciales? Ce qui intrigue doublement l'inspecteur Chen est qu'ensuite la Sécurité intérieure ait pris le relais. Bizarre, bizarre!!
Chen, officiellement en congé de convalescence, accepte la mission. Mais il devra se montrer extrêmement prudent, le Parti ayant "demandé" à son assistante de le surveiller tous ses déplacements et les démarches extérieures au service qu'il pourrait entreprendre.
Shangaï: infimes détails distillés au fil du récit: "Vieux Chasseur attendait Chen à l'entrée du parc située tout près de l'ancienne bibliothèque de Shangaï, reconvertie en musée suite aux changements radicaux qui avaient transformé le quartier." (Pages 15-16)..."Il fallut moins de vingt minutes à Jin pour atteindre la cité de Min, mais elle mit ensuite un certain temps pour trouver le bureau du comité de quartier, tapi à l'angle des rues de Jinling et de Madang. Elle était face à un décor banal dans cette ville en perpétuelle mutation: d'un côté, les gratte-ciel modernes se serraient les uns contre les autres et à deux pas de là, quelques maisons shikumen délabrées tenaient bon, parmi lesquelles le local du comité de quartier, pareil aux cartes postales jaunies par le temps que ses parents avaient conservées." (Page 100).
Scène de crime: "Chen se rendit ensuite sur les lieux du crime, à seulement cinq minutes à pied de là. La ruelle était aussi glauque que les autres. A côté de plusieurs immeubles en ruine, certaines maisons obstinées tenaient bon, malgré les ravages du temps. A cette heure, la zone était déserte." (Page 152).
Il est intéressant de connaître la position de l'auteur sur la situation politique en Chine, sachant que Qiu Xialong vit en exil aux Etats-Unis depuis les manifestations de la place Tian'anmen en 1989. Bien qu'il occupe un poste de professeur à l'université de Saint-Louis, il n'a jamais perdu de vue son pays et sa ville natals dont il décortique le fonctionnement sous le regard ironique et blasé de son personnage de policier intègre et incorruptible: "Les récents bouleversements du paysage politique n'annonçaient rien de bon. Un des "princes rouges" était désormais sur le trône, et lors de ses précédentes enquêtes, Chen avait mis en danger plusieurs personnages intouchables de sa suite. Bien que ses succès aient été salués dans les medias comme des preuves de "la volonté du grand et glorieux Parti de lutter contre la corruption à tous les niveaux", ils n'avaient pas dû être vus d'un bon oeil par les puissants concernés." (Page 9).
Pour l'auteur, il ne fait aucun doute que tous les compartiments de la société chinoise sont tuyautés par le Parti qui en contrôle tous les aspects: "-La situation s'améliore, heureusement. Les nouveaux juges sont obligés d'avoir un diplôme. -Les jeunes, oui, mais ils doivent aussi jurer allégeance au Parti et servir ses intérêts avant de servir la loi. Les examens de droit sont truffés de questions politiques..." (Pages 52-53) =>Tout est dit!!
Ne nions pas le fait que Qiu Xiaolong n'en finit pas d'utiliser sa prose pour régler ses comptes avec la Chine qu'il a quittée il y a trente-deux ans, n'ayant certainement pas digéré le fait que son père fut victime des gardes Rouges pendant la Révolution culturelle de 1966. Depuis vingt ans, son inspecteur, chantre de la liberté d'expression et de l'indépendance totale des instances policières et judiciaires, mène ses enquêtes dans une Shangaï en perpétuel mouvement, régie par l'argent qui corrompt tous les rouages de la société.
Cela dit, les romans de Qiu Xiaolong ont le mérite de faire pénétrer le lecteur dans un monde sclérosé dont peu d'échos parviennent jusqu'à nous. Les intrigues sont solides, les personnages, ni bons ni méchants, simplement ballottés par un système sclérosé, sont crédibles. Les questionnements de l'inspecteur Chen
Le +: les soubresauts d'une Chine traditionnelle à l'agonie en proie au matérialisme toujours plus agressif. Le peuple chinois, surtout les jeunes générations, veut profiter des bienfaits du capitalisme et décider en toute indépendance de son destin, sans se préoccuper des désiderata de vieux politiciens corrompus jusqu'à la moelle. Qiu Xiaolong, à leur écoute malgré l'éloignement géographique, relaye leurs aspirations jusqu'aux confins de l'Occident aveugle.
Une lecture aussi divertissante qu'instructive...
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