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Chef-d'oeuvre de Mircea Cãrtãrescu, Solénoïde est un roman monumental où résonnent des échos de Borges, Swift et Kafka. Il s'agit du long journal halluciné d'un homme ayant renoncé à devenir écrivain, mais non à percer le mystère de l'existence.
Après avoir grandi dans la banlieue d'une ville communiste - Bucarest, qui est à ses yeux le « musée de la mélancolie et de la ruine de toute chose », mais aussi un organisme vivant, coloré, pulsatile -, il est devenu professeur de roumain dans une école de quartier. Si le métier le rebute, c'est pourtant dans cette école terrifiante qu'il fera trois rencontres capitales : celle d'Irina, dont il tombe amoureux, celle d'un mathématicien qui l'initie aux arcanes les plus singuliers de sa discipline, et celle d'une secte mystique, les piquetistes, qui organise des manifestations contre la mort dans les cimetières de la ville.
À ses yeux, chaque signe, chaque souvenir et chaque rêve est un élément du casse-tête dont la résolution lui fournira un « plan d'évasion », car il ne s'agit que de pouvoir échapper à la « conspiration de la normalité ».
Lire « Solénoïde », c'est embarquer dans un univers fantasmagorique, où les idées et la narration empruntent les itinéraires improbables des rêves pour percer les mystères de la vie. Ici, la texture du récit est une porte ouverte sur un monde parallèle, un miroir que l'on ne cesse d'approcher, que l'on rêve de traverser, une fugue possible de la frêle et décevante réalité.
Une expérience de lecture hors normes, des acariens qui creusent des galeries sous notre peau (beurk !) aux déambulations d'enfants dans les dortoirs d'un sanatorium perdu, les souvenirs et les délires du narrateur nous conduisent dans des territoires parfois repoussants, souvent poétiques, toujours fantastiques.
J'ai aimé parcourir les rues délabrées de la Bucarest années 70 du narrateur- écrivain, me plonger dans cette écriture puissante et souvent drôle, charnelle surtout. J'ai été impressionnée par la construction de ce roman foisonnant, perdue aussi par moments, parce que dans ses obsessions, le narrateur a une fâcheuse tendance à se répéter.
J'ai adoré les portraits que l'écrivain roumain fait de l'improbable salle des professeurs de l'école 86, la mise en abyme du récit façon Rubik's cube, les couleurs qui jaillissent subitement dans ce décor urbain austère. J'ai totalement adhéré à cette poétique du chaos, à cette noirceur féconde dont émerge une fin lumineuse et finalement humaniste.
Par-delà la richesse de cet univers, Cărtărescu compose également une ode à la lecture qui transporte, à l'écriture qui libère, et c'est franchement réussi. Des références à Borges, Dostoïevski ou Kafka remplissent la bibliothèque idéale de ce récit.
Il faut lire Cărtărescu et l'incroyable traduction de Laure Hinckel, qui restitue brillamment la musicalité et la beauté de l'écriture de « Solénoïde ».
Un grand roman dense et étrange, au croisement de Bolano et de Petrosyan dans mon panthéon littéraire !
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