"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Les Jours de Saveli est un petit traité de survie, écrit de manière très originale de la perspective d'un chat, mélange de tendresse, d'humour, de tristesse et de résignation, véritable métaphore de la vie humaine. Le chat Saveli nait dans une cour d'immeuble délabré et ouvre les yeux dès l'instant où il vient au monde. Doué d'une curiosité insatiable, Saveli met son museau dans chaque recoin, attentif à tout et attiré par des lieux inconnus. Du jour où Vitia le prend chez lui, les aventures s'enchaînent: il devient notamment employé officiel de la galerie Tretiakov et le colocataire d'un perroquet fou
Toutes les vies de Saveli, chien moscovite
Premier roman de Grigori Sloujitel, quadragénaire russe, Les jours de Saveli racontent à travers ses yeux, le quotidien d'un chat à Moscou. Une perspective qui nous permet d'en apprendre beaucoup sur l'évolution de la société sous Poutine.
Une portée de chatons, nés «dans le vieux quartier marchand de la Taganka, au fond de la ruelle Chelapoutine, sur la rive haute de la Iaouza», va devoir apprendre à survivre. Sorti de la boîte en carton nichée devant le vieil hôtel particulier des Morozov, Saveli, qui n’est pas le plus beau d’entre eux, est pourtant embarqué par Vitia pour divertir sa famille qui se serre dans un appartement vétuste. Une nouvelle vie qui lui convient plutôt bien, ayant le gîte et le couvert et l’affection des habitants dont il tente de décrypter le fonctionnement. Il pressent alors ce que pourrait être «l’étrange accord entre chat et homme». Une sorte de privilège, «quand on cesse de s'appartenir; quand on soumet sa volonté à cet être bizarre. Quand le besoin d'affection de l’homme rencontre l'instinct de survie du chat. Quand, finalement, le chat se résout à lui faire confiance, et que l’homme, comme je l’ai entendu dire, le pare de capacités mystiques, d’une aptitude à guérir, à voir les mauvais esprits dans la maison. Quand le maître tire plaisir des soins qu’il prodigue, donnant à boire et à manger au chat, et que le chat, infiniment reconnaissant, désireux de montrer son dévouement, s'applique de toutes ses forces à ne rien faire.»
Mais l’idylle est de courte durée, car il faut faire place nette. Et chercher un nouveau refuge. La chance va lui sourire à nouveau puisque Galia l’adopte à son tour. «Ma nouvelle maîtresse me donna à boire, à manger, et me nomma Kay. Elle louait un appartement dans un grand immeuble de la Bolchaïa Polianka. La jeunesse s'éteignait lentement dans ses fenêtres avec des scintillements d'adieu.» Le problème cette fois, c’est qu’il n’est pas le seul pensionnaire. Un perroquet le rend fou, tant et si bien qu’il met fin à ses jours avant de s’enfuir.
En galère, il croit bien voir sa dernière heure venue lorsqu’il est raflé dans le cadre d’une opération «rue propre». Mais une fois encore, le destin va lui être favorable. On a besoin de chat au Tretiakov, car des rats ont fait leur apparition dans le musée. Avec toute une troupe, il est chargé de les chasser. Une tâche dont il s’acquitte honorablement avant de repartir pour de nouvelles aventures qui le verront successivement battu presque à mort par un vieillard, recueilli par des émigrés kirghizes, retrouver Ludwig, son voisin du dessus, tomber amoureux de Greta, découvrir le «BARACHATS» avant de boucler la boucle en retrouvant l’immeuble en ruines de la ruelle Chelapoutine
C’est avec finesse et subtilité que Grigori Sloujitel dépeint la vie à Moscou. Sans jamais en dénoncer frontalement les travers, il donne à voir les difficultés à se loger, à se nourrir, à se chauffer. On perçoit parfaitement la dichotomie entre les aspirations à davantage de liberté, à un modèle occidental et le poids des conservateurs, la chape de plomb qui au fil des années devient de plus en plus difficilement supportable. La corruption est loin d’avoir disparue, les petits trafics prospèrent, les prébendes ont toujours cours. Et la ville en constante extension s’asphyxie dans les transports, se heurte à des chantiers qui s’ouvrent un peu partout sans que jamais ils prennent fin. Et comme les chats, les habitants se débrouillent. Soit ils profitent du système, soit ils le contournent. En attendant des jours meilleurs.
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Il y a des couvertures qui attirent l’œil, qui vous racontent une histoire avant même d’avoir lu la première page.
Et puis, il y a des récits qui vous happent du début jusqu’à la fin.
« Les jours de Saveli » réunit tout cela.
L’auteur, dont c’est le premier roman, nous entraîne dans l’histoire de ce chat moscovite.
Saveli naît dans une famille monoparentale, ce qui est la norme chez les chats. Il grandit auprès de sa mère et de ses sœurs, dans un carton de bananes, entourés par la bienveillance d’étrangers qui les nourrissent régulièrement, à l’ombre d’un hôtel particulier, devenu une clinique obstétrique abandonnée.
Les jours se suivent tranquillement quand Saveli est adopté de force par un jeune garçon. Mais le besoin de liberté est trop fort pour le jeune chat qui s’enfuit et découvre la vie, loin d’un maître et d’un foyer.
Ce roman de la rentrée littéraire est très réussi.
La vie de ce chat est une oscillation entre bonnes rencontres et mauvaise fortune, anges gardiens et bourreaux. Une vie féline pas différentes des nôtres. Mais avec un besoin viscéral de liberté, de recherche de nouveaux horizons.
La plume est vive, maniant avec talent les descriptions et les sentiments des chats.
J’ai également aimé suivre les pérégrinations de Saveli dans les rues de Moscou, au fil des saisons.
Et les humains ? Ne vous inquiétez pas, ils ne sont pas absents du récit. Ils sont même très présents, pour la plupart, abîmés par la vie. Sans oublier qu’évoquer la vie des félins est une façon détournée de parler de notre vie à nous.
Ce roman est un belle reconstitution de tranches de vie moscovite, de sa beauté et de ses échecs. Un récit doux-amer à découvrir !
La rentrée littéraire des Editions des Syrtes a été féline : de cette rentrée entre deux romans sur les drames de chacun, des faits divers, de relations toxiques en tous genres, et je ne critique pas, je suis la première à aimer lire ce type de textes, ce roman accorde une bouffée d'air, de douceur et d'humour, bienvenus. C'est le premier roman de Grigori Sloujitel – Григорий Служитель – diplômé et comédien sur la scène aussi bien que devant la caméra, il exerce également ses talents en tant que chanteur. L'auteur russe Evgeny Vodolazkin a eu un coup de coeur pour ce roman et l'excellente idée de le préfacer : il y confie son étonnement face à la maturité de l'écriture d'un titre qui est la toute première oeuvre de l'auteur.
Effectivement, j'ai d'emblée été surprise par le langage très châtié de ce minou, de la vivacité de sa pensée, de la sensibilité et l'intelligence qui le caractérisent. Aux premiers abords, Savali à tout l'air d'un chat de gouttière, pedigree inconnu, et qui passe les premiers mois de sa vie entre sa mère et ses soeurs dans un vulgaire carton de bananes. Notre narrateur félin n'a rien à envier aux hommes qu'il côtoie en matière de capacités cognitives et en matière de goûts, qui le portent vers l'amour de l'art, c'est un mélomane averti, il ne jure que par L'Amoroso de Vivaldi et la dégustation de fromage blanc à troi pour cent de matière grasse, dont il tient le nom. C'est avec plaisir que l'on suit le récit focalisé sous la paire d'yeux de notre bête à quatre pattes auxquelles il arrivera toutes les choses qui peuvent arriver à un chat : adoptions, bagarres de rue, visites chez le vétérinaire. Et pour rajouter un peu de piment à cette histoire déjà bien facétieuse, le chat de Grigori Sloujitel est moscovite et dans son errance, entre deux foyers, il nous amène dans tous les recoins de la capitale russe depuis son lieu de naissance, la rue Chelapoutine. Dans une interview donnée à Novaya Gazeta, Grigori Sloujitel concède que Moscou fait partie intégrante de l'histoire, la vie de Saveli est une sorte de visite guidée de la capitale, et de sa transformation au fil des années, qui, comme chaque métropole, a vu l'apparition de commerces propres à notre modernité tels que les bars à chats.
Notre matou russe se prénomme Saveli. Mais aussi Termijan, Auguste, au gré de la volonté de ses maîtres successifs. Car avec tout le caractère de chat qui est le sien, il s'empresse de fuguer, tôt ou tard, à chaque fois que l'un de ses maîtres voudrait bien le garder à ses côtés. Saveli est davantage un chat trois-étoiles, doté d'un flegme et d'un sens de l'humour assez savoureux. Il est difficile, par exemple, de se retenir de sourire à cette description du chat du chef de l'état à l'occasion des voeux télévisés : l'auteur sait, nous savons, mais dans cette vision féline pleine de cette innocence tellement pure qui ne s'attarde que sur la calvitie du dictateur russe, est à pleurer de rire « Un homme sérieux, un peu chauve et vêtu de noir, occupa tout l'écran. Il nous regardait avec compassion et compréhension ». Je l'ai relu plusieurs fois avec le même plaisir à chaque fois. Ou l'art d'utiliser un chat pour amorcer une esquisse de satire. L'auteur russe évoque son roman comme une série de de séparations et de pertes, Saveli a effectivement un peu la guigne, de foyer en foyer, il trimbale avec lui le doux et mélancolique souvenir de sa jeunesse de chaton auprès de sa mère et ses soeurs, mais il finit toujours par retomber sur ses pattes avec toute ses ressources de félidé.
Une plume riche que l'on goûte avec plaisir, un sens de l'ironie et de l'humour qui tapent juste à chaque fois, une biographie parfaitement échafaudée, j'ai beaucoup aimé cet interlude félin et littéraire, et j'attends avec impatience les titres à venir. Sur son site internet, Grigori Sloujitel affiche les différentes couvertures de son livre, j'ai un faible pour la couverture de la version hongroise qui montre une Moscou depuis les yeux du chat, la couverture italienne met l'accent sur le côté chat de gouttière, la version estonienne montre le chat du foyer, ( je n'ai pas compris la version serbe), chacune mettant en relief l'un des aspects de notre héros à moustaches. L'anthropomorphisme de notre Saveli fonctionne totalement dans ce rôle de chat distingué et de bonne éducation, on a tous et toutes besoin d'un Saveli à lire.
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