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Une vieille femme écrivain, donnée pour mourante, laisse un manuscrit inédit et désordonné avec des pages manquantes. Venus pour la filmer, un réalisateur, un cameraman et une scripte vont s'acharner à le reconstituer. Mais la vieille dame auteur n'est pas seule:il y a auprès d'elle la jeune femme qu'elle fut, un étrange personnage qui fut son père, un garçon à bonnet rouge qui fut son compagnon d'été, un certain Hans qui ne prononce jamais qu'une seule phrase...À son habitude, Anne Serre livre ici un roman plein de chausse-trappes, aux allures de conte, sur l'enfance mystérieuse et l'écriture à l'oeuvre. Chez elle, comme le disait W.G. Sebald de Robert Walser:«Le narrateur ne sait jamais très bien s'il se trouve au milieu de la rue ou au milieu d'une phrase.»
La fabrique du roman
Autour d'une vieille dame auteur, Anne Serre joue avec le lecteur. Son court roman décortique avec finesse la façon dont l'écrivaine construit son histoire et ses personnages. Avant que ces derniers ne lui échappent.
Une vieille dame auteur, au crépuscule de sa vie, continue à s'amuser avec ses personnages. Elle ne laisse pas seulement un manuscrit, elle poursuit son dialogue avec Hans, le narrateur, sous le regard un peu circonspect de Holl, l'homme qui partage sa vie et doit bien laisser un peu de place à cet autre homme, même si pour l'instant il est dans son grenier, à regarder le paysage par un interstice.
Une équipe de tournage, réalisateur, cameraman et scripte s'invitent à ce moment pour recueillir le récit qu'elle laisse inachevé et ses confidences: «De la même manière qu’il m’est arrivé de penser qu'avec la seule force de mon désir je pourrais me retrouver réellement dans mon passé, j’ai parfois pensé qu'il ne tenait qu’à moi de faire sortir mon narrateur de son grenier et de l’entraîner sur les routes, en chair et en os, dans son costume gris démodé».
Alors le miracle du roman opère. Il entraîne le réalisateur-narrateur avec Jacques, le musicien-cameraman, et Édith, la scripte-tricoteuse et sculpteur, sur le chemin qu'a emprunté Hans, «sans s'étonner ni questionner davantage». Car ils entendent bien redonner au manuscrit son entièreté, combler les passages manquants. Un travail d'équipe qui va finir par payer.
Ensemble, ils vont revisiter l'enfance et la jeunesse de la vieille dame, les pages évoquant son père, l'homme de la Riviera dans son blazer froissé. Lui qui est parti trop tôt ne va cesser de jeter un regard bienveillant sur l'œuvre en cours. Ils retrouveront aussi Hans, qui les a longtemps tenus en haleine et dont ils n'apprendront finalement guère plus que les quelques mots lâchés au détour de son errance.
Dans ce court roman, Anne Serre explore avec malice l'acte créateur et nous propose de la suivre dans la fabrique du roman. Un jeu de miroirs assez fascinant, déroutant à souhait, qui permet à la romancière de jouer sur de nombreux registres simultanément, à la manière d’une organiste qui, à elle seule, joue une symphonie. Un peu comme si ce qu’elle faisait jusque-là livre après livre, en explorant le conte avec Petite table, sois mise! Le scénario avec Film, le théâtre avec Dialogue d’été ou le pastiche avec Voyage avec Vila-Matas était désormais rassemblé ici. Voilà comment Anne Serre est devenue virtuose.
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Une équipe de tournage se rend chez une grande dame de la littérature, désormais à l’extrême soir de sa vie, avec l’espoir de lui faire achever son ultime manuscrit, resté incomplet et en désordre. Tous se retrouvent plongés dans un étrange monde fantaisiste, où personnages, narrateurs et auteurs se croisent en un ballet indistinct, les premiers n’hésitant pas à sortir de leur rôle d’acteurs et d’observateurs pour prendre la main sur l’intrigue et y insuffler leur logique, et les derniers courant derrière l’inspiration dans le tourbillon où s’entremêlent leurs obsessions, leurs souvenirs d’enfance et leurs références littéraires.
Une touche d’humour, un franc parfum d’érudition et une aisance virtuose dans l’art de casser les codes et de repousser les limites président à cet exercice littéraire aussi fou qu’étourdissant de maîtrise. De vertigineuses mises en abyme en diaboliques mélanges de plans, fusionnant réalités et temporalités jusqu’à dissoudre tout repère, Anne Serre use de l’absurde et du non-sens pour, curieusement, faire sourdre le sens. De son récit hallucinant, mélange de conte onirique et de poésie surréaliste, où le lecteur, perdu, expérimente les mêmes difficultés de mise au point que l’écrivain tâtonnant à la recherche de son sujet et de son fil narratif, émerge au final une formidable et originale élégie à l’écriture et au processus créatif.
Reste, qu’aussi brillante et bluffante se confirme la prestation, aussi indigeste et rebutante s’avère l’expérience de lecture. D’un côté, l’on est ébloui par le génie et la maestria de cette vraie création littéraire. De l’autre, une pointe d’exécration persiste face à tant d’extravagance insensée dans une narration qui en devient fatigante.
Sans doute peut-on en conclure qu’il en va en littérature un peu comme en musique : les pièces les plus techniques et les plus virtuoses ne sont pas forcément les plus plaisantes, ni à lire, ni à écouter.
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