"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Rien ne destinait Franz Michael Felder (1839-1869) à laisser une trace de sa brève existence. Paysan pauvre d'une vallée perdue d'Autriche occidentale, il eut à vaincre mille obstacles, à commencer par les préjugés de son milieu, pour accéder à la littérature et à la poésie, objets précoces de son ambition. Auteur de romans, de poèmes, d'essais et d'une ample correspondance, il laisse surtout un chef-d'oeuvre, publié au lendemain de sa mort : son autobiographie.
S'il faut lire ce livre, ce n'est pas seulement parce qu'il s'agit probablement de toute première fois où s'éleva, dans l'empire autrichien (et même en Europe), une voix venue des profondeurs de ce monde rural que tant de romanciers idéalisaient alors sans le connaître. En effet, voir dans les Scènes de ma vie un document sur la paysannerie, ce serait passer à côté du génie de Felder. Ce qui sidère le lecteur d'aujourd'hui, c'est l'évidence de sa vocation littéraire. Dans la langue exceptionnellement fidèle, riche et imagée de la traduction d'Olivier Le Lay, Felder parvient à rendre intensément présentes toutes les situations qu'il décrit. Dès les premières lignes du livre, il est là, en chair et en os, qui entreprend de raconter les "vies minuscules" de ses compatriotes et la sienne, sans apitoiement : simplement pour en dégager la vérité universelle.
Réédité tout au long du XXe siècle, jamais oublié, Felder est longtemps resté un auteur pour initiés. C'est Peter Handke qui l'a vraiment fait découvrir au grand public germanophone en préfaçant en 1987 l'édition de poche des "Scènes de ma vie". La préface de la présente édition est un texte nouveau, spécialement écrit par Peter Handke pour ses lecteur francophones.
La quête de Franz
Avant de lire cette merveille de la littérature autrichienne, lisez la postface et la préface où Peter Handke et Jean-Yves Masson vous livrent quelques secrets du livre que vous avez entre les mains.
Dès les premières lignes, j’ai eu l’impression de livre quelque chose d’unique.
Franz Michael Felder est né en 1839, en Autriche, et est mort prématurément en 1869, n’arrivant même pas à ses trente ans. Mort d’épuisement.
Pas difficile à comprendre au fil de ses scènes de vie, qu’il nous livre avec fougue.
J’ai eu la sensation que Franz était près de moi, je le voyais, l’entendais, vivait comme lui dans cette fin du XIXe siècle.
J’avais en tête la voix de Jacques Brel chantant Rêver (La Quête)
« Rêver un impossible rêve
Porter le chagrin des départs
Brûler d’un possible fièvre
Partir où personne ne part
…
Telle est ma quête. »
Né dans la famille Felder, paysans durs à la tâche.
Deux ans plus tôt, son frère aîné Joseph, est mort à la naissance.
Il en sera de même pour son cadet.
Très tôt on décèlera une tache blanche dans son œil droit. Problème qui sera aggravé par un charlatan qui interviendra et détruira son œil gauche.
Dans leur maison, la solidarité joue, sa tante souffrante sera là pour veiller sur lui, pendant que les parents travaillent très dur.
C’est la tante qui avait entendu parler de ce soi-disant docteur miracle, elle est revenue aussi malade qu’avant et Franz plus amoché, elle en gardera une grande culpabilité.
Si la vie est rude, ses parents se distinguent des autres par une éducation bienveillante.
« Aujourd’hui encore, tous ceux dont la chemise s’orne de l’initiale F — tous les Felder, donc — passent en quelque sorte pour de drôles d’oiseaux, des originaux par naissance. »
Les garçons sont censés aller travailler dès leurs onze ans.
« Mais ils ne calculaient pas du tout, ou alors au seul profit de leur enfant unique. Ils firent de moi un fils à sa maman bien joufflu, et m’entourèrent simplement, peut-être, d’un peu trop de soins. »
La vie à la ferme consiste en travaux des champs, l’élevage des vaches qui sont amenaient en alpage, le lait est transformé en beurre et fromages. Seuls revenus commerciaux.
Franz est en enfant curieux de la vie et des autres. Il est et restera différent par sa façon de voir plus loin.
Les vieux du village ne lui paraissent pas séniles mais sources de mémoire. Il est attentif.
« Sitôt qu’il commençait à raconter, je ne voyais plus ni les fenêtres calfeutrées de papier, ni les vieux murs tout couverts d’étranges images pieuses ; l’horizon s’ouvrait, vaste et dégagé. »
1848 Franz a neuf ans et il attend l’almanach avec une réelle impatience, car il est avide de lecture, mais livres et journaux sont réservés au curé et au maire. Les paysans n’ont pas besoin d’en savoir trop.
Mais cette joie de la lecture à la chandelle où il peut échanger avec ses parents et leur montrer sa passion pour le savoir.
« Je passais à la maison les plus belles heures qui soient. Je parlais beaucoup de mes lectures avec mon père et Marraine. »
Mais en février son père meurt brutalement.
Chagrin d’enfant mais attitude d’une grande dignité, inspirée de celle de son père exemplaire, que tous estimaient pour ses qualités et la justesse de son attitude en famille comme dans la vie du village.
Il continue à aller à l’école et à soulager sa mère de certains travaux.
C’est là que sa détermination à ne pas trahir cette vie de paysan, s’est ancrée.
Mais sa soif de connaissances est toujours là, à quatorze ans il termine sa scolarité, Certificat et Prix d’excellence en poche.
Cette soif inextinguible fait jaser, on le culpabilise en lui disant que ses aspirations seraient offensantes vis-à-vis de sa mère qui s’est sacrifiée pour tenir la ferme et lui transmettre.
Il économise en travaillant encore plus pour pouvoir s’abonner à un journal. C’est un évènement majeur, il est le seul à être abonné au village.
De l’enfant à l’homme, ces scènes de vie nous montrent combien il s’est consumé, entre sa loyauté pour le monde s’où il est issu et le monde de la culture qui l’aspire.
Il rogne sur son temps de sommeil.
C’est troublant voire envoûtant, ces scènes dans leur précision, dans chaque détail, chaque paysage, il y a une âme, un souffle, de la beauté.
L’écriture est magnifique et la traduction aussi, l’imparfait du subjonctif y souffle avec force.
Franz oscille constamment entre son devoir et ses aspirations, ayant sans cesse cette crainte de n’être qu’un propre-à-rien.
Mais il a une conscience aigüe de son époque, c’est un homme éclairé.
« Comment les choses pourraient-elles s’améliorer, si chacun courbait l’échine devant les traditions.
C’était un défaut, d’avoir des connaissances et d’user de son libre-arbitre. »
Il rencontrera son âme sœur, et c’est pour elle qu’il rédigea ce livre, un an seulement avant sa mort.
Pour sa Nanni, celle qui « ennoblissait tout ce qu’elle approchait ».
Une vie très courte mais d’une richesse exceptionnelle.
Quelle chance d’avoir eu accès à ce chef d’œuvre.
Une lecture aussi intense par le contenu que par l’écriture.
Un livre vraiment rare, et d’une grande actualité, il y a de l’intemporel et une application au monde paysan quel que soit le pays.
A lire et à conserver précieusement, car il restera en nous un peu de Franz.
©Chantal Lafon
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