"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
«Cette pierre que tu poses devant toi... devant laquelle tu te lamentes sur tous tes malheurs, toutes tes misères... à qui tu confies tout ce que tu as sur le coeur et que tu n'oses pas révéler aux autres... Tu lui parles, tu lui parles. Et la pierre t'écoute, éponge tous tes mots, tes secrets, jusqu'à ce qu'un beau jour elle éclate. Elle tombe en miettes. Et ce jour-là, tu es délivré de toutes tes souffrances, de toutes tes peines... Comment appelle-t-on cette pierre ?» En Afghanistan peut-être ou ailleurs, une femme veille son mari blessé. Au fond, ils ne se connaissent pas. Les heures et les jours passent tandis que la guerre approche. Et la langue de la femme se délie, tisse le récit d'une vie d'humiliations, dans l'espoir d'une possible rédemption.
Un livre bouleversant! Dans un Afghanistan sous les bombes, une femme passe une grande partie de ses journées au chevet de son mari blessé. L’imam a prédit son réveil mais au fil des jours celui-ci devient de plus en plus incertain. Alors la femme ose. Elle ose parler à l’homme de ses doutes, ses angoisses, ses craintes. Au fur et à mesure que le temps passe elle ose même lui avouer l’inavouable: ses rancoeurs, ses frustrations, son désir de vengeance.
Dans ce terrible huis-clos qu’est cette chambre de malade la tension augmente à mesure qu’avance la confession faite à ce mari qui devient la syngué sabour, la pierre de patience de la femme.
Magnifiquement écrit, des phrases courtes, sans fioritures qui disent l’essentiel. Et qui marquent. Qui touchent. Qui bouleversent.
Prix Goncourt 2008, amplement mérité, ce livre est d'une beauté à couper le souffle, il véhicule une puissance évocatrice incroyable ! Il sublime la femme afghane, qui habituée aux violences, à la soumission la plus totale se raconte au chevet d'un mari reposant inerte sur un matelas, entre la vie et la mort. Elle confie ses secrets les plus intimes de sa vie à son homme, en espérant que malgré les apparences de son état végétatif, il entend ce qu'elle lui dit, elle se libère de tout ce qu'elle avait enfoui en elle depuis des années. le rythme, la qualité d'écriture, les anecdotes qui surgissent du passé, mais aussi l'instant présent avec des soldats qui tirent de tous les côtés rendent cette lecture vivante et une grande empathie nous lie à cette femme remarquable.
Syngué Sabour - Pierre de patience par Atiq Rahimi est un roman d'une immense sensibilité dont on ne ressort pas totalement indemne.
L'histoire poignante d'une femme Afghane racontee par un témoin anonyme dans un style cinématographique (d'ailleurs adapté au cinéma par son auteur devenu réalisateur en 2013).
Cette femme va vivre pendant plusieurs jours au chevet de son mari, plongé dans le coma depuis qu'il a reçu une balle dans la nuque, dans un Afghanistan en guerre ou ne règnent que la violence et la peur.
Profitant de son coma, elle va s'acheter enfin un peu de liberté en se confiant à lui, comme une femme "normale" pourrait le faire avec un homme "normal" dans une vie "normale".
Elle va lui avouer tous les lourds secrets de sa vie qui lui pèsent et qui lui auraient valu la mort immédiate de la main de ce monstre s'il avait été conscient.
Pour une fois elle va être elle-même. Pour une fois elle va respirer. Pour une fois elle va vivre.
Dur pour le cœur, bon pour l'âme, je l'ai dévoré en 2 heures intenses en émotions,.un prix Goncourt largement mérité et à lire si ce n'est pas déjà fait.
La scène se passe quelque part en Afghanistan ou ailleurs. Dans une chambre très sobre, un homme gît, inerte, sous perfusion, décharné. Près de lui, une femme égrène un chapelet, devant un Coran ouvert. Dans la pièce d’à côté, deux petites filles pleurent et leur mère va les consoler. Au loin, une bombe explose et des coups de feu se rapprochent.
Avec sobriété, et précision, le décor est planté et nous ne nous en éloignerons guère. Atiq Rahimi, avec une immense sensibilité, nous place au cœur de la vie de cette femme qui se confie à cet homme, dans le coma depuis trois semaines. Petit à petit, elle lui avoue ses secrets et implore Dieu de venir à son secours. Elle confie sa vie intime. En dix ans et demi de mariage, ils n’ont eu que trois ans de vie commune, son mari étant absent. D’ailleurs, elle a été fiancée à lui à 17 ans puis mariée en son absence. La parole des sages lui revient : « Il ne faut jamais compter sur celui qui connaît le plaisir des armes. »
Peu à peu, l’intensité augmente. Des hommes armés surgissent. Elle s’en débarrasse en leur faisant croire qu’elle est une pute… Ce qu’écrit Atiq Rahimi sur la condition féminine est très fort. Elle dit tout à son mari. Il devient sa Pierre de patience, Synghé sabour, en référence à cette pierre noire qui se trouve à La Mecque.
Lui revient en mémoire un conte que disait sa grand-mère mais sans lui dire la fin. C’est son beau-père avec lequel elle s’entendait bien qui lui donne la solution. Survient un jeune homme et lui reviennent en mémoire les nuits passées avec son mari, son mépris pour elle et l’absence de plaisir. Tout, elle lui dit tout, jusqu’à ce que… Atiq Rahimi a réussi un petit chef-d’œuvre, réussissant à dérouler une véritable fresque pleine de sensibilité et d’horreur aussi.
Le Prix Goncourt avait justement couronné ce livre en 2008.
Chronique illustrée à lire sur : http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2019/07/atiq-rahimi-synghe-sabour.html
effroyablement et si justement écrit !
Ce qui m'a le plus marqué dans cette histoire, c'est que les personnages n'ont pas d'identités ! Pas de nom ! Cette femme qui veille sur son mari, elle une femme parmi tant d'autres. Elle n'a pas besoin de nom puisque de toute façon c'est la femme DE . Et son mari n'est pas identifié non plus puisque c' est un soldat comme beaucoup d'autres hommes de son pays. Ils ont perdu depuis longtemps ce qui fait d'eux des individus à part entière.
La femme me direz-vous n'a que peut de considération dans son entourage (mariée à un homme qu'elle ne connaît pas, esclave de son mari, et j'en passe). Oui mais un homme invalide aussi dans ce roman! Abandonnés de tous! De leur famille, de leur armée et même de leur Dieu !
Tout est cadencé. Au rythme de la respiration de l'homme. Au rythme des prières du Mollah. Au rythme des bombes !
Et plus on avance dans ce roman, plus cette femme se retrouve une identité. Elle parle d'elle! Se confie! Enfin elle peut être quelqu'un et partager sa vie, sa vision des choses et son plaisir. Oui mais à quel prix ..
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Elle veille son mari mourant, une balle dans la nuque, en égrenant son chapelet et ânonnant « Al-Qahhâr, Al-Qahhâr, Al-Qahhâr », se calquant sur la respiration du moribond. Le silence de la chambre rend les bruits, la présence de la guerre encore plus insupportables. Le temps s’écoule au rythme de la respiration du mari, des alertes, du couvre-feu, des gouttes de collyre et du goutte-à-goutte. Un rythme lent, un quasi silence qui éclatera en morceaux avec les paroles de la femme.
Petit à petit, une impatience sortie de ses entrailles nait, une audace la tenaille. Elle ose s’insurger contre lui, ose parler du désir, des humiliations, de son père, de parler de toutes ces choses interdites qu’elle tenait enfermée au fond d’elle-même. Petit à petit, les mots se font plus osés, plus durs, plus crus. La soumission n’est plus de mise, elle ose parler d’elle, elle accouche, enfin, de sa féminité.
Dans ce conte, Atiq Rahimi, écrivain afghan, ose s’emparer de la féminité, des souffrances, des désirs d’une femme dans un livre toutes tripes sorties. Cette veilleuse défiera son époux inconscient, se vengera de lui et de sa famille en provoquant deux hommes armés venus se réfugier chez elle se déclarant putain pour ne pas subir le viol. « J’étais obligée de lui dire ça, sinon, il m’aurait violée » Elle osera dépasser les tabous « Je vends ma chair, comme vous vendez votre sang. » en assumant ce rôle de putain. Elle osera se rebeller contre l’hypocrisie, contre cette guerre fratricide qui dure depuis si longtemps, se dévoiler.
Celle qui n’était qu’effacement, fantôme sous son tchadari va se libérer, la pierre de patience va éclater dans une grande violence. « Tu lui parles, tu lui parles et la pierre t'écoute, éponge tous tes mots, tes secrets, jusqu'à ce qu'un beau jour elle éclate. Et ce jour-là, tu es délivré de toutes tes souffrances, de toutes tes peines. »
Un livre âprement superbe. La violence des mots d’Atiq Rahimi n’est pas sans me rappeler Anima de Wajdi Mouawad. Un coup de cœur.
J'ai beaucoup aimé et j'ai prolongé l'émotion en allant voir le film.
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