Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens Penser avec Nietzsche contre Nietzsche : tel pourrait être l'autre titre de ce recueil. Pour la plupart des étudiants de notre génération - celle qui a commencé ses études dans les années soixante -, l'idéal des Lumières ne pouvait être qu'une mauvaise farce, une sombre mystification. Les maîtres à penser de l'époque se nommaient Foucault, Deleuze, Derrida, Althusser, Lacan. Merleau-Ponty, l'humaniste, faisait figure de vieille barbe et Sartre n'était déjà plus lu par la majorité d'entre nous. De la rue d'Ulm au Collège de France nous découvrions les philosophes du soupçon : Marx, Freud, Heidegger, bien sûr, mais avant tout Nietzsche, l'inventeur de cette «généalogie» au nom de laquelle il fallait traiter tous les discours comme des symptômes.
Illusion rétrospective ou ruse de l'histoire ? Ceux qui se voulurent les héritiers de cette «philosophie au marteau» par laquelle Nietzsche entendait briser les idoles de la métaphysique passent aujourd'hui encore pour les ultimes créateurs d'une tradition philosophique en voie d'épuisement. Pour notre génération, cette évidence a fait long feu. Les essais ici rassemblés, dans leur diversité même - nul dogme commun ne les relie -, en témoignent : la philosophie n'est pas vouée à l'exercice infini de la déconstruction.
Voilà précisément pourquoi c'est bien avec Nietzsche qu'il nous faut penser contre Nietzsche.
Luc Ferry et Alain Renaut
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