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Quand j’étais enfant dans les années 80-90, nous allions chaque année en vacances en Galice (nord-ouest de l’Espagne), dans la famille de ma mère. Deux jours de trajet en voiture depuis la Belgique, avec une étape à mi-chemin, de préférence pas au Pays Basque, qui n’était pas exactement l’endroit le plus paisible de la péninsule ibérique à ce moment.
Je me souviens d’une portion de trajet (près de San Sebastián je crois), où il fallait quitter l’autoroute pendant quelques kilomètres, et où on tombait sur des barrages de la Guardia Civil tenus par des soldats armés jusqu’aux dents. Pendant ces étés, il ne se passait pas 15 jours sans que l’ETA lance une alerte à la bombe par-ci ou par-là, dans des endroits plus ou moins touristiques à travers toute l’Espagne. Il n’y avait pas nécessairement de victimes, mais les messages de l’organisation séparatiste étaient clairs : attirer l’attention sur son « combat », montrer sa force de frappe hors du Pays Basque, faire peur aux touristes, nuire à l’Espagne et au gouvernement de Madrid.
Je me souviens qu’un de mes cousins plus âgé, militaire à Saragosse puis à Madrid, racontait que sa hiérarchie interdisait aux soldats et officiers de porter leur uniforme notamment dans les transports publics, histoire de ne pas servir de cible potentielle.
Je me souviens de l’exécution de Miguel Angel Blanco en juillet 1997, après une séquestration et un ultimatum de 48 heures*…
Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça, ni moi ni personne de mon entourage n’avons été confrontés de manière directe à la violence de l’ETA. Mais il faut croire que le contexte anxiogène de cette époque m’a marquée d’une façon ou d’une autre puisque, presque trente ans après, la colère de F. Aramburu et celle qu’il instille dans ses personnages me parle et réveille ces échos dans mes souvenirs. Et si moi (qui, après tout, n’ai vécu tout cela que depuis un extérieur lointain et protégé), je suis marquée par ce conflit, alors je n’ose imaginer ce qu’ont ressenti et ressentent encore les protagonistes directs de cette tragédie.
Même s’il est question de pardon et de repentance dans « Patria », ce sont surtout les sentiments de colère et de haine qui dominent.
La colère (ô combien justifiée) contre une violence aveugle; contre une idéologie fanatique peut-être légitime à l’origine mais poussée jusqu’à un extrémisme absurde, qui transforme des amitiés d’une vie en combat fratricide et mortel; contre la terreur éprouvée par tout qui est en désaccord avec l’ETA; contre la bêtise (et son exploitation) de certains humains bas du front qui feraient n’importe quoi pour exister.
La haine invraisemblable, quasi délirante, de ces mêmes bas du front et des partisans du mouvement, qui prétendent appartenir à un peuple opprimé par l’Etat central (qui, soyons clair, est loin d’être innocent dans cette histoire), mais qui ne se sont jamais préoccupés de tenir compte de l’avis du peuple précité (à supposer qu’ils pensent à le lui demander). Démocratie, liberté d’expression, mais qu’est-ce donc ?
A travers l’histoire de deux femmes, meilleures amies jusqu’à ce que le mari de l’une d’elle tombe en disgrâce (avant d’être assassiné) pour avoir refusé de payer l’impôt révolutionnaire (lire : le racket mafieux des chefs d’entreprises basques par l’ETA), et devenues ensuite ennemies jurées, F. Aramburu plonge dans le conflit basque pour nous le raconter à hauteur d’homme, et surtout de femme. Une plongée dans le quotidien des deux camps, allant et venant dans le temps et les générations, des années les plus violentes jusqu’à 2011-2012, après que l’ETA ait annoncé son abandon de la lutte armée.
Bien qu’à travers ses personnages, il se place aussi dans la peau des pro-ETA, on sent bien que l’auteur garde une dent dure contre l’organisation terroriste, et on comprend que la déchirure, la fracture entre les deux camps est profonde et durable : c’est bien beau de parler de réconciliation, de pardon et de page à tourner, mais n’est-ce pas infliger une double peine aux victimes ?
Grâce au mélange de styles direct et indirect et à sa construction non linéaire, ce roman est addictif, puissant et surtout, comme ses personnages, bouleversant et profondément humain.
*Âgé de 29 ans, ce conseiller municipal (Parti Popular) de la localité d’Ermua a été enlevé par l’ETA, qui exigeait, en échange de sa libération, que tous les prisonniers etarras (dispersés à travers toutes les prisons d’Espagne) soient rapatriés dans les prisons basques, et ce dans le délai surréaliste de 48h. L’enlèvement avait été ultra-médiatisé en Espagne et avait soulevé une vague d’indignation énorme, y compris au Pays Basque. En vain.
À lire absolument
PATRIA, le grand roman du pays basque.
Je ne sais pas si c’est un phénomène littéraire mais c’était assurément le coup de cœur de l’été de mes libraires et un excellent conseil de lecture. J’ai mis un peu de temps à le lire, non par manque d’intérêt mais par manque de temps (préparer un voyage et surtout un road trip, c’est incroyablement chronophage !!).
Ce récit est captivant du début à la fin. Ici, on cause ETA (et quiconque a plus de 50 ans et habite le 64, département frontalier avec le pays basque espagnol se souvient des tourments de cette période sombre) et des blessures du terrorisme à travers l’histoire, on cause famille et surtout on parle Euskera.
Miren et Bittori sont originaires du même village de la région du Guipuscoa, un des fiefs des indépendantistes basques. Inséparables, elles ont grandi ensemble, se sont mariées la même année (en 1963), ont eu des enfants qui sont à leur tour devenus amis mais dans les années 80, l’organisation indépendantiste va déchirer cette belle amitié.
Les chapitres sont courts, alternance d’époques (des années 1960 à 2011, date à laquelle l’ETA annonce officiellement la fin de son action armée) et de narrateur. Le passé éclaire ainsi le présent et le point de vue de chacune des familles est exposé sans aucun jugement. L’idéologie basque y est abordée sans complaisance. Le séparatisme s’infiltre partout : au comptoir du bar du village, chez le boucher … et même à l’église, soumettant l’ensemble de la population à la terreur.
J’ai revisité avec beaucoup d’intérêt ces années si proches où nous hésitions à aller à San Sebastian mais le faisions quand même, pensant que notre plaque d’immatriculation estampillée 64 nous protégerait des attentats .
L’auteur, Fernando Aramburu, privilégie la dimension humaine du conflit et tous les personnages de chacune des deux familles sont traités avec le même intérêt, ce qui les rend tous également attachants. Ici, rien n’est caricatural. Pour exemple, jeune, Joxe Mari est pétri d’idéaux qui au fil des années évolueront vers l’amertume … mais je ne vous en dit pas davantage, ce magistral portait du pays basque de la fin du XX ème siècle est passionnant, monte en puissance au fil des chapitre et mérite de se laisser découvrir au fil des pages.
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