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Qu'est-ce qui fait de nous des êtres capables de créer ?
Lorsque Diderot écrit que « les grands artistes ont un petit coup de hache dans la tête », il consacre une idée qui traverse les époques et les cultures : qu'il s'agisse de la mélancolie selon Aristote, de la tempête des passions selon les Romantiques ou du manifeste surréaliste, tous célèbrent le lien entre folie et créativité, au point de considérer la folie comme l'ordinaire du génie.
Pourtant l'idée ne résiste guère à l'expérience quotidienne du psychiatre, qui raconte ici ses patients et montre combien la maladie les entrave et les livre à la souffrance.
C'est à partir de récentes études scientifiques qu'il devient possible de résoudre cette apparente contradiction : c'est du côté des parents, enfants, frères et soeurs des patients que pourrait bien se situer la propension à la créativité. Le lien entre folie et créativité devient un lien de parenté : notre ADN nous rend vulnérables aux troubles psychiques en même temps qu'il nous permet de créer.
C'est parce qu'ils sont la contrepartie de ce qui fait de nous des êtres humains que ces troubles s'avèrent si fréquents. Pour créer une oeuvre, il faut se représenter le monde en pensée. Or l'acte élémentaire de penser est en soi un acte de création, et un pouvoir qui n'est pas sans risque : en façonnant nos représentations du monde, nous devenons capables de les enrichir à l'infini.
Pour faire oeuvre ou pour se perdre.
Le génie est-il engendré par la folie ou la folie doit-elle son émergence au génie ? C’est l’éternel dilemme de l’oeuf et de la poule !
Au cours de cet essai qui surfe aux confins de la science et de la philosophie, tout en incluant le domaine de l’art, de multiples questions sont posées qui gravitent autour des liens forts qui unissent la création et la folie.
A commencer par les origines. Comment cette propension de l’esprit humain à dérailler a -t-elle pu subsister malgré les fourches caudines de la sélection naturelle ? Il semble bien que cette fragilité de la psyché ait en effet été un facteur de pression sélective positive et que la disparition de l’homme de Néandertal au profit de l’homo sapiens en résulte. Plus fragile mais plus compétent. Plus intelligent mais moins fiable. C’est la rançon du progrès.
L’analyse des relations indéniables entre folie et création, s’appuie sur des pathologies particulièrement fécondes en matière de productions, la schizophrénie et la bipolarité. Mais le lien est plus complexe qu’il n’y parait. D’abord parce les études qui ont conclu à cette parenté forte de la maladie et de la création ne sont pas toutes fiables; et parce qu’il apparait aussi que cette créativité est finalement plus marquée dans l’entourage des personnes atteintes que chez les patients eux-même !
La psychiatrie est une spécialité médicale qui a ceci de particulier que son sujet se trouve à la lisière de la science et de la philosophie. Ce qui enrichit le propos de l’ouvrage. L’art n’est pas un parent pauvre de la thèse, et les références sont nombreuses, qu’elles soient en lien avec la peinture, la musique ou la création littéraire.
Menée avec la rigueur d’une thèse, références à l’appui, le sujet bien que pointu est abordable, avec un bagage scientifique ou médical minimal. Il est passionnant, mais cela est un avis personnel, tant la folie me fascine, dans ce qu’elle révèle de notre fonctionnement.
Merci aux éditions Grasset et à Netgalley.
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