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En France, on s'avoue rarement alcoolique. Quand on boit on est festif, irrévérent, drôle. Français. Un jour pourtant, Claire arrête de boire. Elle prend conscience que cet alcool, prétendument bon-vivant, est en vérité en train de ronger sa vie. Il noyaute ses journées, altère sa pensée, abîme ses relations. En retraçant son passé, elle découvre à quel point l'alcool a été le pilier de sa construction et de son personnage de femme.
Sans alcool est le journal de son sevrage. Un chemin tortueux, parfois rocambolesque, à travers son intimité. Une quête de libération complexe, dans un pays qui sanctifie le pinard. L'autrice affronte son passé, l'héritage familial, le jugement des autres. Son récit interroge, au-delà de son expérience. Pourquoi boire est une telle norme sociale ? Alors qu'on lui a toujours vendu la sobriété comme le choix des cons et des culs bénis, elle réalise qu'on l'a sans doute flouée.
Etre sobre est bien plus subversif qu'elle ne l'imaginait.
« Chaque jour, suivant un rituel implacable, je vais chercher ma bouteille chez le caviste. Parfois, souvent, je lui mens, en prétextant un dîner avec des amis, tout en sachant qu’elle m’est destinée.
Je me fais une bière au préalable. Parfois deux. Cela dépend du niveau de désolation de la journée, si je suis un peu agitée, ou carrément démente, possédée par l’envie de boire, de m’écraser la gueule pour mieux m’écarter du monde.
J’ai commencé à boire quand j’avais seize ans, j’en ai trente-sept : l’alcool a toujours été là pour moi, un oreiller mental, une soupape, le liant entre moi et le reste du monde. Il vampirise mes nuits, noyaute mes dîners entre amis, quand il n’est pas là, je l’attends, quand il est là, je me sens vivante. Il est mon rempart, le centre de ma vie.
Plus depuis le 31 décembre.
J’ai arrêté l’alcool. »
C’est une décision qu’il fallait prendre. Pour le corps, pour l’esprit. Pour la dignité. À 37 ans, Claire Touzard a arrêté l’alcool. Terminé l’apéro, la bouteille de vin qu’on entame pour un verre et qu’on vide avant le repas. Fini les oublis, de sac à main, de rendez-vous, de prénoms. Adieu, la pépie du matin, le sable dans les yeux jusqu’au soir et l’entreprise de démolition qui fanfaronne entre les oreilles.
Rapidement, un fossé se crée entre elle et les autres. C’est déchirant de regarder s’éloigner sa meilleure amie sans pouvoir faire un geste, le geste, le seul qu’elle attend sans l’avouer : lever le coude. Mais dans les yeux amoureux d’Alexandre, l’homme qu’elle vient de rencontrer, Claire Touzard est fière de cette résolution. Face à certains de ses proches, en revanche, ce nouveau choix de vie est plus douloureux : « Tu n’y arriveras pas. La boisson, c’est dans ton ADN. » Personne n’a dit que c’était facile… Parce que l’alcool est partout. Les « sobres » passent pour des gens moroses, des emmerdeurs en quête de perfection, animés par un besoin de tout contrôler. Un préjugé bien illustré par l’auteur, avec des références très pop culture qui font quelquefois sourire, mais tellement vraies.
Sorte de ciment social qui liquéfie à l’ingestion, signe de reconnaissance, les verres qui tintent comme cri de ralliement, la consommation d’alcool est à ce point ancrée dans les mœurs qu’outre le manque strictement personnel, le buveur régulier craint de se marginaliser s’il gagne le camp des abstinents et de perdre sa gloire d’appartenir aux alcooliques mondains :
« […] Les marginales, les tarées, les émancipées, les brisées, les célibataires torchées et les dépressives beurrées. Je les aimais pourtant bien, ces filles cassées. Je pensais même avoir inventé le statut.
Qui suis-je désormais ?
Une sainte, une psychorigide, une mal-bourrée, une cul-serré, une rabat-joie, une Marie-la-morale ?
Je ne colle plus au rôle de femme que j’avais écrit pour moi. »
Si l’ensemble est parfois redondant (« défaut » typique du journal intime), le propos, demeure intéressant. L’analyse est poussée, trop pour être rapportée ici en quelques lignes, et sans excès de féminisme. L’introspection interpelle. Sans alcool est un portrait de femme qui ne suscitera pas forcément l’identification, mais plutôt que d’imputer son addiction à la société qu’elle autopsie dans ses comportements, Claire Touzard assume pleinement son mauvais aiguillage et réfléchit sur les origines du mal – son honnêteté est louable. Tout comme son parcours. Qui lui permet de dire aujourd’hui :
« J’ai passé vingt ans à boire, et franchement, j’ai accompli bien plus en un an qu’en vingt. Je suis une bien meilleure version de moi-même, nuit comme jour. La vraie ivresse, la vraie transe, c’est bête à dire, mais c’est d’être heureux[1]. »
[1] Sylvain Di Cristo (28 janvier 2021), Arrêter de boire par Claire Touzard : « Faire la fête ne veut pas dire que l’on ne souffre pas ». TSUGI. https://www.tsugi.fr/arreter-de-boire-par-claire-touzard-faire-la-fete-ne-veut-pas-dire-que-lon-ne-souffre-pas/
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Bon, j'ai quand même quelques doutes.
J'ai rencontré bien des hommes égarés enfoncés et détruits par l'alcool, et des gens pourtant vraiment intelligents.
Il me semble que l'alcoolisme au féminin à des spécificités encore plus effroyables. Je ne crois guère au miracle d'une rencontre qui permettrait de sortir de cet enfer : J'ai vu définitivement se détruire un homme intelligent et sensible époux d'une femme tout à fait adorable. Le livre demandé par le lecteur ne correspond sans doute pas à la cruauté du monde tel qu'il est