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Pour le nomade, le voyage n'est pas un état de transition.
Lest une manière d'être, pérenne, une identité, le contraire d'une aventure. c'est le quotidien du pilote de ligne : celui de françois suchel, indéfectiblement prêt à répondre, moins à l'appel du large qu'aux exigences, toujours renouvelées, de ses plans de vol. peu de points de repères dans cette vie à la fois programmée et instable : chaque semaine, un nouvel équipage, une nouvelle destination parmi les cinquante desservies par les airbus a 330/340 de sa compagnie.
Gens et villes à peine connus, parfois à peine aimés, déjà disparus. les temps morts entre les vols sont les vrais moments de vie. lors de ses escales lointaines, entre les deux parenthèses d'une énième arrivée et d'un nouveau départ, françois suchel photographie. son regard, plutôt que de s'attarder sur les gens ou les choses, les effleure, les caresse, comme si les rues, les visages, les corps, entrevus au rythme d'une déambulation sans but précis, s'avéraient d'une extrême fragilité.
Tout juste prend-il le temps, grâce à l'usage du polaroid, de rendre leur image aux inconnus qu'il croise. de passage, toujours de passage : les noms des lieux ou des personnes entrevues s'estompent puis tombent dans l'oubli. mais les sensations, les atmosphères demeurent. plus tard, elles recomposeront une géographie mentale, peu soucieuse d'exactitude, et ordonneront la succession des images selon la déclinaison des humeurs.
Dans ces réminiscences indistinctes des lieux, dans cette instabilité du temps, un point de repère à l'horizon demeure : celui de l'éternel retour à la maison, de l'ancrage familial, des retrouvailles avec les enfants. leurs naissances, leur croissance, leurs maladies, leurs jeux scandent le temps éclaté du pilote, oriente son errance. ils lestent son destin. la vision flottante du voyageur en transit laisse alors place à l'observation attentive du père trop souvent absent.
Jamais pourtant, la surprise ou l'émotion n'altèrent la distance lucide, parfois ironique, toujours élégante, que le photographe a, une fois pour toutes, adoptée et que traduit sa palette de couleurs : celles délicates et évanescentes du polaroid. ainsi, les images de françois suchel se lisent-t-elles comme un journal personnel paradoxal : la chronique intimiste et murmurée d'un homme projeté sans répit aux extrémités de la planète.
Jean-christian fleury
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