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En pleine crise de la quarantaine, à l’âge où on lui promet de devenir invisible, alors que sa vie est devenue fade, sa fille envolée en Angleterre, son mari atteint d’un cancer et que sa carrière d’écrivaine patine, Katja Oskamp décide de changer de vie et de tenter autre chose. Et si les années de l’entre-deux étaient les plus belles ?
Elle fait le choix de se reconvertir dans la pédicurie. Son diplôme en poche, elle rejoint un institut de beauté à Marzahn, dans la banlieue de Berlin-Est, autrefois la plus grande cité de préfabriqués en béton de la RDA. Tiffy qui propose des soins esthétiques et des massages, est sa cheffe et la propriétaire de l’institut, et Flocke y travaille également comme prothésiste ongulaire.
Une quinzaine d’habitants du quartier sont ses clients réguliers. Ce sont des gens souvent avancés en âge, des femmes principalement mais aussi des couples et même la mère et la fille Noll, la mère étant sa cliente la plus âgée avec ses 96 ans, qui viennent lui confier leurs pieds cabossés et dont elle découvre les vies.
Sa secrète ambition est de voir chaque client repartir plus enjoué qu’il l’était en arrivant. Seule la bonne humeur de Frau Blumeier va mettre à rude épreuve cette visée.
C’est ainsi que Katja Oskamp rend compte de son expérience en nous livrant d’émouvants portraits de gens simples, usés par la vie et le travail, qui racontent leurs histoires. Tout en leur procurant ses soins réguliers de pédicurie très personnalisés, minutieusement décrits, qu’elle accomplit avec une incroyable douceur et expérience, elle effectue en parallèle de véritables séances de thérapie tant elle est à l’écoute de l’histoire de chacun.
J’ai d’ailleurs été subjuguée par la compétence, l’écoute réelle, la douceur, la tendresse, la bienveillance, mais également la diplomatie et la patience dont la thérapeute fait preuve tout au long de ses séances.
Toutes ces qualités participent grandement à apporter un réconfort non seulement physique mais surtout un peu de soleil dans la vie de ces gens qui, la plupart vivent dans ces grands ensembles mal insonorisés de l’ex RDA et qui après une vie de labeur peuvent se libérer du moins oralement des difficultés de leur existence quotidienne en les racontant à cette oreille attentive pendant que leurs pieds sont chouchoutés et choyés par ces mains expertes usant de mille précautions à leur encontre.
Si ces portraits attirent pour la plupart force respect pour le courage et la dignité que déploient ces personnes, il y a cependant de rares exceptions comme la fille Noll à qui j’aurais volontiers infligé une petite correction…
Ce livre est une véritable lettre d’amour que Katja Oskamp adresse aux habitants de
Marzahn et à ce quartier, une réflexion pétrie de douceur et d’humanité mais aussi d’humour et... de drôlerie comme Frau Blumeier « allait l’dire »
Si Marzahn, mon amour est une belle leçon d’humanité, elle est aussi une belle page d’amitié, amitié tissée entre ces trois soignantes, avec de très belles pages sur cette « sortie du personnel » aux thermes de Bad Saarow, première station thermale du Brandebourg.
Se pencher sur les pieds des gens peut surprendre au premier abord mais cette approche particulière, toujours pleine de dignité, se révèle bien vite richissime dévoilant une vue de la société, un panorama de la RDA, post RDA.
Je n’aurais sans doute jamais lu Marzahn, mon amour de Katja Oskamp cette mini comédie humaine avec des histoires tout à la fois singulières et universelles portée avec une pétillante énergie si cet ouvrage n’avait pas fait partie de la sélection du Prix des lecteurs des 2 rives 2024 organisé par ma médiathèque préférée de Drôme des collines, c’eut été fort dommage pour moi !
Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2024/10/katja-oskamp-marzahn-mon-amour.html
La romancière devenue podologue
Dans ce roman aux forts accents autobiographiques, Katja Oskamp raconte comment elle reconvertie en podologue et a soigné quelque 3800 pieds dans le quartier de Marzahn à Berlin. Son institut de beauté est alors devenu le poste d'observation intime de ses clients et ses collègues.
Le 2 mars 2015, peu après son quarante-cinquième anniversaire, la narratrice fait un douloureux constat. Sa «vie était devenue fade: un enfant envolé, un mari malade, une carrière douteuse d’écrivaine.» Aussi décide-t-elle de prendre un nouveau départ. Elle va suivre une formation de podologue. Au sein de ce centre de formation, pompeusement appelé «Académie», elle croise une infirmière, un Russe et un Géorgien, tous conscients qu’ils ne doivent pas rater cette seconde chance. Ensemble, ils apprennent l’anatomie du pied, les infections et les problèmes de motricité, avant de passer aux travaux pratiques, avec la pince à peau ou le scalpel. Une fois son diplôme en poche, la narratrice va rapidement trouver un emploi dans un institut de beauté dans le quartier de Marzahn. C’est là, à l’est de la ville, au milieu de la plus grande cité de l’ex-RDA, vitrine du régime ou ghetto de béton, c’est selon, qu’avec ses collègues Tiffy et Flocke, elle va pouvoir commencer sa nouvelle carrière.
Ajoutons que sa réussite n’est pas vraiment saluée par son entourage: «j’ai reçu en pleine face du dégoût, de l’incompréhension et une pitié difficile à encaisser.» Mais, elle s’accroche. Mieux, elle va vite trouver des avantages à cette nouvelle vie. Car la romancière sommeille derrière la podologue qui comprend vite qu’elle ne fait pas que soigner les pieds de ses patients. Au bout de leurs orteils, c’est toute leur vie qu’elle découvre et qu’elle va nous faire partager en découpant en deux les chapitres qui suivent, racontant d’une part les soins qu’elle prodigue et d’autre part en dressant les portraits de ses voisins de Marzahn.
C’est ainsi qu’on va suivre le parcours d’un employé qui fabriquait des ampoules électriques au sein du Combinat Narva, d’un ancien fonctionnaire du parti, d’un artisan, d’un petit commerçant ou encore d’un ingénieur qui ont tous été – symboliquement – broyés par la chute du mur. Et si leurs pieds ne sont pas dans un très bon état, leur moral est à l’avenant, d’autant que l’âge n’arrange rien à l’affaire. Alors ils se débrouillent avec leurs souvenirs, essaient de s’en sortir avec leurs faibles moyens. Les laissés pour compte de l’ex-RDA ont appris à se débrouiller.
Avec ce sentiment que si tout n’était pas rose, loin de là, au sein de l’ancien régime, sa chute a aussi entraîné la perte de valeurs de solidarité et de cohésion sociale auxquelles ils tenaient. Le capitalisme est arrivé avec sa brutalité et sa violence économique. D’où cette ostalgie revendiquée.
En suivant le parcours de Katja Oskamp, on comprend qu’elle se place de leur côté. Après plusieurs romans, elle voir son manuscrit refusé par une vingtaine éditeurs. Et comme son mari, l'écrivain Thomas Hürlimann, est atteint d'un cancer, elle sera contrainte de changer de vie et deviendra effectivement podologue et soignera quelque 3800 pieds ou 19000 orteils. L’humour venant ici panser des plaies encore douloureuses.
On conservera de cette déclaration d'amour aux habitants de Marzahn, cette idée que dès que l’on parvient à tisser des liens, de bavardages en confidences, on réussit à avancer dans la vie.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu’ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024». Enfin, en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.
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