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Dans la bonne société zurichoise, au milieu des années 1970, un homme se meurt. Mais ce qui le condamne, ce n'est pas tant la maladie qui l'accable que le poids d'obligations absurdes censées garantir les fondements de son existence et la reproduction de son milieu. À force de vouloir être respectable à tout prix, il a perdu le sens de la vie. Publié à titre posthume en 1976, Mars est un livre-culte pour toute une génération, qui y a découvert le combat d'un homme pour sa liberté. La nouvelle traduction d'Olivier Le Lay souligne la rage de vivre rimbaldienne et la redoutable ironie du jeune écrivain suisse. Ce texte essentiel, «coup de canon» comme l'écrit Philippe Lançon, résonne toujours aujourd'hui, comme un cri qui nous appelle à vivre.
Ne cherchez pas l’apaisement dans ce livre, il n’y en a aucun. “Je suis jeune, riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé et seul.” Après ce tout premier point-virgule, Fritz Zorn n’a plus que la souffrance et le désespoir au bout de la plume. Il a trente ans à peine, il est dépressif depuis quinze ans, et il est atteint d’un cancer généralisé. Il pose un diagnostic poétique plus que médical sur son état de santé : la tumeur sur son cou ne serait rien d’autre que du chagrin refoulé. Dans Mars, il retrace ses souvenirs sous le prisme de la maladie.
Tout commence pendant l’enfance, sur la rive dorée du lac de Zurich. Une enfance éclatante de bonheur et d’harmonie, aux conséquences catastrophiques pour notre narrateur. “Mon éducation fut une expérience couronnée de succès. Malheureusement.” Fritz grandit dans ce genre de famille où l’on n’aime que la culture classique - celle des gens qui sont morts - et où l’on préfère dire “c’est compliqué” plutôt que d’exprimer une opinion sur des choses ma foi épouvantablement simples. Il ne connaît qu’un monde feutré, sans friction, sans conflit, sans confrontation, sans jugement, sans décision, sans goût, sans ami, sans amour, sans sexe, sans rire. “Ce calme qui régnait dans la maison de mes parents - c’était à se pendre.” À l’âge adulte, il est en apparence “un type nonchalant à qui la vie souriait”. Mais en réalité, pendant toutes ces années, il promène sa dépression, son inadaptabilité, son incapacité à aimer, à rire, à vivre.
Il ne blâme pas tant que ça ses parents issus d’une noblesse passablement dégénérée. “On peut bien avoir reçu une éducation ratée sans attraper pour autant le cancer.” Ils n’ont fait que déposer en lui le pire. Quelque chose de néfaste à laquelle ils ont docilement acquiescé. Mars est un essai à charge contre la notion de parents, contre le principe hostile qu’ils représentent, contre le système qui les entourent, contre un passé familial qui le ronge, contre un milieu bourgeois cancérigène, létal et suisse.
Dans ce texte, il s’accroche avec hargne à l’espoir ultime et vain d’une guérison, de même qu’à la partie de son être qui n’est pas malade, névrosée, métastasée. Si Fritz n’a pas réussi à vivre, il a réussi à écrire. Magistralement. Avec un sérieux léger et souriant, avec une conscience exorbitée de ses faiblesses, avec pléthore de guillemets pour marquer la distance et l’ironie, avec des paragraphes serrés de colère.
N’a-t-il pas choisi Zorn comme pseudonyme - qui signifie colère - plutôt que Angst, son vrai nom - qui signifie peur ?
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