Valentine Goby partage ses choix littéraires
1939, ce sont les premiers mois de ce que l'on appellera la drôle de guerre. Période de suspens, d'attente particulièrement dans les Ardennes où l'aspirant Grange a pour mission d'arrêter les blindés allemands si une attaque se produisait. A la fois île déserte et avant-poste sur le front de la Meuse où montent des signes inquiétants.
Bonjour . L' aspirant Grange est muté dans un village de la Meuse durant la guerre . Dans le train qui l'emmène il regarde le paysage :"quand la vallée reparaissait toute étincelante de trembles sous la lumière dorée , chaque fois que la gorge s'était approfondie entre ses deux rideaux de forêt , chaque fois la Meuse semblait plus lente et plus sombre , comme si elle eut coulé sur un lit de feuilles pourries"
C'est un enchantement de lire Julien Gracq .Le style est une poésie infinie ; nous nous évadons au travers des pages où naissent des odeurs de feuilles mortes , la chaleur du soleil , le bruit des gouttelettes d'eau ou le bruit d'un train:" il quittait la route à l'entrée de la clairière et prenait un chemin de terre qui se glissait entre la lisière des taillis et des clôtures d'épines des jardinets ....Quand il arrivait très tôt , un étang de brouillard traînait encore sur les prairies , d'où sortaient seulement les maisons , la crête des haies et les touffes des pommiers ronds"
Son interprétation de la réalité est telle qu'à travers ses mots on voit le monde comme derrière un appareil photographique :" des soldats en kaki somnolaient assis à califourchon sur les chariots de la poste"
ou " le long de la berge les réseaux de barbelés où une crue de la rivière avait pendu des fanes d'herbes pourries"
Je ne pourrais cesser de noter les innombrables phrases qui m'éblouissent et me transportent sur les rives de la Meuse .
Par moments on découvre la vie de garnison de l'aspirant Grange par des bribes de souvenirs que nous révèle l'auteur
On entend le tintamarre de l'invasion de l'artillerie :" une rue pauvre et grise qui courait à la Meuse ; le crépuscule rapide d'octobre la vidait brusquement de ses passants civils , mais partout des façades jaunes , suintait la rumeur soldatesque :tintements des casques et des gamelles , choc des semelles cloutées contre le carreau.."
On est bercé par un mouvement lent et continu , on avance avec Grange d'une façon bonhomme puis on arrive sur le lieu où loge son régiment . C'est une vie qui pourrait être mouvementée avec la guerre mais point du tout Chaque instant est plein d'une douceur tranquille , une forme de mélancolie dans l'écriture :"Grange et Olivon s'étaient assis un peu en retrait au bord de la route ,sur des fûts d'essence vides , ils regardaient passer les blindés .Ils n'étaient pas très intéressés - le spectacle n'était guère neuf - mais ils ne s'ennuyaient pas non plus"
Ce tableau peint à petites touches de la vie de l'aspirant Grange , un tableau lisse sans trop d'inattendu : " le convoi à perte de vue coulissait dans le grincement des engrenages à l'intérieur d'un lourd cocon de poussière grise qui se balançait sur la laie , saupoudrant les moindres branchettes des chenilles épaisses d'une farine bise , pareille à celle des chemins de fer à chaux"
Et je me laisse emporter par ces alignements de mots , étourdie par la dextérité avec laquelle Julien Gracq sait magnifier les mots, les images et en faire une source d'enchantement...
Tout est sensation ,émotions , harmonie du langage tel un chant délicat . Le charme m'étreint encore: "Elle était spontanée , mais elle n'était pas limpide :c'était les eaux printanières toutes pleines de terre et de feuilles . Les paroles étaient d'une enfant , mais leur audace n'était pas toute naïve ; ce qu'il avait eu soudain sur sa main , c'était une bouche pulpeuse , aux lèvres lourdes , qui savait déjà chercher son bien "
L'aspirant Grange rencontre une jeune femme mais ce n'est pas ce moment qui est ensorcelant mais encore ses locutions:" quand ils sortirent du bois , le hameau était déjà annuité dans sa clairière; seul un carré de lumière tombait par la porte ouverte des Platanes sur la petite terrasse et faisait sortir de l'ombre les basses branches du châtaignier , puis tout autour, faiblement , le troupeau des maisonnettes allongées dans l'herbe , dont le toit dépassait à peine les clôtures d'épines des jardins"
C'est si beau que je noterai quasiment toutes les phrases pour le plaisir de les relire encore mais je vous laisse les découvrir et vous accouder " au balcon en forêt" . Belles lectures . Prenez soin de vous.
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