Alors que les membres du jury s’attèlent à leurs dernières lectures et peaufinent leurs arguments pour le 5 mai prochain, où ils devront désigner cinq romans finalistes, revenons sur les 30 titres sélectionnés pour le Prix Orange du Livre 2015.
"La traque des étudiants se poursuivait boulevard Saint-Germain et rue Saint-Jacques. Des groupes de jeunes, garçons et filles mélangés, se battaient à mains nues contre les matraques des policiers, d'autres lançaient différents objets ramassés sur les trottoirs. Parfois, des fumées m'empêchaient de distinguer qui attaquait qui. Nous apprendrions plus tard qu'il s'agissait de gaz lacrymogènes.
Le téléphone sonna.
C'était Jean-Luc, très inquiet, qui craignait que je n'aie pas eu le temps de regagner notre appartement. 'Écoute Europe numéro 1, ça barde au Quartier latin !' Nous étions le 3 mai 1968." Anne Wiazemsky
Alors que les membres du jury s’attèlent à leurs dernières lectures et peaufinent leurs arguments pour le 5 mai prochain, où ils devront désigner cinq romans finalistes, revenons sur les 30 titres sélectionnés pour le Prix Orange du Livre 2015.
Le cinéma vous fait rêver ? On vous l'assure, le meilleur fauteuil pour en profiter, c'est le vôtre... avec un bon livre !
En fermant ce livre, on se dit quelle époque merveilleuse ! L’auteur nous fait découvrir ce temps de la Nouvelle Vague où tout le monde finit par se rencontrer ( Mauriac, Cohn Bendit, Bresson, Godard, Jeanson,...) et à construire un univers créatif. Comment ne pas être touché par Godard ? On le découvre romantique, jaloux, protecteur, Pygmalion et vulnérable aussi. Anne Wiazemsky nous dévoile la formidable énergie de ce moment, ses incertitudes aussi et ce qui se cache derrière le génie de Godard.
Une jeune fille, Anne Wiazemsky, nous conte les événements de mai 1968 quasi cinquante ans après.
Sa mémoire n’est pas indéfectible ; elle s’est servie de son journal de l’époque, de la mémoire de son frère Pierre et des archives de presse pour reconstituer ces souvenirs de manière aussi précise.
Le récit qu’elle nous livre conte plusieurs histoires.
La première est le cadre historique de mai 1968 au cœur du Quartier latin et ses répercussions sur la France.
La seconde c’est la tourmente intellectuelle du cinéma français depuis février 68 avec l’affaire Langlois et les lignes de rupture qu’elle engendre.
Enfin, c’est l’histoire de ce jeune couple dans la tourmente de mai 68. Leur résidence, rue Saint Jacques au cœur du Quartier latin leur permet d’assister en direct aux événements.
Anne est jeune, insouciante et traverse les rues en patins à roulettes pour contourner les barricades.
Godard vit mai 68 à travers les comités étudiants, l’interruption du festival de Cannes, il rejoint le comité de réforme du cinéma français, se veut solidaire avec les étudiants, les ouvriers et remet en question sa manière d’aborder le cinéma, il veut servir la cause, ne trouve pas la bonne façon de le faire, se renferme sur lui-même, ces pensées le miment, il vit cela de manière intransigeante, se coupe de son entourage.
Un an après les failles de l’histoire ont résonné dans leurs vies, broyé leurs destinées, Anne n’est plus le témoin privilégié de l’histoire, leur rupture se dessine inexorablement.
Anne Wiazemsky se penche sur sa vie de couple et de jeune vedette dans cette année 68 si passionnante mais aussi sur ces événements qui ont marqué un tournant certain dans la vie française. Habitant en plein coeur du quartier latin, elle se trouvera tout à la fois impliquée et témoin de la révolte. Ces deux thèmes du livre se côtoient avec bonheur et semblent suivre le même chemin. L'exaltation du début va petit à petit se voir ternie par les doutes ou comment un couple et une révolution vont sombrer et perdre toutes leurs illusions.
Je l'avoue, j'ai été épaté par l'écriture de ce roman. Les événements datent d'il y a presque cinquante ans et pourtant, sous la plume d'Anne Wiazemsky, j'ai eu l'impression qu'ils dataient d'hier. Tout est tellement précis, tout semble tellement vrai que jamais on n'imagine le travail de tisseuse qui a dû avoir lieu pour arriver à ce résultat. C'est en cela que le livre n'est pas un simple recueil de souvenirs mais une recréation romanesque, un mélange sans doute de ce qui reste en mémoire et d'éléments recomposés.
Le résultat est passionnant. Mine de rien, on tourne les pages avec passion. On croise la fine fleur de l'intelligentsia, de ce qui composait l'élite pensante et d'avant garde de l'époque. On parle beaucoup de cinéma aussi (et comme j'aime ça, je buvais du petit lait). Et puis surtout, il y a un portrait inénarrable de Jean Luc Godard, boudeur, sentencieux, prêt à se fourvoyer dans les mouvements les plus utopiques pour rester dans le tempo de la révolution, tendre parfois, coléreux, chiant, imbuvable, amoureux aussi. Il est à lui seul un vrai personnage de roman.
C'est un récit sensible, fluide, et attachant. L'auteur mêle ses souvenirs, précis et vivants, des évènements de Mai 1968 à Paris, et son ressenti, ses émotions diverses, que font naître en elle les affrontements des étudiants et de la police, et les changements soudains de son compagnon Jean Luc Godard.
L'auteur retrace ce qu'elle observe, ce qu'elle découvre, toute cette effervescence qui a traversé la jeunesse et qui a gagné le monde artistique et intellectuel. De façon simple et naturelle nous croisons Mauriac, Deleuze, Truffaud, Brel, Moravia, Pasolini, les Rolling Stones, Mastroianni... Sur fond de combats de rue, d'AG dans les amphis, de discussions animées, réellement traversés par l'auteur, elle nous emmène avec elle dans l'évolution de son sentiment amoureux. Elle voit l'homme qu'elle aime emporté dans des réactions brusques, des revirements dans son comportement, dans ses valeurs, dans ses choix. Envahie par l'incompréhension, le désarroi, l'angoisse, la colère, l'auteur exprime de façon simple ses souffrances, ses agacements, ses engouements, ses désirs.
Tout se mêle et se tisse ensemble dans cette écriture, l'ambiance désordonnée et fougueuse de ce printemps habité d'un grand désir de renouveau, le délitement d'un amour passionné et confiant. C'est sobre, sincère, prenant.
J'aurais du mal à ne pas comparer ce nouveau roman au précédent "une année studieuse". On y retrouve cette écriture à la fois simple et ciselée, sautillante et parfois pesante, fine et travaillée. Moins légère qu'auparavant, plus sérieuse, l'auteur nous fait revivre l'année 1968, ses propres doutes politiques et les difficultés de sa vie de couple. On ressent sa douleur mais aussi sa grande lucidité face au basculement de Jean-Luc Godard dans une sorte de pathologie mentale dans laquelle elle refuse de l'accompagner. Magnifique plaidoyer pour sa liberté, même si le chagrin est au bout.
Après "Une année studieuse" où l'on suivait la petite fille de François Mauriac jusqu'à ses épousailles avec le réalisateur de "Pierrot le fou", Anne Wiasemsky poursuit son récit autobiographique avec "Un an après" ou la légèreté laisse place à une forme de gravité plutôt intéressante. Au travers de la tension parisienne de mai 68 conjuguée au caractère psychotique de Jean-Luc Godard, Anne Wiasemsky nous révèle avec un vrai style et un vrai talent la traversée d'une année historique pendant laquelle les doutes seront plus présents pour elle que les certitudes qu'elle pensait solides et peut-être éternelles. Godard qui souffrait déjà beaucoup dans la biographie d'Antoine de Baeque et lors d' une apparition peu gratifiante dans le dernier roman de Richard Donner,devient ici sujet de réflexion de part son attitude quasi pathologique et ses choix artistiques et politiques qui confèrent souvent au ridicule. Ses grands et magnifiques films sont derrière lui à cette époque et Anne Wiazemsky analyse de façon passionnante de quelle manière elle va éviter de basculer dans l'univers paranoïdo-dépressif du cinéaste Suisse. Dans la douleur mais avec une belle et élégante lucidité.
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