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«
On pourra me reprocher que, donnant trop à mon zèle, je fais commettre dans cette pièce un
crime à Mahomet, dont en effet il ne fut point coupable.
M. le comte de Boulainvilliers écrivit, il y a quelques années, la vie de ce prophète. Il essaya de le
faire passer pour un grand homme que la Providence avait choisi pour punir les chrétiens, et pour
changer la face d'une partie du monde. M. Sale, qui nous a donné une excellente version de
l'Alcoran en anglais, veut faire regarder Mahomet comme un Numa et comme un Thésée. J'avoue
qu'il faudrait le respecter si, né prince légitime, ou appelé au gouvernement par le suffrage des
siens, il avait donné des lois paisibles comme Numa, ou défendu ses compatriotes comme on le dit
de Thésée. Mais qu'un marchand de chameaux excite une sédition dans sa bourgade, qu'associé à
quelques malheureux coracites, il leur persuade qu'il s'entretient avec l'ange Gabriel ; qu'il se
vante d'avoir été ravi au ciel, et d'y avoir reçu une partie de ce livre inintelligible qui fait frémir le
sens commun à chaque page ; que pour faire respecter ce livre il porte dans sa patrie le fer et la
flamme, qu'il égorge les pères, qu'il ravisse les filles, qu'il donne aux vaincus le choix de sa religion
ou de la mort, c'est assurément ce que nul homme ne peut excuser, à moins qu'il ne soit né turc,
et que la superstition n'étouffe en lui toute lumière naturelle.
Je sais que Mahomet n'a pas tramé précisément l'espèce de trahison qui fait le sujet de cette
tragédie. L'histoire dit seulement qu'il enleva la femme de Séide, l'un de ses disciples, et qu'il
persécuta Abusofian, que je nomme Zopire ; mais quiconque fait la guerre à son pays, et ose la
faire au nom de Dieu, n'est-il pas capable de tout ? Je n'ai pas prétendu mettre seulement une
action vraie sur la scène, mais des moeurs vraies ; faire penser les hommes comme ils pensent
dans les circonstances où ils se trouvent, et représenter enfin ce que la fourberie peut inventer de
plus atroce, et ce que le fanatisme peut exécuter de plus horrible. Mahomet n'est ici autre chose
que Tartuffe les armes à la main.
Je me croirai bien récompensé de mon travail, si quelqu'une de ces âmes faibles, toujours prêtes à
recevoir les impressions d'une fureur étrangère qui n'est pas au fond de leur coeur, peut s'affermir
contre ces funestes séductions par la lecture de cet ouvrage ; si, après avoir eu en horreur la
malheureuse obéissance de Séide, elle se dit à elle-même : pourquoi obéirais-je en aveugle à des
aveugles qui me crient : haïssez, persécutez, perdez celui qui est assez téméraire pour n'être pas
de notre avis sur des choses même indifférentes que nous n'entendons pas ? Que ne puis-je servir
à déraciner de tels sentiments chez les hommes ! L'esprit d'indulgence ferait des frères, celui
d'intolérance peut former des monstres. » (Extrait de La lettre à Sa Majesté le roi de Prusse,
Voltaire, 20 janvier 1742)
« On trouvera des détails historiques sur Mahomet dans l'Avis de l'Editeur. On y reconnaît la main
de M. de Voltaire. Nous ajouterons ici qu'en 1741 Crébillon refusa d'approuver la tragédie de
Mahomet, non qu'il aimât les hommes qui avaient intérêt de faire supprimer la pièce, ni même qu'il
les craignît ; mais uniquement parce qu'on lui avait persuadé que Mahomet était le rival d'Atrée. M.
d'Alembert fut chargé d'examiner la pièce, et il jugea qu'elle devait être jouée : c'est un de ses
premiers droits à la reconnaissance des hommes, et à la haine des fanatiques qui n'ont cessé
depuis de le faire déchirer dans des libelles périodiques. La pièce fut jouée alors telle qu'elle est ici.
Quelque temps après, les comédiens supprimèrent le délire de Séide, parce qu'il leur paraissait
difficile à bien rendre ; et la Police trouva mauvais que Mahomet dit à Zopire : « Non, mais il faut
m'aider à tromper l'univers ». En conséquence on a dit pendant longtemps : « Non, mais il faut
m'aide à dompter l'univers » ce qui faisait un sens ridicule. Le quatrième acte de Mahomet est
imité du Marchand de Londres de Lillo ; ou plutôt le moment où Zopire prie pour les enfants, celui
où Zopire mourant les embrasse et leur pardonne, sont imités de la pièce anglaise. Mais qu'un
homme qui assassine sans défense un vieillard vertueux et son bienfaiteur, soit toujours
intéressant et noble ; c'est ce qu'on voit dans Mahomet, et qu'on ne voit que dans cette pièce. Le
fanatisme est le seul sentiment qui puisse ôter l'horreur d'un tel crime, et la faire tomber toute
entière sur les instigateurs. » (Préface à l'édition originale)
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