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Virgínia, la mère, et Eugénia, la fille, se sont sculptées dans la lave de l'abandon. Face à une mère dominante, la fille s'échappe grâce à la poésie. Tout bascule quand la maladie d'Alzheimer surgit.
Après Autisme et Les eaux de Joana, Valério Romão continue de peindre avec humour et cruauté les grincements de l'âme confrontée à l'indicible. Plus implacable que les précédentes, cette chronique d'un deuil à venir est aussi une méditation sur la construction de la personnalité et sur les ressorts de l'émancipation.
Romão nous entraîne dans une farandole baroque autour d'un miroir éclaté. Avec autant de légèreté que de gravité, son récit nerveux nous plonge au coeur de cette « maladie de poésie » qui afflige son héroïne et qui est l'essence même de la littérature.
« Manquer à l’appel » Ce huis-clos de Valério Romão, traduit du portugais par João Viegas est tragique et sombre. Surdoué et implacable il est l’intransigeance littéraire. Écrire pour témoigner et rendre hommage à elles, femmes d’un Portugal, porte battant au vent. Tuiles brisées, la ténacité dos courbé, la débrouillardise souveraine, les larmes-pluie, les regards-tempête.
Dans ce final d’un triptyque macrocosme (qui peut se lire individuellement), la contemporanéité déplace les pions. Les épreuves sont de trame et de devoir.
Dévoué à la famille, à ses naufrages ou résistances, ce livre sociologique et grave est un enjeu. La résurgence des combats contre un fléau : Alzheimer.
Deux femmes, piliers de ce grand livre qui ne cède rien au pathos. Virginia la mère, courageuse, conventionnelle, autoritaire et pragmatique, ancienne maire de la ville. Eugénia qui, enfant unique, n’a pas ou peu connu son père. En fuite, faillite parentale, point noir au cœur du ressac. L’abandon a déposé le manteau troué, trottoir gorgé de pluie.
« Nous suivrons le chemin des orphelins jusqu’au bout du monde et nous emporterons des tonneaux d’espoir, nous serons audacieux à en perdre la parole. »
Elles sont orphelines. L’argent « manque à l’appel » la tendresse se quête et ne connaît pas le don. La pauvreté est visible dans un spartiate tiré au cordeau. Eugénia est brillante. L’école salvatrice, écrire des poèmes est pourtant une faute. Il faut lui bander les yeux, fermer l’éveil à double tour. Et pourtant ce qui lie ces deux êtres est plus fort que la mort. Quand bien même le radeau de Géricault, les meubles pris par les vautours, elles sont le fronton des combativités altières.
« Eugénia, désordre, confusion, c’est ça le monde, la force de nos poignets est frustre et violente, nous devons toujours mettre les mains dans le cambouis , ou alors nous serons coupables , car les plus coupables sont toujours ceux qui ne concourent à rien... »
Pourtant tout vacille. Les murs porteurs s’effritent. Virginia encore très jeune et conquérante est malade, très. La mémoire en déroute, le chaos prend racine dans cette maisonnée où Eugénia devient par procuration la mère de sa propre mère. Le berceau coque de noix, la peur au ventre. Virginia ne peut pas être placée en institut. Eugénia prend appui dans sa vaillante intelligence. Babel intuitive mais qui faiblit face au combat. Elle doit régner sur la maison, œuvrer aux appels d’air. Sa mère vacillante accrochée à la rambarde d’un escalier qui n’en finit pas. Eugénia doit apprendre à retourner la carte, l’as de pique, couvrir sa mère d’une dignité perdue, drap troué par des mains-griffes. Elle s’élève, l’enfant-adulte, bouscule les codes et les renonciations.
« Le bonheur d’une enfant qui, très tôt, a appris la diplomatie de l’aridité. »
« la plupart du temps maman ne se rappelle pas qui je suis. »
Ce livre est d’une puissance rare. Une mise en abîme saisissante, caustique, acide, mais belle car théologale. L’histoire s’efface dans la justesse d’un drame, femmes- égarées, écueil-valise, la vie sans destination ni espoir. Ici tremble de ce que chacun redoute pour l’aimé (e) et soi-même. Faire le deuil d’un être vivant.
Une urgence de lecture ! Magistral et triste. Publié par les majeures éditions Chandeigne.
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