"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Dans une bourgade en lisière de forêt, un adolescent mal dans sa peau et négligé par une mère alcoolique se livre à des plaisanteries plus que douteuses : couvrir de sang d'origine animale un bébé qui dort dans le jardin; faire passer dans les petites annonces du journal local l'avis de décès d'une vieille dame qui vient de fêter son anniversaire; faire appeler par les urgences de l'hôpital une mère qui vient juste d'offrir un scooter à sa fille...Non que Johnny soit foncièrement mauvais, mais il veut en agissant ainsi crier sa haine d'un monde qui ne lui fait pas de cadeau.La petite communauté s'insurge contre ces actes cruels, quoique non criminels, et l'inspecteur Sejer, toujours aussi débonnaire, essaie de comprendre. Jusqu'au jour où la tension croissante bascule dans l'horreur : un gamin de 8 ans est déchiqueté dans la forêt par une meute de chiens. Et le propriétaire affirme qu'il a verrouillé le chenil avant de s'absenter...Mais Johnny était-il vraiment capable d'aller jusque là?
L'Enfer commence maintenant, Varsleren en version originale parue en 2009, a été publié par les éditions du Seuil en mars 2012. Le style est fluide, le rythme volontairement ralenti, afin d'installer le lecteur dans un climat superficiellement serein qui se dégrade au fur et à mesure que l'on avance dans l'enquête.
Thèmes: l'alcoolisme, l'abandon, la perte d'un parent, la peur, la maladie, le racisme et le droit à la différence (thèmes récurrents chez la romancière norvégienne). La multiplicité des sujets traités atteste la profondeur et la richesse des intrigues développées par Karin Fossum, abordant des sujets intemporels, les mettant en scène sans jugement; elle se contente de radiographier la société: "Il n'est pas rare qu'elle soit déjà soûle à cette heure-là. Un jour, il l'a vue à sept heures du matin en train de boire de la vodka au goulot, se cramponnant à l'accoudoir d'un fauteuil de sa main libre." (Page 66).
Fin août. La canicule assomme la région. La petite Margrete, âgée de huit mois, dort paisiblement dans son landau, dans le jardin familial, tandis que Lily, sa mère, prépare le repas. Peu près, Lily retrouve sa fille bien vivante mais couverte d'un sang qui n'est pas le sien: "Skarre a punaisé une carte des environs sur un tableau..."C'est un acte soigneusement préparé...L'individu a dû surveiller la maison un bon bout de temps pour noter ce qui s'y passait. Il savait donc à quel moment de la journée l'enfant faisait sa sieste, et il savait peut-être même combien de temps elle dormait. Caché derrière un arbre en attendant que Lily sorte de la maison, il a dû éprouver une grande jouissance en voyant sa réaction." (Page 19). Les mobiles sont multiples: jalousie; vengeance; un besoin de se faire remarquer; maladie mentale ou méchanceté pure...Toutes les options sont envisagées par Sejer et son équipe mais l'enquête fait chou blanc.
Puis Sejer reçoit au courrier une carte postale représentant un glouton; au dos on peut lire "Prédateurs norvégiens. Glonton. Photographe Goran Jansson" avec un court message écrit dessous: L'enfer commence maintenant". =>Avertissement? Plaisanterie douteuse? Tandis que Gunilla Mork lit dans le journal l'annonce de son décès; un mouton est tagué en orange dans un champ. Existe-t-il un lien entre ces incidents ressemblant à de mauvaises blagues?
Mais quand le jeune Theo, huit ans, est retrouvé dans la forêt, le cors déchiqueté par une meute de chiens échappés de leur chenil, l'affaire prend une tournure autrement plus dramatique. Sejer et son équipe se retrouvent plongés au cœur d'une enquête difficile, côtoyant chaque minute le Mal à l'état pur..
La police: ce qu'on en pense joue un rôle important dans cette histoire car, bien que les enquêteurs soient des êtres humains comme les autres, leur mission consistant à aider les autres en cas de gros pépin leur confère un statut particulier. D'où l'énorme pression exercée par les personnes lambda qui en attend beaucoup, peut-être trop: pour Karsten, les policiers sont des "gens balourds et simplets se baladant en grosses chaussures noires à lacets et affublés de casquettes ridicules sur la tête...Des gens immatures et incultes, qui ne connaissent pas grand chose aux subtilités de la vie...étant donné leur manque d'organisation légendaire, pas étonnant si les policiers n'arrivent pas tout de suite." (Pages 15-16) =>Le moins qu'on puisse dire est que Karin Fossum ne privilégie pas le culte du héros pour camper ses personnages enquêteurs!!
La peur: personnage principal de ce roman, la peur symbolise la mince frontière qui sépare le climat de confiance de l'angoisse. Elle s'insinue partout, imprime son empreinte indélébile sur gens et choses. Désormais, chacun de leurs pas comporte un risque, le monde en dehors de leur maison est devenu un danger permanent: "Mais d'autres pensées l'assaillent, auxquelles elle n'est pas préparée. Pourquoi ici? Dans notre quartier? Pourquoi nous, notre jardin, notre enfant?" (Page 35)..."Il comprend que Lily a peur en permanence, que cette peur l'empêche de vivre, perturbe son sommeil. Tout ce qui était si simple avant est chamboulé." (Page 59).
Karin Fossum, grande prêtresse de la mise en scène et du suspense, sème des indices un peu partout dans le déroulement du récit: un "suspect" qui roule en scooter"; Karsten qui ce jour-là a entendu le bruit d'un scooter...Sans jamais nous dire de qui il s'agit: le petit plaisantin qui terrorise la ville; Johnny qui se rend chez son grand-père...Elle sait comme personne installer un climat de peur insidieuse qui, peu à peu, s'insinue dans nos esprits, dans nos veines, nous mettant sur des charbons ardents...Jusqu'à ce que la découverte du corps de Theo nous fasse basculer dans l'horreur. Ce à quoi on s'attend depuis le début a fini par arriver.
L'enfer commence maintenant, septième et dernier roman traduit en français, est un véritable bijou d'intrigue policière: une intrigue menée de main de maître; des personnages intéressants; une atmosphère délicieusement délétère; une enquête policière qui n'occupe pas le devant de la scène, laissant place à l'aspect psychologique de l'histoire: comprendre pourquoi de tels actes sont possibles. Là réside tout l'intérêt des romans de Karin Fossum. Tous les ingrédients qui vont vous faire adorer sa plume...
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