"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Manutahi reste focus. À chaque livraison, avant d'ouvrir le portillon du chemin qui mène de la serrure au visage de son client, il prend une grande inspiration. Entre chaque mission, il mitraille un pare-terre de pensées. Pendant qu'il cuisine addictions et obsessions, une voix lui susurre des trucs lugubres et mordants. Observateur de sa propre marginalisation, il zigzague à toute berzingue en quête d'une collision imaginaire. Il n'en voit pas le bout. Il est furax.
De dualité, d’ombre et de lumière, Tahiti est l’épicentre de ce récit d’une sincérité radicale par la voix d’un seul protagoniste majeur : Manutahi.
L’effusion d’un style littéraire poignant et sensible, dans cette intelligence de ton qui fédère la trame et renforce sa mission, celle de nous donner à voir le cheminement de Manutahi, emblème d’un écorché vif.
Un anti-héros mélancolique et triste, mal compris, qui marche sur la ligne jaune.
« En se dirigeant vers la quarantaine de ses années, notre personnage allait bientôt atteindre cet âge entre deux âges - frappé par l’apparition soudaine d’un obstacle qui se dresse, d’un coup dans le panorama de sa carte mentale tel un massif montagneux au milieu de sa Terre-du-Milieu. »
L’incipit donne le ton. « Maeva nulle part », ligne de crête et d’incertitude, sans antidote, il est conscient d’être en proie aux désillusions. Romantique et sensible, « il se sent comme la pièce insignifiante d’une machine aux dimensions gigantesques. »
Vétéran de la guerre, lui, qui pensant se réaliser, atteindre sa rive, soldat éperdu, pris en tenailles dans la grisaille de ses regards.
On aime ce livre, cette histoire vivante, Bora Bora, le lagon bleu, mais de larmes infinies.
Manutahi est le double cornélien de toute l’idiosyncrasie polynésienne.
« Pendant quelques secondes encore, il laboure un parterre de pensées du bout de son mégot. » « Les vengeances imaginaires sont les nourritures terrestres qui lui permettent de se divertir. »
Lui qui glisse entre deux vagues, son existence ressac et l’insulaire à fleur de peau. Son existence meurtrie et fade, déjà achevée. « Maeva nulle part » quête du soleil, les rêves endormis. Manutahi sait que ses souffrances ne proviennent que de ses échecs.
« Il imagine tout un tas de choses à n’en plus savoir démêler le vrai du faux. »
L’étymologie de Manutahi, les défaites à l’instar de cartes abattues sur la table bancale de ses jours.
Dans le frôlement de l’aurore, les douleurs assassines d’être qu’un anonyme. Et pourtant, son aura est magnétique. Attachant et égaré dans ses propres démons, il est le phare de ce beau livre empreint de sentiments, de vérités altières et irrévocables aussi.
Emblème d’une culture incomprise, il est le symbole d’aucuns.
« Souvent, le passé lui est raconté par les anciens, similaire à des images superposées sur sa rétine : il y a cinquante ans, il n’y avait rien ici. »
Lucide, presque nihiliste, voire Diogène, homme-île, vertigineux et sublime, on aime Manutahi, lui, qui a du bleu au fond des yeux. Naufragé à terre, conscient d’être dans une destinée qu’il défie.
Ce livre porte-voix, halo finement politique et sociologique, est magistral et signifiant. Inoubliable, tant il est un séisme mental. La cartographie sociétale d’une île pourtant ensoleillée.
Le rêve d’atteindre son propre sommet. La tragédie de vivre. Mourareau est un auteur qui observe le monde qui l’entoure. Lui, qui trouve le réconfort parmi les poissons, les oiseaux et les livres, ici, Mourareau offre un écrin pétri d’humanité. Publié par les majeures Éditions Au vent des îles.
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