Inspirée d’une histoire vraie, cette BD apporte des conseils et des solutions pour sortir de l'isolement
Au commencement était l'amour. Puis vint la chair. Et le vice.Maintes fois adapté au cinéma, Les Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos est un roman majeur du XVIIIe siècle et probablement l'un des plus grands chefs-d'oeuvre de la littérature française. Mais comment le vicomte de Valmont et la marquise de Merteuil en sont arrivés à devenir les personnages manipulateurs que nous connaissons tous ?Avec ce troisième volume, découvrez la conclusion de cette série ambitieuse imaginant la jeunesse des deux protagonistes de ce roman culte. Entre passions et faux-semblants, replongez avec force dans le monde cruel et feutré de la haute société libertine, à travers le scénario ciselé de Stéphane Betbéder et le dessin sensuel de Djief, en héritier d'Yslaire, qui vient apporter un supplément de beauté noire et de réalisme.
L’amour à mort
Le premier tome des « Liaisons Dangereuses préliminaires » présenté sous la forme d’une longue lettre autobiographique était consacré à la jeunesse du Vicomte de Valmont ; le deuxième - à travers quatre lettres adressées à son confesseur- dressait le portrait de la jeune Isabelle de Merteuil.
Le dénouement de la trilogie met donc en scène leur rencontre avant le roman qui les a fait connaître : très vite attirés l’un par l’autre, se reconnaissant la même envergure, ils pourraient former un duo amoureux. Mais ce tome nous dévoile comment ce duo se transformera en duel avec l’arrivée et les manigances d’une mystérieuse femme fatale : Diane, favorite du roi…
Comme dans les tomes précédents, cet ultime opus reprend la technique des ombres chinoises pour symboliser le jeu de la représentation sociale et le théâtre du monde. Il se réfère aussi à de nombreuses œuvres picturales : il effectue un clin d’œil à Reynolds avec sa Merteuil au chapeau ainsi qu’aux miniatures hollandaises circulaires du XVIIe dépeignant les joies du patinage. Il évoque aussi le portrait de Louis XV par Maurice Quentin de Latour ou encore le topos de la favorite peinte en Diane chasseresse telle la marquise de Pompadour par Jean-Marc Nattier et propose une longue citation (sur une page complète !) de l’ensemble de tableaux de Botticelli intitulé « L’histoire de Nastagio degli Onesti ». Ceci n’est nullement au service d’une exhibition d’érudition gratuite de la part du scénariste ni d’une démonstration vaine de virtuosité (pourtant bien là !) du dessinateur mais permet d’introduire l’un des thèmes phare de ce dernier tome : celui de la chasse.
Une partie de chasse métaphorique
En effet, si Mme de Merteuil et Valmont évoluent gracieusement sur la Seine gelée dans une vignette ronde rappelant un tableau de Van Goyen ou Avercamp, c’est parce qu’ils sont observés à leur insu à la lunette par un autre personnage, à l’affût, qui les guettent : l’insert mignard se mue donc en menace. Si l’on retrouve aussi la théorie de la physiognomonie de Lebrun très présente dans le tome 1 (La physionomie humaine peut être rapprochée de celle de l’animal, et expliquer ainsi des traits de la personnalité), c’est sous forme de variante : ici les personnages sont animalisés pour monter que chacun d’eux est tout à tour proie ou chasseur : ainsi la marquise est présentée comme une gazelle puis un chat, Valmont comme un lion puis un rat et Diane est comparée à un rapace qui se joue également de lui. Enfin on observe dans la citation des tableaux de Botticelli une inversion du mythe de Diane : alors qu’elle était la prédatrice, elle devient à son tour une proie et – comme sa célèbre victime Actéon – elle est chassée et mise à mort par des chiens. Ainsi peut-on mieux goûter le beau titre choisi pour ce volume car ce demi alexandrin à la formulation ambiguë (le mot amants pouvant se comprendre comme étant dans une position de sujet : ce sont eux qui sonnent l‘hallali ou au contraire comme entretenant une fonction d’objet : ce sont eux qui sont mis à mort) souligne ainsi que la lutte amoureuse devient une lutte à mort. Ce thème de la chasse métaphorique est également très important dans l’ouvrage de Laclos. Et l’on observe dans ce dernier tome de la trilogie une très grande cohérence avec l’œuvre source.
Un bel hommage à l’œuvre de Laclos
Y sont tout d’abord présents des personnages secondaires du roman : le fidèle Azelan, valet de Valmont, ainsi que le comte de Gercourt un soupirant dont Merteuil voudra se venger dans les Liaisons en faisant déflorer sa promise, Cécile de Volanges, par Valmont. On y retrouve ensuite la même structure narrative : l’album est cette fois polyphonique. Trois narrateurs se succèdent : Valmont, Merteuil et Diane. Certaines scènes sont présentées plusieurs fois sous différents points de vue parcellaires. Seul le lecteur peut les assembler et avoir une vue d’ensemble « surplombante ». Enfin, la lettre ou plutôt les lettres y constituent un enjeu majeur comme l’indiquent déjà les pages de garde de l’album qui montrent Merteuil serrant sur son cœur un billet cacheté.
Nous avons affaire à une bande dessinée épistolaire : la lettre y est cette fois omniprésente. De multiples lettres sont envoyées, lues, dérobées et dictées. Dès l’ouverture de l’album Valmont se met en scène dans une lettre (l’amant soi-disant éploré dont l’écriture chaotique n’est due … qu’aux cahots de la diligence !) ce qui n’est pas sans rappeler la lettre à double entente qu’il écrira plus tard à Mme de Tourvel sur le dos d’une courtisane ; la marquise adresse des aveux qui ne parviendront jamais à son destinataire et, à la manière de Valmont qui dans l’œuvre de Laclos reproduira pour Mme de Tourvel le billet que lui transmet Merteuil, elle écrit sous la dictée de Diane son billet de rupture pour Valmont. Souvent l’effet des lettres sur leur destinataire est présenté au lecteur avant même que leur contenu soit dévoilé dans de grandes vignettes en demi pages un ou deux chapitre plus tard : ceci permet de souligner combien la lettre devient instrument de cruauté, de dépravation, de trahison et arme de guerre ; cela instaure également un certain suspense car le lecteur doit attendre plusieurs chapitres avant d’avoir la vision complète d’un épisode.
Enfin on soulignera la profondeur psychologique à l’œuvre dans ce dernier tome. Semblant reprendre la théorie du désir mimétique de René Girard telle qu’il l’expose dans « Mensonge romantique et vérité romanesque », Betbeder montre combien l’amour propre est à l’origine de l’amour. Il met ainsi en scène non seulement le stratagème de Valmont qui séduit intentionnellement une amie falote d’Isabelle de Merteuil afin de piquer la jalousie de cette dernière mais redouble également cette scène de façon fortuite et fatale pour le héros lors de la fête galante : Diane ne s’intéresse à Valmont que parce qu’il n’a d’yeux que pour Merteuil et a osé l’ignorer mais aussi peut être également parce qu’il intéresse la Marquise... Ainsi entre le trio se tisse une relation d’amour et de haine subtilement mise en scène dans le dessin de Djief grâce aux regards, aux cadrages serrés et aux gros plans. La description du contexte social est elle aussi d’une grande finesse et semble anticiper le portrait crépusculaire de l’Ancien régime dressé par Laclos. Le lecteur plonge dans l’atmosphère du siècle de Louis XV et son style rococo à travers tous les motifs de coquillages, de feuillage, de théâtre de verdure présents notamment dans les scènes libertines des « fêtes galantes » mais ces dernières sont bien différentes des allégories de Watteau et beaucoup plus crues : elles s’apparentent à des orgies durant lesquelles s’exerce un batifolage cruel (Diane fait preuve de sadisme à l’égard du duc qu’elle mutile à dessein). On a ainsi, à travers de superbes séquences nocturnes à l’éclairage particulièrement soigné, dans des pages muettes, la description d’une société oisive et hypocrite qui pratique la débauche mais est en même temps corsetée par la religion et dans laquelle ne sauraient s’épanouir d’authentiques sentiments. On a également dans le portrait des deux héroïnes la description de l’aliénation de la femme qui ne peut disposer librement de son corps et ne s’appartient pas. L’on retrouve donc bien dans l’album le ton désabusé du roman.
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