"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
La photo était là sur l'étagère tout en haut de la bibliothèque de son père. Un groupe d'hommes et de femmes autour d'une table de restaurant et parmi eux ses parents, l'éditorialiste lucide et la comédienne étrangère. Lorsque la CBS lui commande un documentaire revisitant les mythes de la révolution des oeillets, Ana Maria réalise que tous les acteurs du coup d'État qui renverse la dictature se trouvent sur cette photo. En compagnie de deux journalistes aussi jeunes qu'elle, elle les retrouve et, au fil de son enquête, découvre l'effet du passage du temps non seulement sur ces héros, mais aussi sur la société portugaise. Survivants d'un temps oublié, les personnages de la photo essaient de recréer ce qu'a été l'illusion révolutionnaire, et le difficile chemin vers la démocratie. Le regard des jeunes gens sur les protagonistes d'une histoire que personne ne veut plus entendre réécrit cruellement leur épopée. Lídia Jorge s'intéresse à l'espace indéfini qui sépare le récit que l'Histoire dévoile, avec ses vérités difficiles à affronter et la création du mythe, le moment où la vie a été transformée en une construction de l'imaginaire ou de la volonté. Un roman exceptionnel sur la politique et le destin des rêves.
Écrire l’Histoire, la réécrire, l’interpréter est toujours une tâche périlleuse. Il y a les non-dits, les faiblesses, les actes de courage, les trahisons mais doit-on tout dire, tout écrire ?
Dans ce roman, Les Mémorables, Os Memoráveis, Lídia Jorge réussit une performance littéraire impressionnante que les éditions Métailié ont bien fait d’éditer en français, grâce à la traduction de Geneviève Leibrich.
Avant de me plonger dans le Portugal, trente ans après la Révolution des Œillets, a Revolução dos Cravos, Lídia Jorge m’emmène aux États-Unis chez l’ex-ambassadeur des USA au Portugal. Il reçoit Ana María Machado, jeune reporter qui revient des terrains de guerre du Moyen-Orient. Elle est la fille d’António Machado, un grand journaliste portugais qui n’avait pas son pareil pour deviner le futur. Ana María travaille pour CBS sous la responsabilité de Bob Peterson, filleul de l’ex-ambassadeur. Ce dernier fait l’éloge de la destitution pacifique d’une dictature que fut la révolution des Œillets alors que l’année précédente, au Chili, on massacrait et que Victor Jara était réduit au silence de la pire des façons.
Voilà donc Ana María revenu dans la maison de son père, un fumeur de pipe séparé de Rosie Honoré, sa femme, une actrice belge repartie au pays alors que leur fille fêtait ses douze ans. António Machado possède une photo unique, prise au restaurant Memories, sur laquelle figurent les principaux acteurs des événements se retrouvant un an après ce fameux 25 avril 1974.
Autour de cette photo débute ce que l’autrice nomme la fable, me faisant voyager au cœur de celle-ci car Ana María a recruté deux anciens camarades de fac : Margarida Lota et Miguel Ângelo. Si lui assure image et son, elle s’investit à fond dans les recherches pour poser les plus pertinentes questions aux personnes que les trois enquêteurs vont tenter de rencontrer.
Comme Rosie Honoré Machado avait pour habitude d’attribuer des sobriquets à tous les gens qu’elle fréquentait, aucun des protagonistes n’apparaît sous son vrai nom. En début d’ouvrage, quelques précisions historiques sont très précieuses. Est indiqué aussi que plusieurs personnes sont la synthèse de gens ayant réellement existé.
Les rencontres se succèdent avec le chef Nunes, l’Officier de Bronze, Tiáo Dolores le photographe, le major Umbela, Ernesto Salamida, El Campeador, la veuve de Charlie 8 et les poètes Ingrid et Francisco Pontais. Rien n’est facile. Chacun donne une partie de sa vision des événements de 1974 et aussi, surtout, de ce qui s’est passé ensuite. Ces hommes ont fait preuve de courage pour renverser une dictature mais l’autrice va beaucoup plus loin dans la psychologie de chacun, permettant de mettre à jour les doutes, les tourments, les réactions, allant nettement plus loin que l’historiographie officielle.
La narratrice, Ana María Machado ne nous épargne aucune de ses interrogations et surtout se confronte au mystère d’un père avec qui elle ne parvient pas à communiquer. J’ai trouvé cela assez angoissant, espérant toujours ce fameux déclic qui permet d’apporter une fin heureuse.
Les Mémorables est un livre à la fois politique, social et familial. Lídia Jorge m’a rappelé cette Révolution des Œillets, ainsi dénommée parce que les fleuristes de Lisbonne distribuaient ces fameuses fleurs rouges aux militaires se déployant en ville et que ceux-ci les accrochaient à leurs fusils, magnifique symbole.
Cet événement important qui avait beaucoup impressionné le monde a hélas été trop vite oublié et, comme l’autrice le fait bien sentir, les mauvaises habitudes ont ensuite repris le dessus, comme cela s’est déjà produit bien des fois après un soulèvement populaire.
Chronique illustrée à retrouver sur : http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
Le début est un peu poussif, avec une longue scène se passant en Amérique, où un ex-ambassadeur propose ou plutôt impose à une jeune journaliste jamais nommée ni consultée, de se rendre au Portugal afin de recueillir les témoignages des protagonistes de la révolution des oeillets de 1974, en vue d’une émission télévisée et avec objectif de « récupérer la mitraille de fleurs que le temps a laissée intacte ».
Ana Maria Machado, puisque c’est son nom, revient donc au pays natal, dans la maison de son père Antonio Machado, célèbre éditorialiste. Père et filles sont étrangers l’un à l’autre depuis le divorce d’Antonio et de Rosie, puis l’abandon de Rosie, quand Ana Maria avait douze ans. Ana Maria est devenue depuis journaliste de guerre, racontant sans émotion les horreurs dont elle est témoin, les sentiments comme anesthésiés depuis ce choc familial.
Heureusement la suite rentre dans le vif du sujet, avec les interviews successives d’un général, d’un photographe ou encore d’un cuisinier, tous présents sur un photographie d’époque qui est la base de la quête journalistique d’Ana Maria Machado et de ses deux confrères et amis. Et le livre brosse au final un bon portrait du coup d’état et d’une époque.
J’ai été gênée par cette grande introduction, ainsi que par l’évocation des relations (ou de l’absence de relations) entre Antonio Machado et sa fille, qui m’ont semblé assez artificielles.
Ce livre revient sur un chapitre important de l’histoire récente portugaise, sans être un documentaire mais bien une « fable ». Difficile de savoir où est la limite entre réalité historique et invention. Néanmoins j’ai trouvé intéressante l’évocation de faits historiques du point de vue des gens qui les ont vécus, et la confrontation avec le regard d’une plus jeune génération. Ce livre laisse à penser que toute évocation historique est une façon de réécrire l’histoire, de multiplier les points de vue, sans jamais parvenir à une seule vérité.
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