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Entre les sapins du Jura neuchâtelois et les baobabs malgaches, Fanny Wobmann construit un récit poétique et politique qui examine les rapports de pouvoirs. De classes, de races, au sein de l'amitié, entre les êtres humains et les espèces qui les entourent. Elle revisite l'enfance d'une manière inhabituelle, où le passé est flou, fuyant, les souvenirs frustrants et où le présent se parcourt comme une forêt en mouvement. Malgré les défaillances de la mémoire, une histoire se dessine. Mais comment se l'approprier?
Lui faut-il raconter que passant tous les jours devant des enfants décharnés, malades, elle s'y est habituée? Qu'elle vivait dans une grande maison avec des domestiques? Qu'elle a giflé son amie noire? Que cette période a été pourtant l'une des plus heureuses de son existence?
« En malgache le verbe être n’existe pas. »
Méticuleux, « Les arbres quand ils tombent » est un viatique. Un pont entre deux rives.
Vertigineux, solaire, sociologique, son intimité excelle entre les pages et devient un porte-voix.
Politique, spéculatif, il rassemble l’épars de vie, d’une petite fille : Fanny Wobmann jusqu’à l’heure pleine de maintenant.
L’urgence de collecte fait saillir ce qui fut de l’enfance de Fanny au Rwanda et à Madagascar. Ses parents expatriés, son père qui travaillait pour la Direction du développement et de la coopération, dans la gestion des forêts. L’Afrique comme un appel d’air. Petite fille de huit ans, ses sœurs, Juliette quatre ans et Chloé deux ans. Cercle enfantin qui font vivre dans une insouciance de caste. Dans l’inconscience d’une prise de pouvoir sur un peuple pauvre et en voie de développement.
Fiananrantsoa, une grande maison blanche, coloniale et imposante. Un gardien qui ouvre le portail. Madagascar, « Une amie m’a fait remarquer un jour que vivre à Madagascar m’avait donné l’occasion d’assouvir mes rêves de princesse (ou bien était-ce mon psy?). »
Le récit est une fenêtre qui s’ouvre sur les idiosyncrasies, les habitus. Fanny Wobmann veut comprendre. Apaiser ses doutes, renouer les liens avec Nirina, son amie malgache qui jouait avec elle, des heures durant.
« Dans cette histoire, il y a aussi Nirina. Un amour qui construit, l’enfance rire contre rire. Puis la distance ».
Complices et gémellaires, les mêmes robes cousues par la mère de Nirina. Happées par la spontanéité et l’innocence.
D’inspiration autobiographique, l’anthropologie tirée au cordeau, ce livre échappe aux règles d’une fiction. Il est consigné à la résurgence. À la mutation des psychologies et des analyses fines d’une femme qui trace son arbre de vie avant que les branches ne tombent.
Ce livre est de trajectoires. La correspondance avec Nirina adulte, est à double tranchant. On ressent Fanny quêter la réponse. Apaiser ses craintes, sa culpabilité. Le colonialisme dépassait sa tête enfantine. Elle veut comprendre, ressentir, pardonner, mais quoi ?
Elle, qui a griffé son amie noire, elle, qui se trouve trop humaine. Elle, qui vivait à Madagascar, libre et aérienne, le mimétisme et la gloire d’oublier ses yeux bleus et sa blondeur.
« Nous portons des robes et des chapeaux de paille malgaches ».
Elle n’aura de cesse de dresser le macrocosme de cette décennie qui s’étire encore en elle.
Cette terre exotique, surprenante, suffocante et sublime dans une exceptionnelle aura.
Là-bas et ici, la chronologie qui bouge ses aiguilles jusqu’à notre présent.
Ses parents impliqués et justes, le colonialisme sans emprise mentale. S’approprier pour demain ce qui définie la grande Histoire du monde.
Bâtir un livre à la lumière vive des souvenirs et d’une éducation altruiste et libre. Le vivre-ensemble comme un cerceau qui roule sur une cécité qui s’endort à jamais.
Femmes blanches et noires, sans distance, avec l’amie de chaque minute qui s’abreuvait dans la souplesse d’une quiétude stable et confortable. « Je pense aux arbres quand ils tombent » litanie et kaléidoscope fondamental, où la progression interpelle une renaissance en advenir. « Je voudrais me souvenir du ravenala, j’ai une image de lui avec une branche cassée, mais peut-être était-il déjà comme ça avant le cyclone. A-t-il survécu ? » Ce livre des révolutions intérieures qui s’approche du secret d’une écriture exhaustive, est puissamment signifiant. S’échapper des frontières mentales, l’ethnologie est l’encre de ce livre régénérant. Loin des diktats de servitude, l’heure n’est pas ici. Mais dans cette universalité des amitiés enfantines et fédératrices. « Les arbres quand ils tombent » stylistiquement charnel et vibrant, la culture du vivant, des différences assemblées, Nirina est l’emblème-même de l’exploit des dépassements. Le pouvoir de l’homme sur l’homme. Ici, Fanny trace au trait rouge la politique. « Toi t’es malgache ? Toi t’es pauvre ? » L’humanitaire comme un témoin-clé des colonisations africaines. « … Le bruit de la masse qui rencontre le sol, les branches qui se cassent, le souffle. Puis le silence. Le géant endormi. »
Intense et d’une forme inégalée, reformuler l’aquarelle, du Jura neuchâtelois, la narration happe et retient en haleine jusqu’aux forces étourdissantes de ce qui fut en vérité, de cette enfance en métamorphose de couleurs. Éloignée des considérations d’adultes, des jugements. L’espace libre comme un cerceau en pleine lumière. Madagascar, le Rwanda, le racisme latent, les stéréotypes, dans l’ignorance d’une enfance de privilège.
Ce livre aux multiples signaux et lectures, est poétiquement une merveille. C’est un macrocosme existentiel. Une renaissance, dans l’instant même où les arbres tombent, autrement. La prodigalité. Publié par les majeures Éditions Quidam éditeur.
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