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Avec ce nouveau livre (le vingt-septième, si l'on excepte les volumes de chroniques), c'est dans la nécropole d'une vieille actrice de théâtre qu'António Lobo Antunes nous fait pénétrer. Recluse dans un appartement de Lisbonne, confiée par le neveu de feu son second mari aux bons soins d'une employée de maison, elle-même très âgée, elle vit ses dernières heures. Celle qui a fait une carrière plutôt modeste sur les planches sent progressivement la parole se refuser à elle. C'est tout le réel qui semble lui échapper et elle est même persuadée qu'elle commence à disparaître des miroirs. Tandis que son corps s'avoue vaincu, son esprit vit au rythme des soubresauts de sa mémoire chaotique. Les souvenirs resurgissent, épars, hétéroclites, comme autant d'éclats qui viennent cribler sa conscience altérée : épisodes de l'enfance passée dans le sud du Portugal, à Faro, moments de tendresse avec ses parents, petites et grandes misères de la vie de couple avec ses maris successifs, petites et grandes humiliations pour trouver sa place dans la capitale et dans le monde du théâtre...
Comme à son habitude, Lobo Antunes déploie une multitude de récits simultanément, et non successivement : il tisse une infinité de fils, passant d'un personnage à l'autre, d'une époque à l'autre, d'un narrateur à l'autre, avec une liberté effrontée et une impressionnante virtuosité. Soulignons également la présence de passages hautement comiques, que ce soit par leur humour noir, leur fantaisie débridée et onirique ou leur cocasserie toute burlesque. Des moments d'autant plus savoureux qu'ils alternent avec d'autres plus sombres. Car tous les personnages pourraient reprendre à leur compte cette confidence de l'un d'eux : « Si au moins quelqu'un voulait bien me prendre dans ses bras, me faire sentir qu'il y a une place pour moi dans ce monde. »
Imaginez-vous dans la tête d’une vieille actrice de soixante-dix huit ans atteinte sans doute de la maladie d’Alzheimer! Pas facile de suivre les méandres de ses pensées!
Antonio Lobo Antunes est parfaitement fidèle à cette voix intérieure qui nous perd, nous déstabilise entre passé et présent.
Elle vit recluse dans une chambre à Lisbonne confiée au neveu de son mari, soignée par un médecin et gardée par une « dame d’un certain âge ». Les brefs dialogues de ces trois personnages viennent interrompre les souvenirs de la vieille dame ce qui ajoute des ruptures dans les récits déjà bien tortueux de la vieille actrice. Et ce, souvent, dans une même phrase car il n’y a pas de point dans le texte comme il n’y a pas de repos dans la tête de cette vieille dame.
« – Restez tranquille ma tante
Le neveu de mon mari au médecin
Et maintenant?
le médecin remplissant une ordonnance avec la limace
Et maintenant espérons que surgisse une infection qui l’emporte
regardant le neveu de mon mari par-dessus ses lunettes, derrière la monture on voyait les pores de sa peau et chacun de ses cils, à mon retour à la maison le petit moteur du chat a bondi du lit pour me parcourir les jambes tandis que la dame d’un certain âge aspirait le tapis
C’est fou ce qu’il peut perdre comme poils cet animal
parce que le temps passait pour lui aussi le pauvre, il avait moins d’appétit, une de ses oreilles desséchée, mon père a posé sa main sur ma nuque et j’ai senti sa peau, j’ai senti l’odeur plus profonde de son corps et un crucifix qui s’est mis à cogner contre la tête de lit et moi
Un de ces jours on ira au Maroc ma grande
et on n’y est jamais allés… »
Un éclair dans son esprit, une image et elle nous raconte ses souvenirs d’enfance à Portinâo, à Faro avec son père pour lequel elle a une profonde affection, sa mère ou Bertie, une fillette voisine. Les images se superposent dans sa tête et nous voilà avec son premier mari ou Monsieur Barata, le directeur du théâtre où elle jouait oubliant déjà ses tirades vers la fin de sa carrière.
Elle entend les désespoirs de son neveu qui regrette d’avoir promis à son mari de s’occuper d’elle après sa mort et n’ose pas la caser dans une maison comme le souhaiterait sa femme qu’il trompe avec la bonne. Elle est consciente de la déchéance de son corps, de la brutalité parfois de la « dame d’un certain âge » qui n’hésite pas à s’approprier ses bijoux. Elle aime ce chat qui ronronne, ce coucou qui sonne, imagine et donne vie un lévrier qui n’est qu’un dessin sur un tablier et s’étonne parfois du déplacement des meubles. Mais tout cela ne semble plus l’atteindre. De plus en plus, elle retourne dans le passé auprès des figures aimantes et vives de son enfance et de sa vie d’adulte.
Je n’avais jamais lu ce grand auteur portugais, médecin psychiatre dans les années 70 à 80, l’une des grandes figures de la littérature contemporaine qui a écrit de nombreux romans et reçu plusieurs prix littéraires.
J’ai vraiment peiné à finir cette lecture, complètement déstabilisée par le style. Cette faculté de si bien se glisser dans la tête de son personnage est sûrement une grande performance d’auteur mais quelle difficulté pour le lecteur
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