"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Un jeune attaché à l'Institut français prend en stop un homme blessé dont il reçoit les confessions. Jorge Neuman, écrivain très populaire dans son pays alors sous la coupe d'une junte militaire, vient de vivre une tragédie. Sa fille, puis sa femme ont été enlevées par les hommes de Rafael Vidal, l'un des chefs de la police secrète.
Les années ont passé, Jorge Neuman a disparu à son tour, emporté par la mécanique sans faille de la dictature. Le jeune Français n'est plus si jeune, il est rentré à Paris.
Après avoir publié une biographie de Neuman, il décide de retrouver les traces du sinistre Vidal et de reconstruire la vie de l'écrivain disparu.
Confronté à des questions sans réponses, il comprend bientôt qu'enquêter dans le passé d'un homme, c'est forcer des portes qui méritaient de rester closes.
Je me rends compte au fil de mes lectures que j’aime beaucoup celles qui allient fiction et faits réels. Découvrir des lieux ou des moments historiques par les livres permet d’étendre bien entendu ses connaissances générales l’air de rien, mais surtout de s’ouvrir au monde et surtout, de ne pas oublier.
C’est sur des événements authentiques qui se sont déroulés fin des années 70 – début des années 80 en Argentine que l’auteur Michel Moatti, installe les prémices de son nouveau roman noir. Évidemment, j’avais déjà entendu parler de cette dictature de la terreur en Argentine. Elle a occasionné de très nombreux morts et aussi disparus mais cela m’a surtout permis d’engendrer un intérêt certain pour cette période et de vouloir ne pas en rester là. Si vous avez d’ailleurs quelques conseils de livres ou documents intéressants sur ladite période, n’hésitez pas à m’en faire part.
Tout commence par une rencontre inopinée, entre Mathieu Ermine, jeune français attaché culturel en Argentine, qui prend en stop Jorge Neuman, sur une route près de Buenos Aires fin 1979. En sang et complètement hagard, Jorge Neuman est sauvé par ce jeune français, idéaliste qui ne connaît que de façade le pays dans lequel il se trouve. Vient alors le récit de Jorge Neuman, professeur et auteur ayant été enlevé, battu et torturé comme son épouse par la junte militaire au pouvoir. Petit à petit, Neuman va dévoiler certains des secrets les plus noirs de son pays. Mais qui est finalement vraiment Jorge Neuman? Qu’est-il devenu? Mathieu Ermine va se retrouver, malgré lui, avec le besoin d’en savoir plus sur ce disparu.
Même si on se sait dans un roman de fiction, Michel Moatti a le talent admirable de nous offrir un livre qui pourrait être en tout point une biographie crédible d’un opposant argentin. A maintes reprises, j’ai eu l’impression de lire un document politique sur de vraies personnes, tant le travail de recherche que la justesse de la plume de l’auteur en font un très solide roman noir.
L’auteur s’est inspiré de faits ainsi que de personnages réels, dont il nous dévoile une partie en épilogue, et qui m’ont littéralement fortement fascinée. Même plusieurs jours après avoir refermé ce livre, il reste encore hanter mon esprit. Ce n’est pas un livre que l’on oublie facilement. Bien du contraire, c’est un véritable réveil de conscience pour nous mais aussi pour les générations futures.
C’est à la fois vif, émouvant, réaliste, faisant réfléchir sur la barbarie et le côté sombre d’individus au cours de l’histoire. Mais aussi sur la détresse de tout un peuple abandonné, sur les coupables qui se firent oublier pour échapper aux poursuites pénales, sur ces milliers de disparus dont les familles n’ont jamais pu faire leur deuil.
Originalité dans le corpus de ce bouquin, c’est d’avoir des typographies différentes selon que l’on se trouve face à un témoignage ou face à des écrits de Jorge Neuman. Cela a été intelligemment pensé et cela facilite fortement la lecture. Jusqu’à la dernière page, j’ai été scotchée et fascinée par les personnages.
Comme vous l’aurez compris, c’est un gros coup de coeur de ce mois de février car ce livre m’a vraiment pris aux tripes !!! Je vous conseille très vivement cette lecture qui allie aussi bien le romanesque à l’Histoire sombre de l’Amérique du Sud. Il marquera très fort mon année littéraire.
Je remercie Agnès Chalnot et les éditions Hervé Chopin pour leur confiance.
Un roman très sombre qui reprend des faits historiques qui se sont déroulés en Argentine dans les années 76 à 83. Des années de terreur après le coup d’état des généraux, la dictature militaire est au pouvoir et traque tous ceux qui pourraient lui être contraire. Matthieu Ermine est alors jeune professeur coopérant à l’Université, il va croiser la route de l’écrivain Jorge Neumann qui va lui remettre un manuscrit racontant tout ce que sa femme et sa fille disparue et lui-même ont du endurer. Il fuit le pays au plus vite se sentant menacé. Des années plus tard il va reprendre les écrits de l’écrivain pour mieux comprendre cette période. Les récits des exactions, des tortures, des disparitions et les pratiques de la police secrète font froid dans le dos. Nous sommes face à un scénario retors qui nous fait vivre plusieurs temporalités et celle du présent n’est certes pas la plus tranquille. Matthieu cherche à savoir si Jorge Neumann est encore vivant, il cherche aussi à retrouver son bourreau Vidal. Toutes ses recherches et les milieux qu’il doit fréquenter rendent le roman passionnant. Dans un savant mélange de réel et de fiction, l’auteur retrace le parcours d’une victime mais en ajoutant une donnée majeure qui donne une profondeur au récit. Je me suis attachée aux personnages que ce soit les survivants mais aussi la femme et la fille de Neumann disparues tragiquement. Beaucoup d’émotions et une question qui me reste en tête qu’aurais-je fais dans cette situation, à la place de Matthieu. Comment peut-on en arriver à être un bourreau ou encore comment peut-on trahir les siens pour avoir la vie sauve ? De nombreuses questions sans réponses que se posent Matthieu lorsqu’il veut écrire la biographie de Neumann. Un parcours que nous suivons à ses côtés, qui prend aux trippes et vient mettre en lumière des faces sombres de l’être humains. Bonne lecture.
http://latelierdelitote.canalblog.com/archives/2020/12/06/38614131.html
Je connais Michel Moatti de nom, et plus particulièrement pour son roman Retour à Whitechapel que je n'ai pas encore lu. Ce livre ci a donc été pour moi l'occasion de me rattraper et de lire enfin cet auteur. Et ma première impression à chaud est que je suis très contente d'avoir découvert cet auteur et son roman, j'ai beaucoup aimé et il a su rendre son sujet très intéressant sur des événements que je ne connaissais pas particulièrement.
Tout le roman va tourner autour de deux personnages importants avec d'autres qui viendront se greffer tout au long des évènements. Le narrateur de l'histoire est Matthieu Ermine. Il a vingt-trois ans lorsqu'on le rencontre au début, on est dans la fin des années 70, il travaille dans un institut français à Buenos Aires en Argentine. Il ne fait pas trop attention aux troubles du pays. Ceux-ci le rattrapent lorsqu’un soir, il prend en stop un homme qui titube sur le bord de la route. Cet homme est blessé, plein de sang. Matthieu le ramène dans son appartement. L'homme, Jorge Neumann, a peur, et raconte vite fait ce qui lui est arrivé. Jorge est argentin, professeur et écrivain célèbre. Il donne rendez-vous à Matthieu le surlendemain dans un café pour lui en raconter plus. Matthieu est troublé par cet homme qu'il va donc rencontrer une nouvelle fois. Jorge va lui raconter la mort de sa fille, enlevée pendant la nuit des crayons, une révolte des jeunes contre la hausse des prix, puis son propre enlèvement à lui, et retenu dans des camps de détention appelés « les jardins d’hiver » avec sa femme qui a été torturée et violée devant ses yeux. Lui a été relâché, il ne sait pas ce qu’est devenue sa femme. Il remet à Matthieu un manuscrit dans lequel il raconte tout ce qu'il a vécu, avant de disparaître, il s'est promis de retrouver Vidal, le responsable de ces crimes. Matthieu rentre en France avec ce témoignage. Nous le retrouvons ensuite quarante ans plus tard, il a écrit lui-même un livre sur Jorge et les terribles événements de cette époque dans ce pays. Mais surtout, Matthieu aimerait savoir si Jorge existe encore ou Vidal, il a vu tellement peu de temps Jorge qu'il se demande si tout cela est vrai. Il se pose beaucoup de questions sur la véracité des propose de l'homme qu'il a rencontré quarante ans plutôt, pourquoi il a été relâché, est-il encore vivant ou mort comme certains le disent.
Le mystère va régner ainsi tout le long jusqu’à la fin. Matthieu a écrit un roman et proposé une thèse sur un homme qu'il n'a rencontré qu'une fois. Il va ainsi refaire des recherches au bout de toutes ces années. Et ces recherches sont passionnantes pour les lecteurs que nous sommes. Tout l’intérêt de ce roman repose dessus et sur les faits qui se sont réellement déroulés en Argentine. La nuit des crayons a réellement existé, des jeunes étudiants ont disparu, sont morts. Les « jardins d'hiver » ont eux aussi existé réellement. Et quand on sait ça, on mesure toute l'horreur que cela a pu être. Michel Moatti explique à la fin du livre que tout est tiré de faits réels, Jorge Neuman n'existe pas, il a composé ce personnage à partir de personnes ayant vécu ces terribles exactions, un docteur, un instituteur, des personnes intelligentes, qui savent réfléchir. Des personnes intelligentes sont toujours des dangers pour des dictateurs. Vidal a également existé, il n'a juste pas le même nom dans la vie, il est d'ailleurs toujours vivant, malade, mais vivant. Ce qu'il s'est passé pendant ces années est horrible, plus de 40000 personnes sont mortes, dont 30000 disparus. Lorsque les tortures ne donnaient plus rien, ils emmenaient les prisonniers dans un avion et les jetaient dans le vide.
Je savais que l’Argentine avait connu des moments terribles dans son histoire, mais les lire dans un livre les rend encore plus réelles, et même si ce sont des personnages de roman, on sait qu'ils sont tirés de personnes ayant vécu toute cette horreur. Michel Moatti retrace tout cela avec justesse, sans fards. Sa plume est acérée, précise, il fait se dérouler les scènes comme dans la réalité il a un style très cinématographique, il est très facile de se représenter les scènes et de voir le film de la vie de ces personnages se dérouler devant nos yeux.
Outre le témoignage et la description de ces drames, l’auteur met aussi l'accent sur ce que l'humain a de plus sombre en lui. Peut-on arriver à connaitre quelqu’un que l'on a vu qu'une fois et seulement sur des écrits de lui. Si on cherche à en savoir plus, ne tombe-t-on pas sur des vérités qui remettent certains faits en questions. Un héros l'est-il même si ses actions ne sont pas si glorieuses. Qui sont en fait tous ces acteurs d'une telle horreur, où sont les responsabilités de chacun. Et comment vivre ensuite avec… J’ai beaucoup aimé la façon dont l'auteur nous fait réfléchir sur tout cela, il nous fait prendre position, il nous montre que tout n’est pas ou blanc ou noir, que parfois ces deux couleurs se mélangent.
J'ai beaucoup aimé suivre Matthieu dans ses réflexions et ses recherches. J'ai appris beaucoup sur l'histoire de l’Argentine. J'aime quand mes lectures sont à la fois distrayantes par leur contenu et instructives par les faits qui sont relatés. De savoir cela glace le sang plus d'une fois. J'ai été terriblement émue, des moments difficiles à vivre. Je me suis attachée à tous les personnages, et surtout à Matthieu et Jorge, puisque ce sont eux dont on parle le plus, mais je me suis aussi attachée aux « absents », à ceux dont Jorge et Matthieu parlent mais qui ne sont plus là, je pense notamment à la fille et à la femme de Jorge. Bien sûr, l'attachement est ici renforcé par l'utilisation de la première personne du singulier par l'auteur. J'aime beaucoup l'utilisation de ce « je » qui me permet de me mettre encore plus dans la peau du personnage, de ressentir au plus près la moindre de ses émotions. Et ici, dans cette histoire, je peux vous dire qu'on va être servis côté émotionnel, comme on peut se douter dans ce genre d’histoire très réelle. Difficile de prendre de la distance par rapport aux faits, il a été ingénieux de la part de l'auteur de mettre Matthieu comme narrateur, car lui-même garde une certaine distance vu qu'il n'a pas été touché par les atrocités. Cela aurait été raconté par Jorge, les scènes auraient été encore plus horribles. Certains passages du roman sont racontés par Jorge puisque c’est la retranscription du manuscrit qu’il a laissé à Matthieu. Dans ces moments là, l’émotion est a son comble. J’ai pu ainsi me mettre à la place de Matthieu et me demander comment j'aurais réagi si j’avais vécu la même situation que lui.
C’est une lecture marquante, qui va me rester un moment en tête. Je ne peux pas dire que j'ai lu rapidement ce roman, pas parce qu'il n’était pas addictif, bien au contraire, il est très prenant. Mais j'avais envie de rester dedans plus longtemps, je prenais mon temps car certaines situations sont assez lourdes, j'avais besoin de les digérer. Même une fois fini, le livre fermé, je reste imprégnée par l’histoire, par l'ambiance, par les faits. C’est un livre que je ne vais pas oublier de sitôt. Je suis également très contente d'avoir découvert Michel Moatti, c’est un auteur que je vais continuer à suivre et surtout je vais me procurer et lire dès que possible son précédent roman, Retour à Whitechapel, qui, cette fois-ci, va parler de Jack l'éventreur. Vu le travail de précision qu'il a fait sur ce roman en Argentine, j'ai hâte de voir comment il a traité le sujet d’un des plus grands tueurs de l'histoire.
D'ailleurs, avant de terminer cet avis, je voulais souligner tout le travail que l’auteur a dû réaliser en amont pour conter aussi précisément une partie de l'histoire dont on parle peu. Il parle d'ailleurs de ses propres recherches à la fin du livre, et c’est assez impressionnant. J'aime retrouver de l’authenticité dans les histoires que je lis.
J’ai passé un excellent moment avec ce roman que je vous recommande. Un moment fort, troublant, émouvant, sur un moment de l'Histoire de notre monde qu’il faut connaître. C’est le premier roman que je lis sur ces faits, et je trouve dommage que certains pans de l'histoire ne soient pas plus relatés par rapport à d’autres que l’on retrouve bien trop souvent. C’est très important de dire et écrire sur ces sujets, pour ne pas oublier, pour que le devoir de mémoire se fasse et passe aux générations futures.
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