"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
« En l'an 8 après J.-C., Ovide est relégué par Auguste à Tomis, l'actuelle Constantza en Roumanie, au bord de la mer noire. Sur cette petite île, il résidera dans une villa qui constituera son unique royaume. Quelles sont les raisons de cet exil ? Les historiens ne s'accordent guère. Certains avancent qu'Ovide aurait eu une liaison avec Julie, la fille d'Auguste ou aurait pratiqué la divination, interdite en ce temps-là. Il quitte Rome en emportant ses biens ; sa femme, en revanche, ne le suit pas. Le poète veut-il lui éviter le déshonneur et l'opprobre ? Il s'adresse à sa femme et à ses amis dans Les Tristes et Les Pontiques, ses lettres poétiques, destinées à la postérité, où il se plaint de sa relégation.
J'ai l'impression en les lisant aujourd'hui, traduites par Marie Darrieussecq, qu'Ovide s'adresse à moi comme à un frère et, souvent, j'ai le désir de le consoler. Je souffre avec lui du même éloignement, de la même douleur maintenant que je suis seul en France. J'ai ressenti aussi cette même peine en Algérie comme si la patrie ne faisait rien à l'affaire. On peut ainsi être exilé deux fois, chez soi et chez les autres.
De guerre lasse, Ovide abandonnera son combat et ses lettres à ses amis et à sa femme se feront plus rares. Il se sait perdu et ses jours comptés... La tristesse et la solitude abrègeront sa vie. Même mort, Ovide ne reviendra jamais à Rome : Auguste refusera qu'il y soit enseveli.
J'ai tout perdu : mon pays, ma famille, et cela à de nombreuses reprises. L'exil est ce ressassement de la perte. Il n'y pas de retour possible pour celui qui a abandonné son lieu de naissance de gré ou de force. L'exil est aussi ce sentiment envoûtant qui nait de la destruction du passé et de l'attente d'une renaissance. » Une évocation poétique, bouleversante sur ce sentiment d'exil. Ovide est le héros, le frère, le miroir de l'auteur dans ce récit où l'on croise aussi d'autres écrivains dans leur exil : Joyce, Léonardo Sciascia, Pessoa, Thomas Mann, Zweig...
« Sa terre d’accueil lui paraît inhospitalière et barbare comparée à Rome qui lui manque. Pour Ovide, le seul moyen de fuir ce quotidien de solitude et de tristesse est l’imagination qui le transporte dans la ville de sa jeunesse ».
Pourtant Ovide prend conscience que son exil est définitif, il abandonne le combat ; le désenchantement et la solitude l’emporteront face à la vie. Une mort lente, de plusieurs années, mais irrépressible.
Le romancier Salim Bachi signe un nouvel opus sur l’exil qui met l’accent sur la détresse psychologique de celui qui part et ne reviendra pas, en prenant l’exemple du poète latin Ovide, relégué sur l’île de Tomis pour des motifs qui restent et resteront probablement obscurs. Non déchu de ses droits, il sera néanmoins contraint au silence, à l’inaction. Il écrivit « Les Tristes » et « Les Pontiques » d’où sortent un chant mélancolique et douloureux. Il suit aussi les traces d’écrivains plus contemporains, d’Hermann Broch à Fernando Pessoa, d’Alfred Döblin à Stefan Zweig en passant par James Joyce. Seul l’exil de Thomas Mann semble être réussi, les autres ont sombré, certains se sont même suicidés.
En parallèle, l’auteur exprime son désarroi, la nostalgie de sa jeunesse en Algérie, cette Algérie qu’il a quittée durant la guerre civile des années 90. Ses regrets sont vertigineux, son mal-être visible. Son passage à la Villa Médicis n’est pas un souvenir intarissable même s’il se met à errer sur le parcours d’Ovide et les sites antiques. Seulement aucune métamorphose ne se déclenche. Il en est de même à Lisbonne où suivre les pas de l’écrivain portugais n’est qu’une errance. Paris, sa ville d’écriture ne lui plait guère et seule Grenade semble lui remettre un peu de baume au cœur, la beauté mauresque aidant.
L’abandon géographique est le thème récurrent des romans de Salim Bachi, Le chien d’Ulysse entre autres, parce que seul un être qui a vu sa jeunesse plongée dans l’enfer et qui ensuite a été obligé de fuir, peut se rendre compte de la souffrance de l’exilé, du déraciné.
Une très belle plume qui confirme combien les mots ont une puissance quand ils sont déposés avec talent et finesse sur le papier. Et combien l’envie de relire Ovide envahit l’ esprit pour justement prouver que l’écriture est une arme contre l’oubli et un acte cathartique.
https://squirelito.blogspot.com/2018/11/une-noisette-un-livre-lexil-dovide.html
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