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Yumi vit sur l'île Toshijima, au Japon. Elle admire sa mère, une pêcheuse ama. Cette activité consiste à plonger en apnée en eaux profondes pour recueillir ormeaux, huîtres et autres coquillages très prisés des Japonais. Dévolu aux femmes mais plein de dangers, ce métier leur confère une aura indéniable. Sur les traces de sa mère, Yumi devient une ama très respectée.
Yumi rencontre bientôt l'amour en la personne de Ryo l'instituteur, qui lui déclare sa flamme. Avec lui, elle découvre le plaisir. Le bonheur est à portée de main. Hélas, la Seconde Guerre mondiale éclate, Ryo est mobilisé. Yumi attendra en vain son retour.
Elle se résout donc au mariage « arrangé » avec Hajime. Le couple est mal assorti, et même la naissance d'une petite fille, neuf ans plus tard, ne le sauvera pas. Lorsque Ryo réapparaît, c'est une lueur d'espoir pour Yumi. Mais il lui faudra affronter encore des épreuves.
Centré sur l'histoire de Yumi et l'évocation d'un métier désormais disparu, Les sirènes du Pacifique mêle l'intime et le général, l'histoire d'un amour et celle d'un pays. Car en arrière-plan, c'est aussi une peinture du Japon et de ses traumatismes : le départ des hommes à la guerre, la reddition humiliante, les non-dits autour des bombes atomiques, et l'entrée dans la « modernité »...
En ces années trente au Japon, la norme veut que les femmes se consacrent à leur foyer, et, lorsque, célibataires, elles exercent une activité, elles l’abandonnent sitôt mariées. Une profession leur est pourtant dévolue, depuis, dit-on, des millénaires. Difficile et dangereuse, elle leur assure respect, autonomie et aisance financière. Sur l’île Toshijima, non loin du milieu de la côte Est du Japon, la jeune Yumi l’apprend de sa mère, comme toutes les femmes de sa famille avant elle, ama de génération en génération, c’est-à-dire pêcheuses en apnée profonde - selon la saison, des très prisés ormeaux, d’huîtres et d’algues. Mais, devenue ama émérite, aimée de Ryo l’instituteur, Yumi doit composer avec le destin : mobilisé quand éclate la seconde guerre mondiale, Ryo ne revient pas, et la jeune femme doit se résoudre à un mariage arrangé.
Au-delà de la prenante histoire de quelques personnages imaginés qui confère au récit l’ancrage intime nécessaire à l’attachement du lecteur, c’est l’immersion dans un demi-siècle de transformation du Japon, en particulier au travers d’un métier désormais quasiment disparu, qui rend ce roman tout à fait passionnant. Quoi de plus fascinant que le ballet immémorial de ces endurantes naïades japonaises, qui, jusque dans les années soixante-dix, plongeaient en toute saison en simple pagne, certaines jusqu’à plus de quatre-vingts ans, se transmettant savoirs et expérience dans le sage respect de la conservation des ressources.
La pollution marine et la surpêche récente ont pourtant peu à peu eu raison des populations d’ormeaux, espèce aujourd’hui menacée. Ne subsistent de nos jours qu’une poignée d’ama âgées, certes équipées de combinaisons et de palmes, mais qui ne peuvent plus travailler que les quelques jours dans l’année où la pêche au fameux mollusque est autorisée. Auprès de Yumi et de ses semblables vieillissantes, l’on assiste au chant du cygne d’un savoir-faire ancestral et d’un mode de vie exigeant et risqué qui n’en comportait pas moins les plaisirs et les fiertés de femmes libres et estimées comme rarement au Japon.
Image d’un certain Japon traditionnel, la pittoresque profession d’ama n’est bien sûr qu’un exemple des profondes mutations survenues au pays du Soleil-Levant au cours du siècle dernier. En contrepoint de la vie des femmes à Toshijima, épargnée par les bombardements et dans une certaine mesure par la famine lors de la seconde guerre mondiale, se déroulent dans tout le pays des événements d’une puissance tellurique, dont l’écho pourtant assourdi frappe de sidération les habitants de l’île. C’est d’abord le départ des hommes à la guerre et l’interminable absence de nouvelles, les restrictions et l’enrôlement des femmes dans les usines, puis enfin, un tsunami dévastateur quand, après les opaques mensonges de la propagande, l’on découvre avec horreur la déroute - en même temps que les exactions - de l’invincible empire, les terrifiants appels au sacrifice ultime de la population entière, l’inimaginable cauchemar des bombes atomiques. Une nouvelle ère commence pour le Japon, ouverte sur les non-dits du traumatisme et de l’humiliation.
Emouvant portrait d’une femme forte et presque féministe dans une société particulièrement corsetée, chronique historique d’un Japon qui devra trouver son chemin par-delà les terribles meurtrissures de la guerre, mais aussi plongée riche de sensations dans les profondeurs de l’océan, ce roman qui m’a fait penser à La tombe des lucioles et aux Algues d’Amérique de Nosaka Akiyuki, ou encore au Poids des secrets de Shimazaki Aki est en tout point passionnant. Coup de coeur.
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