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« Comment je classe ce que je pense? Comment je pense quand je veux classer ? [...] Tellement tentant de vouloir distribuer le monde entier selon un code unique ; une loi universelle régirait l'ensemble des phénomènes : deux hémisphères, cinq continents, masculin et féminin, animal et végétal, singulier pluriel, droite gauche, quatre saisons, cinq sens, six voyelles, sept jours, douze mois, vingt-six lettres.
Malheureusement ça ne marche pas, ça n'a même jamais commencé à marcher, ça ne marchera jamais.
N'empêche que l'on continuera encore longtemps à catégoriser tel ou tel animal selon qu'il a un nombre impair de doigts ou des cornes creuses. » Georges Perec
Georges Perec est décédé le 3 mars 1982 et ce recueil fut le premier titre posthume de lui édité. "A l'origine de ce volume, se trouve le texte "Penser/Classer" publié dans la revue Le Genre humain peu de jours avant la disparition de Georges Perec"
Ceci étant dit, pour situer l'ouvrage, il m'est bien difficile de le résumer, puisqu'il s'agit de textes très différents, sur, bien entendu, le thème qui donne le titre, mais aussi sur l'usage du verbe habiter, sur une description des objets sur la table de travail de l'auteur... puis des considération sur l'art des listes, des énumérations, sur l'usage de et caetera ou pas... sur le rangement d'une bibliothèque, sur ce que la lecture entraîne dans le corps. Du futile sans doute, de l'indispensable certainement, tant les livres de Perec le sont.
"Comment je pense quand je pense ? Comment je pense quand je ne pense pas ? En cet instant même, comment je pense quand je pense à comment je pense quand je pense ? "Penser/classer", par exemple, me fait penser à "passer/clamser", ou bien à "clapet sensé" ou encore à "quand c'est placé". Est-ce que cela s'appelle "penser" ? Il me vient rarement des pesnées sur l'infiniment petit ou sur le nez de Cleopâtre, sur les trous du gruyère ou sur les sources nietzschiéennes de Maurice Leblanc et de Joe Shuster ; c'est beaucoup plus de l'ordre du griffonage, du pense-bête, du lieu commun." (p.172)
N'importe qui d'autre écrirait sur ces thèmes serait ennuyeux voire carrément chiant, mais pas Perec qui à l'art d'intéresser et même davantage aux petites choses courantes, aux actes usuels, aux détails quotidiens qui un instant retiennent son attention. Ce n'est pas un roman, ni un essai, c'est un livre à part, que l'on ne lit pas d'une seule traite, qui nécessite sans doute de s'arrêter, de reprendre après une autre lecture plus classique -encore qu'on peut très bien le lire sans autre livre entamé, comme ça, juste pour le plaisir.
Un recueil inclassable. Il y a de nombreuses listes, d’accumulation de descriptions précises d’objets, pensées et catégories concrètes qui démontrent au final ce que l’auteur exprime dans un dernier extrait, à savoir l’impossibilité ou le côté vain de vouloir tout classer et ordonner. Il parle de l’utopie qui est déprimante car elle ne laisse « pas de place au hasard, à la différence » ; cette volonté de vouloir « distribuer le monde selon un code unique, une loi universelle (…) ne marche pas tout ».
Il démontre avec ses descriptions très détaillées, de choses et souvenirs par le menu détail une volonté de mémoire, de graver des éléments mais aussi de la spécificité de chacun d’entre eux. A l’opposé d’une recherche d’ordre, d’explication dans ce qu’il désigne comme un « dessein taxinomique », il y a un désir de souligner précisément l’impossibilité de tout classer dans des catégories spécifiques ; un travail de titan voué à l’échec, absurde et qui démontre l’irréductibilité de chaque chose concrète et intangible.
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